Bibliophilie et musicologie. Le dictionnaire de musique de Jean Jacques Rousseau ; Edition originale et contrefaçons.

Amis Bibliophiles bonjour,

Tout le monde connait les grands écrits philosophiques de Jean-Jacques, mais il fut aussi épris de musique et de composition. Si de ses partitions est passé à la postérité seulement « le devin de village », ses écrits sur la musique, sont bien plus nombreux et intéressants. Ils ponctuent l’évolution de ses pensées et de ses connaissances musicales. Articles sur la musique pour l’encyclopédie, « lettre sur la musique française », lors de son implication dans la Querelle des Bouffons. Très critique des traités d’harmonie de Rameau, il les réduit à de simples outils de composition. Il privilégie une approche mélodique et sensible de la musique, une harmonie « de la nature et de la vérité »

 Citons encore son « essai sur l’origine des langues », ses travaux sur une nouvelle notation musicale… et bien sûr son dictionnaire de musique. Ce dernier, est plus qu’une édition des articles remaniés de l’encyclopédie, il est aussi une synthèse de sa pensée musicale, des polémiques entretenues, et de ses inimitiés…L’article « harmonie », sent par exemple le règlement de comptes avec Rameau, l’article » exécution », est encore chargé des noms d’oiseaux qui s’échangèrent entre le coin du roi et de la reine lors de la Querelle des Bouffons.

Dans la préface, il en explique la genèse contrariée qui n’a pas permis une égalité de niveau de tous les articles, il répond aussi par avance aux critiques inévitables « (…) cet historique m’a paru nécessaire pour expliquer comment les circonstances m’ont forcé de donner en si mauvais état un livre que j’aurai pu mieux faire (…)  Si les manœuvres et les croques notes relèvent souvent ici des erreurs, j’espère que les vrais artistes et les hommes de génie y trouveront des vues utiles (…) »

Ce dictionnaire de Musique est bien souvent présenté comme le premier dictionnaire français consacré uniquement à ce thème, je ne serai pas aussi affirmatif, puisque Brossard, en 1703 publiait confidentiellement un dictionaire (sic) de Musique in folio souvent joint à une partition, dictionnaire qui fut publié seul au format in 8 en 1705 chez Ballard 2ème édition en 380 pages, « dictionaire de Musique contenant une explication [totalement en français] des termes grecs italiens et français » somme non négligeable, qui précéda de 68 ans celle de Rousseau. Mais Sébastien Brossard n’avait pas l’aura du philosophe et il reste oublié de la majorité des musicologues. Pourtant Rousseau connaissait bien ce livre, et l’avait lu, s’en est-il inspiré ? Il l’égratigne dans sa préface, peut être voulait il tuer toute comparaison dans l’œuf ?  « J’ai taché d’éviter l’excès de Brossard qui donnant un Dictionnaire François en fait le vocabulaire tout italien et l’enfle de mots absolument étranger à l’art qu’il traite (…)»

Le dictionnaire de Rousseau, rencontra quant à lui un succès éditorial important et j’en ai repéré 4 éditions différentes à la date de 1768.

EO In quarto

L’Edition originale est A Paris Chez la Veuve Duchesne, libraire, rue Saint Jacques et au temple du Goût MDCCLVIII [1768] Avec Approbation et privilège du Roi,  In-quarto (25 x 20 cm) de XII, 548 pages 1 feuillet de privilège , 1 feuillet blanc et 13 planches repliées. Les planches sont numérotées A à N, sans planche J ce qui est normal et commun à tous les exemplaires.

Planche EO in quarto

Les XII premières pages comprennent titre, préface, avertissement et errata sur 2 pages. Les pages Iv à IX portant numérotation, les autres non numérotés. Il n’y a pas de faux titre, ce qui est également commun à tous les exemplaires in quarto. Tous les volumes in quarto ont cette collation et au bas du verso du privilège est écrit « de l’imprimerie de la veuve Ballard ». Il n’y a, à ma connaissance qu’une édition in quarto Veuve Duchesne 1768 et pas de contrefaçon dans ce format onéreux.

Verso privilège EO in quarto

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Dans le même temps et comme il était souvent d’usage, la Veuve Duchesne publie à la même date une édition in8  20 x 13 cm, de XIV pages, incluant faux titre et titre, suivi de 1 feuillet de privilège, 547 pages, au verso de la 547 un errata, puis un extrait de catalogue de la veuve Duchesne sur 4 pages et 13 planches repliées. Les planches sont tirées avec les mêmes cuivres que les planches de l’édition originales mais sur papier plus faible et plusieurs fois repliées.

In8 Veuve Duchesne même année que l’originale

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Si je n’ai pas identifié de contrefaçons in quarto, j’ai pu trouver deux éditions distinctes d’une très probable contrefaçon in8 ,  La première XII feuillets titres inclus, mais pas de faux titre, 547 pages et 1 feuillet d’errata comprenant 15 lignes, 13 planches provenant de cuivres différents de ceux de l’édition originale, de moins bonne qualité de netteté, plusieurs doubles barres oubliés, le nom de madame de Lusse n’apparait plus à la planche A

In8 Contrefaçon 1 même année que l’originale

In8 Contrefaçon 1

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Toutefois le contrefacteur était pointilleux, on trouve un deuxième tirage postérieur très similaire, avec un fer différent au titre, XII feuillets titres inclus mais pas de faux titre, 547 pages et 1 feuillet d’errata ne comprenant plus que 4 lignes, et l’on constate effectivement qu’un grand nombre de fautes de la contrefaçon précédente ont été corrigées. Le Bandeau en début de dictionnaire et les culs de lampes en fin de chaque lettre alphabétique sont devenus typographiques, en remplacement des cuivres.

IN8 contrefaçon 2 même année que l’originale

In8 Contrefaçon 2

Errata contrefaçons 1 et 2

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Comparaison de quelques planches

En résumé, si vous voulez, sans vous poser de questions acquérir l’originale, il faut choisir l’in quarto chez Veuve Duchesne à la date de 1768, pour l’in8 avec les mêmes planches, il faut qu’il y ait un faux titre, le catalogue de la veuve Duchesne in fine, toutefois si vous voulez un exemplaire de texte moins fautif, choisir la dernière contrefaçon à la date de 1768, avec l’errata de 4 lignes, mais les planches seront moins belles.

L’idéal étant peut-être d’avoir les quatre, alors, tel un Rochebillière moderne, vous pourrez vous amuser à chercher les différences et points communs…et qui sait repérer un jour d’autres versions.

Le catalogue de la Vve Duchesne nous apprend que ce dictionnaire se vendait 24 livres in quarto et 9 livres in Octavo ces prix s’entendant pour des exemplaires brochés, le in Octavo étant vendu 12 livres relié. C’est donc une bonne vingtaine de jours d’un ouvrier agricole en version in quarto, la culture n’était pas si facilement accessible…

Une fois n’est pas coutume, en conclusion, hommage à Sébastien de Brossard le précurseur oublié de Rousseau sur cet exercice du dictionnaire de musique…

Daniel Bayard janvier 2020

4 Commentaires

  1. Réponse d’un bibliophile musicien: je suis dépositaire d’un exemplaire. Certainement une contrefaçon. Je vous en dirai plus demain. Suspense….

    • Voilà, en comparant les photos l’exemplaire en ma possession est la deuxième contrefaçon. Ouvrage trouvé sur un site d’enchères pour une somme dérisoire. Le vendeur m’avait d’ailleurs immédiatement proposé d’annuler la vente si je ne voulais plus acquérir l’ouvrage.
      Merci pour cet excellent travail.

  2. Merci pour ce billet passionnant sur un titre de Rousseau que je ne connaissais pas et qui pourtant semble avoir eu du succès, à en juger par les éditions et contrefaçons … Qui achète ces titres, des bibliophiles, des musiciens, des bibliophiles-musiciens ?

    • Comme pour tous les autres corps de métier, (architecture, médecine, droit) les musiciens et artistes sont bien évidemment aux rangs des collectionneurs d’ouvrages de musicologie, mais des bibliophiles plus généralistes sont également actifs.

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