La mort, ou la fin du Bibliophile

Amis Bibliophiles bonjour,

J’achète moins de livres. De moins en moins. Quasiment plus. Comme tout le monde j’en ai l’impression… C’est devenu beaucoup plus rare, pour des livres beaucoup plus chers. Ces bons livres qui trouvaient acquéreurs pour 200-300 euros il y a quelques années et dont je me rassasiais me semblent désormais boudés, que ce soit sur les étagères des libraires ou dans les salles des ventes.

Mais peut-être est-ce de l’égo-bibliophilie, et que cette impression ne concerne que moi. Cette année, jusqu’à la rentrée de septembre, sur douze mois, je n’avais acquis que 4 livres. C’était peu, mais cela me convenait, j’achetait quelques tableaux et quelques objets de curiosité en parallèle. Ma « collectionite » était rassasiée. C’était une mort bibliophilique en pente douce, aussi lente qu’inéluctable; et consciente en plus.

J’étais moins bibliophile. Moins présent ici, comme vous avez pu le constater. Parce que moins bibliophile et parce que 2019 a été une annus horribilis sur le plan personnel. L’horreur. Totale.

Mais revenons à la bibliophilie: j’achetai peu, raflai un ouvrage longtemps convoité à la vente Mitterrand, une rareté dans une vente étrangère, deux EOs sur grand papier du 19e et voilà, c’était tout. Douze mois s’étaient écoulés. J’étais moins bibliophile. Je n’avais plus le coeur à ça, je n’avais plus le coeur qui bat. En fait, ce n’est pas que j’étais moins bibliophile, il ne s’agissait que de derniers soubresauts. Je ne suis plus bibliophile.

J’ai fini par accepter l’idée. Je ne suis plus bibliophile. Je ne suis plus bibliophile, parce que je n’étais plus ici. Je ne suis plus bibliophile parce que je n’achète plus de livres et, accessoirement parce que j’avais terminé le livre sur Uzanne: j’ai tout dit, assez acheté. Terminé. Refermez le livre, fermez le ban.

Et puis est apparu ce lot dans un catalogue de vente provinciale, mon Graal bibliophile. La bête bougeait encore et je l’arrachai aux enchères. De haute lutte. Mais voilà, je ne suis plus bibliophile, et je mis deux mois avant d’aller chercher le lot.

En le voyant, je poussais un long et lourd soupir. J’avais sous les yeux mon Graal. Je le possédais. Cette fois, c’était fini. Et bien fini.

Je ne regardai plus les catalogues. De quoi pouvais-je avoir envie?

Et c’est vrai, je n’ai plus envie.

Hier, après que les livres sont restés quelques jours de plus dans un carton, l’idée – saugrenue – me prît de les regarder, de les ouvrir un par un et de leur trouver une place dans ma bibliothèque. Je les alignai, vingt soldats témoins de ma chute. Il m’a fallut déplacer leur frères, réorganiser l’ensemble, pour enfin leur trouver leur place dans cette armée à la fois fière et impuissante. Cette fois c’était acté. Le Graal était sous mes yeux, la quête était terminée.

Je le sais, je le sens, je ne suis plus bibliophile. J’ai bouclé la boucle.

Et un miracle se produisît.

Face à ces vingt soldats dont on n’espérait plus le sauvetage, mon coeur se remplît, et je me souvins qu’être bibliophile, ce n’était pas acheter, comme on l’oublie souvent, mais aimer.

Je m’étais perdu, attiré dans les profondeurs. Je me croyais perdu, et ces livres, comme une vague inattendue, me ramenaient au bord.

Je suis bibliophile. Encore.

H

9 Commentaires

  1. Bonjour, j’espère vraiment que vous rechopiez le virus Hervé (Hugues) Je vous souhaite une bonne année 2020, pour le plaisir de vous lire…On pouvait le sentir depuis le prix de l’argent. pouvez vous me dire a quoi correspond « les shriffen » Allemand que chaque grand auteur faisait publier au 18 et 19ème siecle. Merci…Bonne journée. Bernard

  2. Merci pour ce beau billet. Oui, on connaît tous ça… Ma bibliophilie connaît des moments de saturation, avec des pauses qui peuvent durer six mois, voire plus, pendant lesquels je n’ouvre aucun catalogue… Mais la bibliothèque demeure, et je finis toujours par y revenir – comme toi je l’espère.

  3. Merci Hugues pour ce billet personnel et sensible qui, je crois, nous touche tous. A divers titres, nous avons éprouvé des moments de lassitude, de détachement ou de désamour envers les livres ; en bibliophilie, comme dans le reste de la vie, il y a des instants de vigueur et de bouillonnement, puis des épisodes de léthargie ou d’éloignement. C’est en tout cas mon fonctionnement, mais dans la quête du Graal, c’est la quête qui m’attire et celle-ci est toujours renouvelée.
    C’est un peu tôt pour les voeux, mais je vous souhaite tout de même une année 2020 plus douce et de nouveaux graal (petits ou grands) à atteindre !
    Philippem

  4. Merci pour ce texte émouvant, et de partager avec nous des sentiments et des émotions si intimes. Tout collectionneur craint de voir un jour s’éteindre le feu sacré …
    les lecteurs du blog soufflent à l’unisson sur les braises pour rallumer et nourrir cette belle flamme.
    Hervé, nous sommes avec toi…

  5. Je prends connaissance seulement maintenant de tes soucis 2019.
    Que mes pensées et surtout la Force soient auprès de toi. Nul doute que tu vas rebondir et par là même, retrouver appétence pour la chasse au Snark, aux livres, au bonheur quoi.
    Bien à toi.
    B.

  6. Bibliophile un jour, bibliophile toujours ??? merci Hugues pour ce texte, qui nous parle à tous, de ce que tu ressens, de ce qu’on peut tous ressentir, face aux épreuves, bibliophiliques et (surtout) non bibliophiliques.
    Il nous arrive de croire qu’une quête s’achève quand on trouve le graal ; mais c’est toujours pour nous rendre compte que ce n’est pas LE graal ; qu’il reste à découvrir ; qui sait ? il existe peut-être ? cette série de 20 livres, peut-être qu’elle existe en reliure uniforme ?
    Et la quête n’est effectivement pas tout (même si elle prend beaucoup de notre temps 😉 ) – la connaissance, la jouissance de ces petits (ou non) graals, sont tout de même l’essentiel…
    j’arrête là, il faut que j’aille lire un numéro de Noël d’une revue de dames, dans laquelle un certain Jérôme D… a publié un conte 🙂

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