L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert: synthèse et histoire des différentes éditions XVIIIe (tirage, prix, formats, etc.)

Amis Bibliophiles bonjour,
L’Encyclopédie.
Les bibliophiles croisent régulièrement cette oeuvre majeure de la littérature française, dans ses diverses éditions. Je vous propose de découvrir l’envers du décor de ce monument, ou plutôt les coulisses de la publication de l’Encyclopédie, non pas en étudiant les travaux menés par Diderot et ses autres rédacteurs, mais en se penchant sur l’histoire des différentes éditions du XVIIIe siècle, et quelques uns de leurs secrets.Denis Diderot On estime que la première édition de l’Encyclopédie, tirée à 4225 exemplaires rapporta un bénéfice brut d’environ 2 500 000 livres, une somme astronomique pour l’époque. Le gouvernement ayant refusé d’en autoriser la vente libre, la plupart des exemplaires furent écoulés hors de France. Ce fût également le cas pour la deuxième édition in-folio, produite à Genève sous l’égide de Charles Joseph Panckoucke et de ses partenaires: en juin 1775, selon Georges B. Watts (Charles Jospeh Panckoucke, « l’Atlas de la librairie française », Studies on Voltaire and the 18th Century, 68 – 1969), les partenaires avaient écoulé 3330 exemplaires en Europe. On estime alors qu’à cette date, soit 3 ans après la fin de la publication de l’édition originale et après la publication de la deuxième édition, en 1776, environ 3000 exemplaires étaient situés en France.

Le succès était immense, et il fît naître de nombreuses vocations:
Panckoucke d’abord, cet Atlas de la librairie comme le surnomme Watts, qui identifia rapidement le potentiel économique de l’Encyclopédie, et racheta en 1768 aux éditeurs de l’édition originale, les planches et les droits d’auteurs pour ses rééditions. Contraint par la réglementation sévère mise en place par le gouvernement, Panckoucke fît imprimer la deuxième édition à Genève. Avec l’avènement de Louis XVI et l’assouplissement des lois, Panckoucke espérait bien faire fructifier ses droits, mais c’était sans compter sans un libraire lyonnais, Duplain, qui joua les trouble-fêtes.
En effet, Duplain, qui avait fondé sa réussite sur la contrefaçon des textes philosophiques si prisés à l’époque lança une souscription pour une édition in-quarto, intégrant les 5 volumes de suppléments (soit 39 volumes in-quarto), et proposée à un prix significativement réduit. Pour s’éviter les foudres du puissant Panckoucke, il attribua l’édition à Pellet, basé à Genève, qui ne joua que le rôle de prête-nom (contre la somme de 3000 livres) et confia l’impression elle-même à plusieurs imprimeurs genevoises. Le succès de la souscription fût spectaculaire et plutôt que de se confronter à Duplain, le puissant Panckoucke signa avec lui le « traité de Dijon »: Panckoucke fournissait la moitié du capital et les trois volumes de planches, Duplain était chargé de mener à bien le projet. 
Charles Joseph PanckouckeFort de ses relations, Panckoucke facilitait également l’importation des balles depuis la Suisse, avec un succès tel que les imprimeurs suisses profitèrent de l’aubaine pour y cacher d’autres livres interdits. 
Les commandes affluèrent, les clients français qui souvent n’avaient pu acquérir les éditions in-folio se ruèrent sur cette édition, Panckoucke lui même reconnut « Le succès de cette édition in-quarto dépasse toute croyance ». Aux 4000 exemplaires prévus dans la souscription s’ajoutèrent 2000 exemplaires d’une seconde édition, puis encore 2000. Un total extraordinaire quand on connaît le nombre de volumes, et que l’on sait qu’un ouvrage « normal » était à l’époque tiré entre 1000 et 2000 exemplaires.
Les presses tournaient à plein régime pour imprimer ces 300 000 ouvrages. Le projet fît vivre l’imprimerie lyonnaise pendant quelques années, on y imprimait presque plus que cela. A Lyon encore on avait du mal à ce fournir en papier pour les autres livres, et même pour l’Encyclopédie elle-même et on envoyait des agents acheter du papier dans d’autres régions. Les fondeurs de caractères n’arrivaient qu’à grand peine à suivre le rythme.
Selon les comptes de la Société Typographique, ce projet rapporta un bénéfice brut de 1.3 millions de livres. Comme souvent pour les autres ouvrages de l’époque, le succès attira les contrefacteurs et l’on vît naître des contrefaçons ou des tentative à Genève ou Avignon, puis à Lyon. Duplain et Panckoucke s’employèrent à tuer ces projets dans l’oeuf, quitte à rémunérer les concurrents potentiels contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Une autre initiative, plus sérieuse, vit le jour à Lausanne, avec un projet d’édition in-8. Encore une fois, Panckoucke manipula les concurrents à son profit.
Pour résumer, selon Robert Darnton, l’ouvrage de Diderot « connût quatre principales métamorphoses »:
1. La 1ère édition (1751 – 1772):- Format in-folio- 17 volumes de texte, 11 volumes de planches, 5 volumes de Supplément, deux volumes de Table Analytique- Tirage: 4225 exemplaires (entre 25 et 50% seulement vendus en France)- Prix de souscription: 980 livres- Prix quelques années après: entre 1200 et 1500 livres
2. La réimpression genevoise (1771 – 1776):- Format in-folio- 17 volumes de texte, 11 volumes de planches, 5 volumes de Supplément, deux volumes de Table Analytique- Tirage: 1250 exemplaires- Prix de souscription: 794 livres- Prix quelques années après: seulement 240 livres (en raison de la concurrence des in-quarto)
3. Les éditions in-quarto (1779 – 1781):- Elles correspondent aux trois souscriptions de Duplain, parues aux adresses de Pellet et de la Société Typographique de Neuchâtel- Format in-quarto- 36 volumes de texte, 3 volumes de planches- Tirage: 8011 exemplaires- Prix de souscription: 384 livres (épuisés au prix de souscription) – les libraires pouvant y souscrire pour 294 livres et en recevant 13 à la douzaine
4. Les deux édition in-octavo (1779 – 1782):- En réalité une seule édition augmentée, publiée à Lausanne et Berne.- Format in-octavo- Tirage: 6000 exemplaires- Prix de souscription: 225 livres
5. L’édition de Lucques, 1758-1776, 17 vol. de texte (1758-1771), 11 vol. planches (1765-1776).
6. L’édition de Livourne: 1769-1778, 17 vol. de texte (1769-1775), 11 vol. de planches (1771-1778) auxquels s’ajoutent en 1778-1779 les 5 vol. des Suppléments repris sur Pancoucke (4 vol. de texte et 1 vol. de planches).

Pour mémoire: Le salaire annuel d’un ouvrier qualifié était à l’époque d’environ 600 – 700 livres. Un abonnement à un cabinet de lecture coûtait environ 3 livres par mois.Un exemplaire de la première édition valait environ l’équivalent de 2450 pains de 4 livresL’Encyclopédie in-quarto représentait environ 1 an et demi de nourriture de base d’une famille… ou 6 semaines de revenu d’un bourgeois provincial, magistrat par exemple.
On le voit, plus le format et le prix diminuaient, ainsi que la qualité de l’impression et du papier, plus le texte devenait abordable pour des classes plus « populaires ».
L’Encyclopédie fût, on le voit, un projet gigantesque, un succès commercial extraordinaire qui attira les convoitises, mais qui draina également toutes les ressources d’un pan entier de l’industrie de l’édition et de l’imprimerie françaises et de leurs industries périphériques.
H
Ces notes sont inspirées de l’excellent ouvrage de Robert Darnton, Bohème littéraire et Révolution (tel gallimard), dont je conseille absolument la lecture si vous souhaitez en savoir plus sur l’édition au XVIIIe siècle. Cet ouvrage est absolument passionnant.

6 Commentaires

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