Des livres et des hommes, de la tragédie au petit confort du bibliophile, conte de Noël raté

Amis Bibliophiles bonjour,
Il arrive souvent que des lecteurs du blog me proposent des livres anciens à acheter. 
Dans 99% du temps, il s’agît de Jean de Bonnot, de Larousse du XXe siècle. Dans 0,5% du temps, les livres sont intéressants et il m’arrive de faire quelques acquisitions ou de renvoyer les vendeurs vers d’autres bibliophiles. 
Les 0,5% qui restent constituent en général des anecdotes hors du commun.
Ainsi le 24 décembre dernier, recevais-je l’email suivant, fort sibyllin, de la part d’un certain Giva Giva: 
« J ai ce livre ,  pouvez vous m aider comment je peux  la vendre ». 
Sans aucune autre information ou photo jointe.
La signature et le texte me laissaient entendre qu’il s’agissait d’un lecteur étranger, j’imaginais donc qu’il était en possession d’un ouvrage français et lui proposais bien volontiers de l’aider sous réserve d’avoir un peu plus d’information. Ne nous cachons pas que je me disais que si un petit miracle de Noël venait déposer un petit livre original sous mon sapin à la dernière minute, je lui ferais avec plaisir une petite place sous l’arbre, puisqu’il n’y a pas de crèche. Jusque là, j’avais encore le sourire aux lèvres.
Quelques minutes après avoir demandé plus de renseignements par email, je recevais une réponse avec les trois photos suivantes.


Je vous avoue que je ne connais pas du tout ce type d’ouvrages et je continuais donc à poser des questions à mon interlocuteur:
« Bonjour,Pourrais-je avoir d’autres renseignements: quelle est l’origine de ce livre?Combien voudriez-vous le vendre?Cordialement,H »
Instantanément je recevais la réponse suivante et une petite alerte commençait à se faire entendre dans mon cerveau:
« C est un livre juif  dans une boîte avec un petit mot  le problème que j arrive pas à comprendre son écriture  et à  propos du prix j ai rencontré 
Des gens ils m ont donné 367000€    J espère plus que ça  si ce sujet vous intéresse je suis à vôtre desposition »
Je décidais d’en savoir plus puisque le vendeur n’avait répondu que vaguement à ma question sur l’origine du livre. Après deux autres emails, je recevais des photos supplémentaires et quelques précisions:
« The box we find it in Syria and you know what happen in Syria now so all most things from there. 
The box it’s with me in Turkey exactly in Istanbul, so the paper I think it’s a certificate of the book and the box it’s amazing glass and the thickness of 1 millimeter.Best regards « 




« The box we find it in Syria and you what happen Syria ». 
Yes I know, indeed. 🙁
Après quelques autres emails, j’annonçais au vendeur que je n’étais pas intéressé et que tout ceci ne me semblait pas très légal. J’obtenais finalement la réponse suivante:
« I will tell you something about this business You know this box with me and there’s to many people under me they are 3 so I don’t know the person who give this amount so when I divided it’s become around 160.000 for meSo sir if possible you can tell me how you can pay for it 
I prefer to meet one person it’s better to meet all the world »
Les emails se faisant plus nombreux et insistants, je proposais 1000 euros. Oui, c’est mon côté bibliophile, je négocie :). Plus sérieusement, cela me permettait de mettre fin à une conversation qui devenait pressante.
Cet ouvrage, dont je ne sais toujours rien ou presque, vient donc de Syrie, d’où il a probablement été sorti illégalement, et se trouve désormais à Istanbul. 
Il est disponible à la vente, à un prix fixé on ne sait comment, mais cela n’est pas le plus important. 
A la réflexion, je me suis également posé la question de savoir ce qu’allait financer la vente de ce livre… Puis j’ai préféré ne pas y penser, mais il est certain qu’avec 160 000 euros on peut financer beaucoup de projets… De tous types. 
Un ami libraire me disait récemment que la bibliophilie est une fantastique machine à voyage dans le temps. Il avait raison, dans le temps et l’espace. 
Je pensais aussi qu’alors que je bibliophilais tranquillement dans mon bureau, des gens étaient bombardés, chassés de chez eux, comme l’a été une partie de ma famille il y a quelques décennies. 
Et que parmi nous, nantis entre les nantis, il se trouvait des gens pour refuser de les accueillir. 
C’était le jour de Noël, mais ce n’était pas un joli conte pour bibliophiles. Et moi j’avais perdu l’envie de vous en écrire un.
H

13 Commentaires

  1. Merci Roch, c'est intéressant tout ça. Bonne année à vous et à tous les lecteurs du Blog !

    Je pensais que les coûts inhérents à la fabrication de "bons" faux étaient prohibitifs… J'avais donc raison de le penser, puisque visiblement vous avez détecté celui-ci et ses semblables dès la prise en main ou presque…

    Tant mieux finalement, au moins cette "chose" qui circule n'est pas une merveille patrimoniale spoliée…

    B.

  2. Suite à mon commentaire ci-dessus, je précise que les manuscrits qu'on m'a présentés sont tous censés être judaïques. Les faussaires doivent penser que c'est plus facilement vendable.

    Les caractères de la fausseté sont :
    -matériellement : l'odeur de la peau. On "sent" que la bête n'est pas morte depuis longtemps.
    -le parchemin, la couture : incohérents.
    -le vieillissement est artificiel et mal fait.
    -les textes et les illustrations sont complètement incohérents : illustrations style XVIIIe dans un manuscrit censé avoir 2000 ans, textes récupérés par morceaux dans les Saintes Ecritures (version massorétique des premiers siècles !) et collés bout à bout.

    Si j'ai du temps, je consacrerai une page de mon blog à ces faux manuscrits.

    RC.

  3. Ce manuscrit est un FAUX. Il fait partie d'une centaine au moins de manuscrits, fabriqués depuis les années 2000 en Lybie (ou ailleurs ?). On m'en a présenté une vingtaine, de différents formats.
    La fausseté en est flagrante, il n'y a pas de doute à avoir.
    L'OCBC s'est intéressé à ce cas, voici quelques années, car un marchand de Cannes, mort depuis, avait essayé d'en vendre un à un certain GL, patron de la société A., lequel a "balancé" ce marchand (probablement de bonne foi, d'ailleurs) à la police.
    Roch de Coligny

  4. Il existe de nombreuses "antiquités". Toutes ne sont pas forcément issues d'un musée, ne valent pas forcément des centaines de milliers d’euros ou n'ont pas toujours 2000 ans. Certains manuscrits éthiopiens en guèze n'ont qu'une centaine d'années et ne valent que deux ou trois cents euros. Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut minimiser leur valeur. Il s'agit de biens culturels représentant une époque. Tout cela ne doit pas être pris à la légère. Nous ne devons pas minimiser ce qui se passe au moyen orient ou en Afrique du nord. Le pillage existe, et il faut en parler !

  5. Si vous avez le moindre doute, vous devriez contacter l'ICOM (Conseil International des Musées en français)via illicit-traffic@icom.museum avec au moins les photos que vous avez. Si cet objet est authentique et provient d'une collection publique ou privée, ils le sauront très rapidement et pourront agir avec les autorités des pays concernés si nécessaire, sans parler du fait que l'objet sera identifié et documenté pour être repéré en cas de tentative de vente.

  6. Merci Tiephaine pour votre commentaire.

    Je ne vous suis que partiellement, je pense en effet que le coffret existe bien et qu'il ne s'agît pas d'une escroquerie "à la photo".

    En effet, sur ce type d'escroquerie à la photo, l'intérêt des escrocs serait de multiplier les petites arnaques à quelques centaines d'euros, qui auraient beaucoup plus de chances d'aboutir. Une arnaque à 160 000 euros qui ne fonctionne pas, ce n'est pas très rentable.

    Du reste, le coffre n'est pas en métal, mais en verre.

    Je crois malheureusement qu'il vient bien d'un musée ou d'une bibliothèque d'où il a été volé, ce qui explique que les vendeurs ont une idée vague de la valeur de ce qu'ils vendent, peut-être parce qu'à côté, justement, ils vendent aussi des statuettes ou d'autres artefacts.

    Hugues

  7. Je me permets d'intervenir sur ce sujet parce que je m'y suis intéressé dans le cadre de mes cours de droit des conflits internationaux. L'actualité, comme bien souvent, s'est fait l'écho d'événements réels mais de façon totalement irréaliste.
    L'Express rapporte sans plus de détails et sans sourciller que l'estimation de la CIA concernant les revenus tirés du trafic d'antiquités (syriennes et irakiennes) s'élevaient à 7 milliards de dollars. Il s'agit en réalité d'une estimation communiquée par Franscesco Bandarin, alors assistant-directeur-général à la culture de l'UNESCO, estimation totalement irréaliste destinée avant tout à la communication sur un sujet grave mais certainement pas dans ces proportions.
    Un (court) article de Neil Brodie s'appuyant sur des faits parle pour sa part de 4 millions annuels estimés.
    http://washington-dc.eunic-online.eu/?q=content/thinking-policies-0#%244%20million

    Il faut également voir de quoi on parle quand on aborde le sujet des "antiquités". Les statuettes et autres figurines sont très rares à dénicher, même sur des sites archéologiques riches, en particulier lorsqu'on considère les œuvres en métal. Ce qui se retrouve le plus sont les fragments de poteries et de bas-reliefs, des ustensiles (couteaux), parfois les pièces, beaucoup plus rarement des tablettes d'argile ou des fragments de mosaïques. Autant dire que les pièces monnayables auprès de collectionneurs privés sont rares, et que si la demande existe, il vaut mieux ne pas se faire attraper. Les réseaux d'échange sont extrêmement opaques et n'opèrent pas sur internet, ne fonctionnant qu'en réseaux courts avec des intervenants connus et "de confiance" (d'où la présence de certains objets remarquables jusque chez Sotheby's), et ne s'activant que pour certaines pièces très particulières dont on sait qu'elles ont une valeur réelle.

    Dans le cas qui nous intéresse, on est en présence d'un ensemble qui aurait été "trouvé" en Syrie. La boite est très crasseuse, comme si elle venait de sortir de terre, mais bizarrement elle ne montre qu'assez peu de signes de corrosion (juste assez pour ne pas la défigurer tout en la rendant crédible). Quant au manuscrit lui-même, il présente de très fortes ressemblances avec des ouvrages manuscrits éthiopiens; son état est remarquable vu les conditions de conservation qui sont présentées, d'autant qu'on observe parfaitement bien que la boite n'est absolument pas étanche.
    Les circonstances de l'offre sont troublantes: un anonyme contacte un tout aussi anonyme via internet pour lui proposer ce qu'il présente sans sourciller comme un artefact issu du chaos syrien, avec photos à l'appui, présentant même un "certificat d'authenticité" bien entendu d'époque et illisible, le tout se trouvant en Turquie. Quant au prix demandé, il est délirant et n'a aucun rapport avec ce qui peut s'observer sur les marchés, au point qu'il sera d'ailleurs bradé sans trop de problème à 160 000€ après un méli-mélo d'embrouillamini à propos de plusieurs personnes qui permettent de diviser le prix.

    Donc, on a A) un coffre terreux qui exclut le pillage d'un musée, B) un manuscrit dans un état "exceptionnel" mis en relation avec un coffre qui ne peut pas avoir servi à l'abriter, C)un manuscrit "éthiopien" trouvé dans un pays qui D)subit un chaos total qui permet de noyer les questions facilement sans avoir à fournir de détails et E) entre les mains d'un turc qui demande un prix irréaliste à F) un anonyme français contacté via internet.

    Même pas besoin de faire un exposé sur l'idéologie du Califat Islamique pour comprendre que ces 6 éléments pris isolément hurlent à la tentative d'escroquerie. Alors additionnés, et replacés dans le contexte du trafic d’œuvres d'art entre la Syrie et l'Occident via la Turquie et l'Egypte, il n'y a plus vraiment place pour le doute…

  8. Je ne suis pas totalement d'accord avec cela. Qu'il existe de nombreux faux dans le marché de l'art cela ne fait aucun doute et ce depuis des décennies. Mais les situations politiques actuelles sont telles que le marché noir de l'art est devenu monnaie courante. Ce n'est pas la première fois que l'on pointe du doigt le trafic d'antiquités. Les situations terroristes ne sont plus simplement idéologiques, c'est devenu un vrai business, une entreprise à part entière. Je vous laisse lire ces deux articles de presse :

    http://www.lexpress.fr/culture/art/trafic-d-antiquites-l-ombre-de-daech-sur-le-marche-de-l-art_1709720.html

    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/11/19/esclavage-rancons-petrole-pillage-comment-se-finance-l-etat-islamique_4812961_4355770.html

  9. 99,99% des "antiquités" syriennes (et égyptiennes et irakiennes et grosso modo tout ce qui sort du Moyen Orient) que l'on peut trouver "disponibles sur le marché" sont des faux, très bien réalisés mais n'ayant aucune valeur. La plupart du temps, les contrefaçons sont écoulées via des revendeurs turcs ou égyptiens.
    Les prix sont délirants parce que ces personnes ne sont pas des pros du trafic d'antiquités et n'ont aucune idée de la valeur de ce qu'ils produisent, bien qu'ils soient de très bons artisans et soient capables de créer des "antiquités" très convaincantes pour un œil non averti (il n'est pas très difficile de vieillir du métal et du papier avec de l'acide et de la poussière…).
    Quant à l'objet lui-même, je peux croire que la Syrie a un passé très riche, mais je ne vois pas trop comment un manuscrit éthiopien aurait fait pour se retrouver dans les mains d'un petit revendeur turc. Donc de deux choses l'une: soit ça provient d'un musée pillé et effectivement on est dans un cas de trafic d'antiquité caractérisé (l'objet n'ayant aucune valeur commerciale puisque faisant partie d'une collection, il a forcément été référencé et identifié), soit c'est une "belle" imitation/reproduction.
    Je penche pour la seconde solution: un ouvrage identifié comme judaïque par l'étoile de David, pillé en Syrie par des forces rebelles aux très fortes tendances islamistes, verrait ses chances de survie tenir du miracle, tant sa destruction est un objectif idéologique et un superbe moyen de propagande.
    Je suis étonné qu'il n'ait pas répondu à votre offre à 1000€. Peut être qu'avec quelques jours de patience, vous auriez été recontacté pour finaliser la vente. 🙂

  10. J'ai eu le même cas il y a quelques mois avec un manuscrit arabe enluminé, échange téléphonique, envoie de photos SMS, j'avais rencontré le vendeur dans un bar, en le faisant parlé il avait fini par me lâcher que le manuscrit était dans ses mains depuis le printemps arabe tunisien, qu'il était réglable seulement en espèce et j'avais compris qu'il n'était pas vendable sur internet ni possible de l'inscrire sur le livre de police, en gros cela devenait clairement du recel et j'avais décliné bien évidement. Dans ce bar, j'avais eu le manuscrit en main ce n'était pas une arnaque à la photo, il était bien réel et disponible en France, si j'avais réglé immédiatement je partais avec. Dans de tels cas entre civisme, lutte contre le trafic de biens culturels et délation, a t'on vraiment le choix éthique ? Un petit transfert de mail a Interpol prend deux secondes. Ne serait ce que par sécurité, car publier les photos sur le blog n'est pas très plaisant pour ces personnes qui aiment avant tout la discrétion et l'ombre. A moins que ce ne soit qu'un conte de Noël écrit de manière bien réaliste, merci pour cette publication.

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