Amis Bibliophiles Bonsoir,
Avant toute chose, je vous prie de m’excuser pour mon silence de ces derniers jours, mais comme je l’écrivais il y a une semaine, ma vie professionnelle est actuellement légèrement mouvementée, et je vais avoir des difficultés à poster des messages dans les 5 jours qui viennent (déplacement à l’étranger). Quelques paragraphes néanmoins…
Vous connaissez sans doute le libraire espagnol Don Vincente, qui assassina ses clients bibliophiles (http://bibliophilie.blogspot.com/2007/07/vicente-moine-libraire-et-assassin-une.html), mais connaissez-vous une autre tragédie qui touche à la bibliophilie: la mort d’un jeune et très prometteur bibliophile lors du naufrage du Titanic? C’est Jean-Paul qui m’a le premier parlé de cette anecdote, que je vous livre aujourd’hui.Harry Elkins Widener, 27 ans, a en effet sombré avec le navire de la White Star dans la nuit du 14 au 15 avril 1912. Harry Elkins Widener est né en 1885 et a développé très tôt un goût pour la bibliophilie, qu’il a cultivé après son passage à Harvard en 1907, et que l’immense fortune de ses parents lui a permis de développer. Ainsi, a seulement 27 ans, il possédait (presque)… une bible de Gutenberg.
Au printemps 1912, il a ainsi transversé l’Atlantique d’Ouest en Est pour rejoindre la vieille Europe et y acquérir de nombreux ouvrages, dont une seconde édition des Essais de Bacon (1598). Il voyageait avec ses parents et leurs domestiques. Après l’Angleterre, ils visitèrent la France avant d’embarquer pour le voyage de retour vers l’Amérique à Cherbourg, sur le Titanic.Le célèbre paquebot fit en effet escale à Cherbourg: parti de Southampton le mercredi 10 avril 1912 à midi, le nouveau palace de la White Star Line devait, quelques heures plus tard, toucher le port de Cherbourg et faire son entrée par la passe de l’ouest à 18h30. Cette escale était tout de même importante pour la compagnie, car elle permettait ce jour là d’embarquer 274 passagers supplémentaires.
Parmi ces passagers se trouvaient Harry Widener, ses parents et leurs deux domestiques, qui occupaient les cabines de première classe C-80-82 (numéro de billet 13503, prix 211 Livres Sterling). Le soir du drame la famille Widener participa d’ailleurs à un dîner donné par le capitaine en compagnie des passagers les plus riches.
Néanmoins, à 23h40 le Titanic percuta un iceberg sur le flanc tribord avant de sombrer à 2h20 au large de Terre-Neuve. Entre 1 491 et 1 513 personnes périrent.
Harry Widener aida sa mère à embarquer sur le canot n°4 avant de rebrousser chemin dans l’attente du départ du canot principal, ce qui décida malheureusement de son destin puisqu’il disparu avec le paquebot. L’épave fut localisée en 1985. Elle git à 3 843 mètres de profondeur à 650 km au sud-est de Terre-Neuve.Une anecdote que Madame Widener ne confirma jamais prétend que Harry rebroussa chemin pour aller récupérer son Bacon. Ce qui est certain en revanche, c’est que Madame Widener fît un don de 2 millions de dollars pour construire dans l’enceinte de Harvard une bibliothèque qui abriterait la collection de son fils et servirait de mémorial. Cette bibliothèque ouvrît ses portes en 1915 et existe toujours et fût conçue pour abriter 3 millions d’ouvrages sur plusieurs dizaines de kilomètres de rayonnages.
Quel bibliophile était Harry Elkins Widener? Ses goûts étaient assez larges, avec une prédilection pour les auteurs anglo-saxons du 19ème en édition originale (Dickens, Stevenson, Brontë, etc.) mais comme je l’ai écrit plus haut, il ne détestait pas les grands classiques, puisqu’il avait hérité d’une Bible de Gutenberg qui fait aujourd’hui la fierté de la Bibliothèque: c’est de plus un exemplaire bien connu, qui a successivement appartenu à Pierre Henri Larcher (Paris, 1814), Lord Ashburnham (1840), dont le fils le revendît à Bernard Quaritch (1896). Peu de temps c’est Robert Hoe qui en devînt l’heureux propriétaire (il la rangeait d’ailleurs juste à côté de mon exemplaire Hoe qui porte donc des poussières de Bible de Gutenberg, sourire), puis à nouveau Quaritch avant que le grand-père de Harry Elkins Widener ne l’achète. L’exemplaire fût remis à la bibliothèque en 1944.Je termine par un document attachant, une lettre adressée par le jeune bibliophile à son ami Luther Livingston, libraire à Philadelphie le 10 mars 1912 dans laquelle il lui écrit qu’il va effectuer un voyage rapide vers Angleterre, à bord du Mauretania, avant de revenir avec le voyage inaugural du Titanic. Il termine sa lettre par les mots suivants: « un secret,… grand-père a acheté l’exemplaire Hoe. N’est-ce pas merveilleux? J’espérais que ce soit pour moi, mais ce n’est pas le cas! ».
Qui sait quels livres dorment encore au fond de l’océan avec lui…
H
Hugues, j’ai honte de l’écrire, mais la première question que je me suis posée en tant que bibliophile fût celle que vous vous posez à la fin de votre post…
Harry Widener était allé à Londres pour assister chez Sotheby aux premières vacations concernant la vente de la célèbre bibliothèque anglaise d’Alfred Henry Huth (1850-1910), fils de Henry Huth (1815-1878), qui se déroula de 1911 à 1920.