Un mystère à résoudre… les traductions d’une bulle papale?

Amis Bibliophiles Bonsoir,
Olivier aimerait s’adresser à vous pour obtenir votre avis sur l’une de ses acquisitions. Pouvez-vous, pouvons-nous, l’aider?
Je lui cède la parole:
« Il m’est arrivé un jour d’acheter quelque chose sans vraiment savoir ce dont il s’agissait. Près d’un an après je n’ai guère avancé aussi je vous soumets cet achat afin d’éclairer ma lanterne.Il s’agit d’un lot (qui « trônait » dans un cageot d’un bouquiniste). Ce qui a attiré mon attention ce sont les deux reliures aux armes (Pie IX et Henri V). En sus se trouvaient une dizaine de pochettes.Le contenu ? C’est alors que tout se complique. Majoritairement ce sont des photographies (je ne connais pas le procédé, le papier est très fin) de reliures et de textes calligraphiés (mais aussi de lettres attestant de la qualité des traductions réalisées). Il s’agit de photographies du travail colossal initié par l’abbé Sire (Sulpicien, 1827-1917). Son projet ? Traduire la bulle « Ineffabilis Deux » (8 décembre 1854) dans toutes les langues du monde. Il mobilisa le monde catholique à cette fin et 106 volumes furent expédiés au Vatican dans un meuble conçu spécialement.Je cède la parle à un texte en ligne qui évoque cette entreprise (http://asr.revues.org/index296.html) :« C’est dans la mouvance de cet intérêt pour la page illuminée qu’il faut replacer le projet, en apparence démesuré, de l’abbé Sire (1827-1917) qui se fit d’abord connaître en rassemblant, en trois cents volumes, une collection des documents relatifs à la définition de l’Immaculée Conception, depuis 1849, date de la première encyclique du pape sur ce sujet, jusqu’en 1860. Puis il décida de faire traduire en quatre cents langues la Bulle Ineffabilis Deus (8 décembre 1854) sur des ouvrages de très beau papier, soigneusement calligraphiés et enluminés. Une œuvre aussi colossale ne pouvait s’accomplir sans le soutien de la catholicité dans son ensemble, évêques, missions et congrégations religieuses, riches mécènes parmi lesquels figurent de nombreuses têtes couronnées d’Europe. Le meuble de présentation est achevé en 1878 avec au total 106 volumes en l’honneur de Marie, « la mère et la protectrice de l’art chrétien ». Chaque volume est orné d’un frontispice enluminé, et les marges de chaque page sont illustrées tant par des scènes bibliques que par un décor ornemental faisant référence à la flore et la faune de chaque contrée ou par des paysages pittoresques évoquant les sites et monuments de chaque pays, en particulier les édifices religieux à la gloire de Marie, en outre « l’enveloppe du livre devait être l’hommage de la richesse matérielle des Nations, l’offrande de toute la substance créée à la mère du Dieu créateur, comme le livre avait été l’hommage de l’âme, de la pensée, de la vie intellectuelle de ces mêmes Nations ». Il s’agit alors d’une consécration de l’art industriel de ces différents peuples : orfèvrerie ciselée de Froment-Meurice, cristal de Baccarat, porcelaine de Sèvres, oliviers pour Jérusalem, bois de santal pour les Indes. Certaines de ces reliures, sont sculptées et peintes par des artistes en vogue : Hébert ou Bouguereau. Ce souci de convoquer tous les arts et toutes les productions du globe aux pieds de la Vierge paraît relever d’un jeu symbolique de la représentation du pays par les techniques et matières qui en sont issues (cuirs de Russie, etc.) ou par son iconographie spécifique afin, par métonymie, de recomposer l’univers au sein d’une salle du Vatican. L’étude des figures mariales dans ces volumes conservés à la Bibliothèque vaticane a été rendue possible grâce à une sélection de photographies (effectuée lors d’une mission à Rome en 2005), elle fait apparaître une vaste construction typologique qui entre en correspondance avec les deux tomes de L’Immaculée Conception, histoire d’un dogme de Dubosc de Pesquidoux inspiré par Sire (1897-1898), et l’ouvrage de ce dernier sur L’Immaculée Vierge Mère (1904). L’analyse des concordances bibliques reprises dans une perspective dévotionnelle permet de voir s’élaborer en texte et en image un mode d’appropriation d’une construction dogmatique. Les dernières séances du séminaire ont évoqué les références à l’enluminure dans la littérature de la fin du siècle, à travers notamment les œuvres de Léon Bloy et Huysmans. L’art de l’enluminure y devint emblématique non seulement de l’art chrétien véritable, selon les théoriciens de l’art catholique, mais encore d’une forme de pureté virginale qui devait la préserver d’une décadence des arts. Sous la plume de Huysmans, la métaphore est filée jusqu’à l’innocence enfantine d’une séduction qui ne put soutenir la concurrence et l’éclat d’une vivacité presque trop soutenue, voire racoleuse, de la peinture. Aussi Durtal dans L’Oblat « considérait l’éclatante floraison de ces vélins. Ah, fit-il, en refermant le livre, la délicieuse et la frêle et la fine petite fille, aux yeux d’azur et aux cheveux d’or, que cette Enluminure, qui enfanta, en une longue gésine, une fille si énorme, la Peinture qu’elle mourut en lui donnant le jour ».Au total donc c’est plus d’une centaine de photographies qui sont rassemblées dans ces pochettes. Par ailleurs, dans la reliure aux armes de Pie IX se trouvent deux textes manuscrits en breton, traductions de la bulle. Deux pages enluminées et signées sont également présentes. La reliure aux armes d’Henri V elle est vide. Les nerfs sont coupés.
A ce stade, pour moi, le mystère reste entier… De quoi s’agit-il ? A-t-on voulu garder une trace (photographique) du travail réalisé pour les langues françaises ? Pourquoi ces deux reliures n’ont-elles jamais rejoint la collection vaticane ? La reliure aux armes papales présente une large mouillure qui pourrait expliquer qu’elle ait été écartée. Celle d’Henri V pourrait éventuellement s’expliquer par les mésaventures du Comte de Chambord prétendant malheureux au trône. C’est sans doute également le cas des deux enluminures. Quant aux manuscrits ils ont dû servir de base de travail aux enlumineurs.
Quoi qu’il en soit, je suis preneur de toutes hypothèses. »
Qu’en pensez-vous?
H

11 Commentaires

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  2. A Raphaël,
    c'est trouvé!
    Instructif (moins sur ce que j'ai entre les mains que sur l'entreprise), il faut que je l'imprime et regarde cela de près.

    Ah ces proxys…

    Amusant (est-ce le mot?) mais sans surprise pour l'époque, de lire : 25 volumes pour les langues de la France (où je retrouve les traces de mes manuscrits) et 3 volumes pour les langues de l'Afrique…

    Pour les curieux (enfin ça marche chez moi…) : http://www.sureproxy.com/browse.php?u=Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD1udUVzQUFBQVlBQUomcGc9UFAxMSZvdHM9YXBRd2k4RmphWSZkcT1Nb251bWVudHMrZHUrZG9nbWUrZGUrbCUyN0ltbWFjdWwlQzMlQTllK0NvbmNlcHRpb24rMTg1NC0xODc5JmhsPWZy&b=13

    Merci Raphael et merci Harvard! Et si j'osais merci google (un débat sur le sujet?)

    Olivier

  3. Bonsoir,

    Pour Pierre, non pas de Graal (j'ai passé trop de temps en Bretagne pour aimer la forêt de Brocéliande détruite par les vendeurs de planches qui y replantent des pins) simplement une vieille habitude qui me pousse à détester ne pas savoir.

    Encore une fois j'ai acheté tout cela pour les deux reliures qui étaient évidemment d'intérêt (et même si je n'avais pas mon OHR sur moi et que je n'en ai même pas à la maison) et les manuscrits bretons.

    Mais j'ai envie de savoir.

    C'est terrible, c'est comme ça.

    Alors pas de Graal (d'autant que hormis pris en main par les Monthy Python…), mais je remarque que l'on avance aussi moins vite que pour les exemplaires et les éditions qui ont toujours laissé des traces quelque part (et dans les sous-couches de l'internet sans nul doute).

    A Raphaël, je vais tenter de regarder cela mais je suis (devenu) une nouille pour ce qui est de l'utilisation d'internet… Un proxy, une recherche et j'y suis?

    Et pour finir, une citation de l'appendice "essai de décalogue à l'usage de l'antiquaire débutant" du livre de Jacques Helft (Vive la chine! Mémoires d'un antiquaire, 1955; merci à mon frère au passage pour cette délicieuse lecture de vacances) pour dire que je désobéis au premier mais pas au second de ses commandements :
    "1 – N'achète que les objets que tu connais
    2 – Ne crois pas aux miracles"

    et pour la bonne bouche je vous livre la fin du décalogue :

    3 – Regarde l'œuvre avant la signature
    4 – Personne n'est infaillible, seul l'ignorant croit tout connaitre
    5 – Tu te tromperas en achetant, ne te trompes pas en vendant
    6 – Ne raconte pas d'histoires, il faut trop de mémoire
    7 – Achète avec tes yeux non avec tes oreilles
    8 – Si tu doutes d'un objet, vis avec lui : il finira par te parler
    9 – Ne dénigre pas l'objet d'autrui : nul ne croira que toi seul vend de bonnes choses
    10 – Comme à la Bourse, achète à la hausse plutôt qu'à la baisse"

    Bien à vous,
    Olivier

  4. Olivier,

    Je crois me rappeler que vous vous êtes spécialisé dans les trésors insondables… Qu'en est-il devenu de ce manuscrit étrange trouvé sur un vide grenier de Toulouse, je crois ?

    Là encore, le mystère plane. Il vous faudra de l'énergie pour finir ce travail mais je peux vous promettre mon appui pour la canonisation 😉

    Est-ce votre côté "Indiana-Jones" qui vous pousse à plonger sous les rayonnages les moins accessibles d'une librairie pour dénicher le Graal du bibliophile ? Amitié. Pierre

  5. Avez-vous pu consulter sur Google Books le "Monuments du dogme de l'Immaculée Conception 1854-1879" consacré à cette oeuvre si particulière ?

    En regardant en diagonale on voit que La Comtesse et le Comte de Chambord figurent en premier sur la longue liste des généreux donateurs.

    Raphael

  6. Bonsoir Raphaël,
    Pour vous répondre, non ces cahiers n'étaient pas destinés aux pèlerins. En tout cas j'en doute. Ce sont des photographies (sans doute sur albumine en effet) du travail réalisé. On y trouve donc des clichés des reliures, des textes calligraphiés, etc. Les pochettes sont par ailleurs frappées d'un titre géographique("bulle basque", etc.).
    Ce qui m'étonne moi aussi c'est que cette entreprise assez incroyable ait laissé aussi peu de traces.

    Il y a une question que j'ai omis d'inclure dans le poste. L'idée m'est venue de faire monter sur onglets toutes ces photographies (encore faudrait-il les mettre en ordre) éventuellement en réutilisant la reliure "vide" d'Henri V. Dans le même temps comme je crois qu'elles sont une trace du travail réalisé, je ne suis pas sûr que ce soit judicieux.
    Olivier

  7. Le gigantisme de l’entreprise laisse coi.

    Difficile d’imaginer que ces exemplaires n’aient pas été utilisés pour propager la foi mariale.

    Des reproductions des figures auraient-elles pu être disponibles sur les lieux de pèlerinage à la Vierge sous la forme des carnets que vous présentez ?

    S’agit-il d’ailleurs réellement de photographies (sur albumine ?) ou de reproductions par l’un des nombreux moyens mis en œuvre à la fin du 19e ?

    Des copies peuvent-elles aussi avoir fait l’objet de présent à de généreux donateurs dont l’ultracatholique Henri V ? ou bien ces généreux donateurs ont-ils aussi fait reproduire à leur frais certains bons morceaux à l’intention des fidèles du culte marial ?

    Comment cette « montagne déplacée » a –t-elle été financée et quelle(s) entreprise(s) s’est (se sont) occupé(es) de l’aspect matériel ?

    Beaucoup de questions. Aucune réponse. Désolé.

    Bonne journée

    Raphael

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