La Souscription au 18ème

La souscription, qui existe encore aujourd’hui pour préparer la commercialisation d’un ouvrage rare était un modèle économique assez utilisé au 18ème siècle (j’en ai d »ailleurs déjà parlé pour la mise en vente de l’édition de Kehl des oeuvres de Voltaire). Le saviez-vous? Savez-vous comment cela fonctionnait, et pourquoi?

En fait, la souscription était utilisée dans deux cas principaux : le premier, lorsqu’un libraire ou un écrivain sans mécène souhaitait couvrir ses frais d’impression avant la distribution et un succès peut être fort aléatoire. Dans ce cas, le livre ne se fait que si le nombre de souscripteurs est suffisamment important, et il contiendra d’ailleurs le plus souvent une liste des souscripteurs, à titre de reconnaissance, mais aussi pour mettre leur générosité en avant (néanmoins, les généreux souscripteurs français et allemands négligeront le plus souvent cette publicité, considérée comme vulgaire, alors qu’elle est fort prisée en Angleterre)… Dans le second cas, des souscriptions sont également lancées pour des ouvrages exceptionnels.
Sur le plan pratique, c’était assez simple, on imprimait des prospectus pour annoncer la souscription. Ceux-ci étaient disponibles chez le libraire, parfois affichés sur sa devanture, voire envoyés aux clients habituels de la librairie. La souscription en elle-même peut soit être une avance, soit être une promesse d’achat du livre lorsque celui-ci paraîtra. Il est à noter que dans ce dernier cas, le livre sera vendu aux souscripteurs à un prix généralement inférieur au prix « public ».

Comme je l’évoquais pour l’édition de Kehl, dans le cas d’une édition en plusieurs volumes, un calendrier des avances est établi, et comme dans le cas de Kehl, il arrive que des mécènes souscrivent à des exemplaires qu’ils renonceront à recevoir. Pour l’édition de Kehl financée par Beaumarchais, c’est le roi de Prusse, grand ami de Voltaire, qui renonça ainsi à certains de ses… 200 exemplaires!

On considère généralement que cette technique de financement fût mise au point par les anglais au 17ème siècle, elle servi notamment pour la Bible polyglotte de Walton. En France, le procédé devint courant au 18ème et on pense que c’est l’Antiquité expliquée et représentée en figures de Montfaucon qui fût le premier ouvrage concerné, en 1716.

Passé le 18ème, ce procédé est moins prisé, et ne restera rare par la suite, quand la production industrielle permettra d’imprimer à des coûts moindres. Aujourd’hui, la souscription est limitée aux ouvrages de luxes, dont le tirage limité et numéroté. Dans la plupart des cas, le souscripteur se voit alors remettre un exemplaire nominatif.


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Images : une belle galerie de portraits issus des voyages de Cook (édition EO in-4)

4 Commentaires

  1. Alfred de Musset a fait l’objet d’une édition collective de luxe en 1865-1866. Publiée en souscription (la liste des souscripteurs ne dépasse guère les 800 exemplaires), cette luxueuse édition clairement destinnée aux bibliophiles de l’époque, est imprimée sur un très beau papier épais de Hollande. Elle est illustrée de 28 très belles gravures d’après les dessins de Bida. Les exemplaires sont évidemment nominatifs. Tout le gratin de l’époque ou presque a souscrit cette édition dite « des Amis du poète ». Aujourd’hui presque oublié de tous, et surtout et malheureusement de bien des bibliophiles, cette édition, bien que devenue un véritable objet de bibliophilie, la plupart du temps très bien relié à l’époque, n’est guère recherchée et prisée. C’est un tort. Il faut rétablir les choses à leur juste place, cette édition mérite plus que beaucoup d’autres, la sienne.

    Pour l’anecdote, ce qui est à la fois amusant et triste à la fois, c’est lorsque j’ai parcouru la liste des souscripteurs à cette édition du pétillant Musset et que j’y ai trouvé, en belles lettres, et en bonne place, le nom de…

    George Sand.

    Je vous laisse imaginer le plaisir de bibliophile que j’aurais à détenir, ne serait-ce qu’un instant, l’exemplaire des Oeuvres de Musset souscrit par George Sand… et tout à coup l’imaginaire s’envole…

    PS : on ne sait pas et à ma connaissance on a jamais vu passer en vente cet exemplaire… Peut-être reste-t-il à découvrir au détour d’une salle des ventes ou d’un libraire heureux.

    Bonne soirée à tous,

    Amicalement, Bertrand.

  2. Le procédé a toujours lieu ! Il n’y a pas si longtemps, les éditions underground : Revisionist Press, lancées à Brooklyn, New-York, aux USA, faisaient appel aux souscriptions.
    Mais des ennuis financiers ne leur ayant pas toujours permis de publier les livres, des rumeurs très sérieuses coururent sur les motivations des éditeurs. En effet, Revisionist Press ne se penchait que sur des sujets fort séditieux et on a longtemps raconté qu’elle avait été montée par la CIA afin de répertorier les esprits « déviants » par le biais des souscriptions !

    Ce qui, avouons-le, eut été un procédé fort ordurier de la part de M. Hoover qui ne serait certainement pas abaissé à de telles pratiques.

    Revisionist Press a fermé en… 2001 !
    TE

  3. Linguet a lui aussi profité de la souscription pour ses Annales. Il en a tellement profité que certaines correspondance de ses abonnés prouvent qu’il s’est comme qui dirait « tiré avec la caisse »… Malheureusement, ça lui a valu quelques déboires et un discrédit total. Selon lui, toutefois, se seraient ses associés, chargés en France de distribuer ses textes, imprimés par lui-même aux Pays-Bas, en Suisse puis en Belgique (chez soi, tiens! Comme l’imprimerie portable dont on parlait dans un précédent article) qui lui aurait volé de l’argent… enfin, celui des souscripteurs, qui n’ont jamais vu un seul début de page des Annales. D’ailleurs, peut-être pour étayer ses dires, le fameux associé (dont j’ai oublié le nom, pardonnez-moi pour ce manque de professionnalisme) est celui qui l’a condamné à la Bastille en 1780! Alors que Linguet passait à Paris, ce fameux « ami » lui proposa de l’emmener faire un tour dans la capitale (qui ne l’était d’ailleurs plus à l’époque…), et l’emmena directement en prison, sans passer par la case départ. Recherché par la police pour ses écrits, Linguet avait été trahi par son ancien complice qui, collaborant avec le pouvoir, se libérait ainsi des charges qui pesaient contre lui, à commencer par le détournement des fonds des souscripteurs!
    Toute une histoire que la vie de ce filou de Linguet… (Beaumarchais était pas mal aussi dans son genre, à tremper dans de multiples affaires d’escroquerie). Un peu de matière peut-être pour le message du dimanche!

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