L’abbé Pourcher : un abbé pas comme les autres.

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Je laisse ce soir à la parole à Bertrand, qui vous propose un superbe message sur L’Abbé Pourcher:

Dans la liste des abbés insolites et remarquables ce ne sont pas les candidats qui manquent à l’appel.

Dans le genre mystérieux vous avez un certain abbé Béranger Saunière (1852-1917), que les amateurs de chasse aux trésors hypothétiques connaissent bien (votre serviteur en premier).

Dans le genre iconolaste et rebelle vous avez le célébrissime curé Meslier (1664-1729) qui laissa sur son lit de mort un copieux testament anticlérical bien connu des amateurs d’athéisme.

Dans le genre gaudriole les noms ne manquent pas, mais on évitera de les citer.

Il y a aussi ceux qui se déguisaient en fille durant le siècle de Louis XIV, mais là c’est une autre histoire…

Je vous propose aujourd’hui de découvrir un abbé, qui une fois n’est pas coûtume, s’est transformé, pour les besoins de la propagande religieuse et la diffusion plus libre de ses écrits, en imprimeur à domicile.

Un abbé-imprimeur, rien de bien extraordinaire me direz-vous. Sans doute, mais suffisamment intéressant pour vous en faire le portrait et vous donner la liste de quelques unes de ses productions.

Car c’est ici l’histoire d’un homme connu pour un seul livre, de taille, sous le titre :

« Histoire de la bête du Gévaudan véritable fléau de Dieu, d’après les documents inédits et authentiques, par l’abbé P. Pourcher, curé de Saint-Martin-de-Boubaux. Chaldecoste-Mende, chez l’auteur. 1889. » NDLR (Hugues) : Sous le terme de « Bête du Gévaudan », on regroupe une série d’évènements qui eurent lieu du 30 juin 1764 au 19 juin 1767. Durant cette période, plusieurs dizaines d’attaques mortelles et de nombreuses autres, non mortelles, furent attribuées à un animal (considéré d’abord comme un loup) ou à plusieurs animaux, dans le Gévaudan, (centre de la France).Gravure coloriée du XIXè siècle montrant la bête du Gévaudan
L’abbé P. Pourcher ? Qui était-il ?

Pierre Pourcher est né au Mazet de Jullianges au nord de la Lozère en 1831 et décédé en 1915. Erudit local s’intéressant plus spécialement à sa région, la Lozère, il a du je pense mener une vie de curé de campagne tout ce qu’il y a de plus ordinaire, avec en plus cette envie non seulement de publier ses textes, notamment sur l’histoire de la bête du Gévaudan, mais sur divers sujets de théologie et de mysticisme.
Couverture de papier gris de l’ouvrage principal du Curé Pourcher Il publie son ouvrage sur la bête du Gévaudan en 1889, il a 58 ans. C’est chez lui, sur ses propres presses (à bras ?) qu’il imprime ce monumental ouvrage. Plus de 1.000 pages pour un format inhabituel, le petit in-12 mesurant environ 14 x 10 cm ! Ce qui donne un ouvrage très épais (voyez la photo).
Vue de dos de l’ouvrage de l’abbé Pourcher sur la bête du Gévaudan.
Volume d’une étonnante épaisseur ! Dimensions : 14 x 10 cm environ.
Cet ouvrage est très rare. Le curé devait imprimer ses ouvrages à petit nombre, voire à très petit nombre (200 exemplaires ? Peut-être 100 exemplaires, peut-être même encore moins).

La papier qu’il utilisait, si j’en juge par un exemplaire d’un autre de ses ouvrages que j’ai en mains, était d’assez mauvaise qualité (papier mat non encollé, de type papier buvard, non glacé, il absorbait visiblement beaucoup trop l’encre).
Couverture d’un autre ouvrage de l’abbé Pourcher
Antéchrist, 1880.
Quant à l’impression, franchement, ce n’est guère mieux ! Les caractères apparaissent sur le papier souvent flous, baveux, il y a souvent des traces d’encre en marge des feuilles (salissures des outils de l’imprimeur).
Quatrième de couverture de Antéchrist, 1880.
Publicité pour d’autres de ses ouvrages pieux.
Pourtant la correction typographique, l’orthographe et la mise en page sont bonnes. C’est seulement l’exécution matérielle qui semble laisser à désirer dans ses productions. Mais quel matériel possédait-il ? modeste ? usagé ? je ne le sais pas. Page de titre de Antéchrist, 1880.
Assez mal imprimée sur mauvais papier comme on peut le voir.
L’abbé est un mystique, si son principal ouvrage dont on vient de parler est passé à la postérité grâce au sujet traité qui suscite toujours l’engoûement pour le mystère, la plupart de ses autres ouvrages relèvent plutôt des illuminés chers à Blavier.

Voici une liste de quelques ouvrages écrits et imprimés par ses soins :

– Mois de Marie des pauvres paysans, 1 vol., 336 pages, 60 centimes.
– Devoirs de piété envers les morts (1882), 1 vol., 352 pages, 80 centimes.
– Heures pieuses pour les fidèles nobles et villageois, 1 vol. 336 pages, 45 centimes franco.
– Acta Sanctae Virginis Enimae, 1 vol., 192 pages.
– Merle et seize cents prêtres massacrés, 1 franc et 50 centimes.
– Antéchrist, son temps et ses œuvres d’après l’écriture sainte et les saints pères, 1880. 112 pages, 50 centimes.
– Saint-Sévérien, premier évêque de Mende et actes de Saint-Privat. 1 vol. in-18, 160 pages, 60 centimes.
– Saint-Pierre de Chavanon.

Les ouvrages cités ci-dessus sont tous mentionnés au contreplat du livre de 1889 sur l’Histoire de la bête du Gévaudan.

On a trouvé trace également d’un ouvrage intitulé :

– Essai historique sur la ville de Langogne, 1900 (reprint en vente sur le net).

et de ceux-ci grâce au catalogue collectif des bibliothèques de France (non exhaustif) :

– Dictionnaire explicatif de quelques maladies critiques et de prognostics dangereux rédigés en maximes, approuvé par la Faculté de Paris / mis en ordre par l’abbé P. Pourcher (1897).
– Histoire de la confrérie des cordonniers, savetiers, cuiratiers et marchands de cuir, suivie d’autres actes inédits concernant la ville d’Alais / par l’abbé P. Pourcher (1892).
– L’ Épiscopat français et constitutionnel et le clergé de la Lozère durant la Révolution de 1789, le tout tiré des authentiques. / par l’abbé P. Pourcher (1896).

Tous ces ouvrages, même ceux sans grand intérêt, sont aujourd’hui introuvables ou presque. La bibliothèque nationale n’en possède presque aucun. Peut-être la magie d’internet fera-t-elle ressortir du fond d’une cave lozérienne quelques exemplaires poussiéreux de l’Antéchrist ou de Saint-Sévérien ou des Prêtres massacrés ??
Page de Antéchrist très mal imprimée.
L’encrage n’est pas homogène et la netteté des caractères n’y est pas.

C’est ce qui m’est arrivé avec un exemplaire de l’Antéchrist, publié par ses soins en 1880, et dont voici quelques photos qui vous permettront de juger et de l’impression et du soin (ou plutôt du manque de soin) apporté à l’édition.
Tâches d’encre en bordure de page de Antéchrist.
De nombreuses pages sont ainsi maculées.

Il existe par ailleurs une petite plaquette de 30 pages publiée récemment par Guy Crouzet sur l’abbé Pourcher. Je ne la possède pas mais l’auteur dit qu’on y donne des documents retrouvés par l’auteur aux Archives de Mende qui nous révèlent l’attachante personnalité de ce « curé-imprimeur » hors du commun. On y trouve aussi des photos inédites du fusil avec lequel Jean Chastel tua la bête le 19 juin 1767.
Achevé d’imprimer de Antéchrist, 1880.
Imprimé à son domicile.

Je tiens à remercier particulièrement M. Hugues Rossignol pour m’avoir autorisé à publier sur ce blog les photographies de l’exemplaire qu’il possède de l’Histoire de la bête du Gévaudan. Les exemplaires de cet ouvrage en sont si rares et si recherchés que cela a été une rencontre fortuite qui m’a motivé pour vous donner cet article.
Page de titre et faux-titre de l’Histoire de la Bête du Gévaudan, 1889.

Il y a deux exemplaires de cet ouvrage à vendre actuellement sur les sites internet. L’un à 1.500 euros et l’autre à 950 euros. Deux exemplaires sont listés sur le CD-ROM Artprice Argus du Livre de Collection. L’un vendu en 1986 au prix de 1.600 francs soit 244 euros (reliure demi-chagrin vert) et l’autre en 1987 au prix de 1.000 francs soit 152 euros, broché.

Aucun exemplaire répertorié depuis. Je n’en ai pas trouvé d’autres disponibles actuellement chez les libraires. Cet ouvrage a fait l’objet d’une réimpression par les soins des Editions Jeanne Lafitte (1996), disponible au prix plus raisonnable de 75 euros.

C’est nettement moins cher ! Mais vous n’aurez pas l’originale et le véritable travail d’imprimeur du curé-imprimeur entre les mains.

Evidemment, tous ceux ici qui connaissent déjà le personnage et auraient de plus amples informations à son sujet sont invitées à nous les faire partager.

En espérant que vous avez pris autant de plaisir à lire cet article que j’en ai eu à vous le proposer.

Amitiés bibliophiliques, Bertrand. Merci Bertrand,H

6 Commentaires

  1. Merci Bertrand pour ce sublime article. Pas facile de laisser un commentaire sur un article aussi abouti. J’ai hâte de découvrir le prochain.
    Eric

  2. Merci, Bertrand, pour cet article proprement passionnant sur un abbé aux goûts si variés et qui, malgré ses lubies mystiques, m’est d’emblée éminemment sympathique, à la fois pour ses centes d’intérêt et son application typographique, trahie par un matériel défaillant…
    Guillaumus

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