Un Livre à l’honneur : L’An 2440, rêve s’il en fût jamais, par Mercier

Amis Bibliophiles Bonsoir,

C’est ouvrage que l’on croise régulièrement dans les catalogues de ventes, chez les libraires ou dans les salons, voire sur ebay. Il n’est pas rare, mais son titre interpelle toujours. Vous savez mon intérêt pour les utopies, et vous propose d’en découvrir une autre ce soir, « L’an 2440, rêve s’il en fût jamais » par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1770.
Louis-Sébastien Mercier (1740 – 1814) est ce que l’on peut appeler un polygraphe, il se décrivait d’ailleurs lui-même comme « le plus grand livrier de France ». Il a écrit de nombreux ouvrages, essais critiques (De Jean-Jacques Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution, Paris, Buisson 1791 ou Rapport fait au nom d’une commission spéciale sur l’enseignement des langues vivantes, Paris, Impr. Nationale, 1796), près de 50 pièces de théâtre, mais il est surtout passé à la postérité pour deux textes recherchés des bibliophiles : le Tableau de Paris, et, justement L’An 2440, rêve s’il en fût jamais. Je passe (trop) rapidement sur le Tableau de Paris, grand texte et témoignage irremplaçable sur les moeurs de la capitale en cette seconde moitié du 18ème siècle. On dit d’ailleurs que Mercier décrivît Paris de jour, quand Restif de la Bretonne décrivait Paris la nuit. Les derniers des 12 volumes furent publiés en 1788.

L’An 2440, rêve s’il en fût paraît lui en 1770. Ce texte est une utopie, et même plus, c’est une uchronie (ahaha! on apprend des choses sur le blog, n’est-ce-pas?), c’est-à-dire une évocation imaginaire dans le temps, ce qu’on appellera plus tard l’anticipation ou la science fiction. Le mot « uchronie » fût créé par par Charles Renouvier, qui s’en sert pour intituler son livre Uchronie, l’utopie dans l’histoire, 1857. C’est un néologisme fondé sur le modèle d’utopie (inventé en 1516 par Thomas More pour servir de titre à son célèbre livre, Utopia), avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos » (temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.

Et c’est précisément le cas pour le texte qui nous intéresse aujourd’hui. L’An 2440, rêve s’il en fût jamais nous conte en effet l’histoire d’un narrateur qui, après une discussion avec un Anglais, qui lui montre toutes les tares de la société française en ce dernier tiers des Lumières, s’endort et se réveille en 2440, après avoir dormi six cent soixante-dix ans, dans une société rêvée, qui a été libérée par une révolution tranquille et heureuse, dans laquelle les préceptes des Lumières règnent.

Le narrateur se promène dans Paris et découvre dans chaque scène de nombreux étonnements et des raisons de se réjouir. L’ouvrage se termine sur une autre scène évocatrice puisque le narrateur croise finalement un vieillard en pleurs, qui n’est autre que Louis XIV, dans un Versailles en ruine. C’est là qu’un serpent mord le narrateur qui se réveille enfin.La lecture est agréable, et c’est particulièrement la mise en perspective qui est intéressante, puisque le narrateur découvre la nouvelle société « de ses rêves » en la comparant à celle qui est la sienne, celle de cette seconde moitié de 18ème siècle.

Il peut donc se livrer, et c’est aussi le sel de l’ouvrage, à une critique de la monarchie française de l’époque et de ses moeurs : culte de l’apparence de la noblesse, intrigues, monarque peu éclairé, le tout dans une société fondée sur l’ascendance (titres hérités) et l’argent.

A contrario, dans la société de l’an 2440, où l’oppression a disparu, la valeur et la distinction sont personnelles, de véritables reconnaissances d’un mérite et non d’un titre de noblesse et le citoyen participe activement à la vie de la Nation.

Ce qui est amusant, c’est que l’ouvrage s’avèrera finalement être réellement un ouvrage d’anticipation, puisque plusieurs des prophéties évoquées par Mercier se réaliseront : l’idée d’une révolution qui embraserait les parlements, la remise à plat des privilèges, où la disparition de l’enseignement en latin ou en grec au profit des langues modernes, etc.

L’ouvrage ne fût pas inquiété par la censure, ce qui peut sembler surprenant. Je vous en recommande la lecture, ainsi que celle du Tableau de Paris, dont les plus de mille chapitres invitent plus à un picorage qu’à une lecture continue, mais qui est passionnant (vous y saurez ainsi tout sur les décrotteurs, les vendeuses de chapeaux, les équarrisseurs de la rue aux Ours, ou les divers petits peuples qui vivaient alors dans la capitale, comme les tire-goussets et autres.).

Je ne suis pas chez moi et je ne peux donc vous montrer une image de mon exemplaire, voici en tout cas une page de titre trouvée sur le net. A vous de découvrir cette uchronie!

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