Portrait de bibliophile: le duc d’Aumale, Prince des bibliophiles

Amis Bibliophiles bonjour,

Tant pis, j’ose. J’ose commettre ce billet sur le bibliophile français le plus célèbre.
Le duc d’Aumale, Henri d’Orléans, fut aussi un soldat courageux, un prince, un écrivain, un académicien français, un père malheureux, un fabuleux collectionneur et un Français inconditionnel. La bibliothèque qu’il a réunit dans son château de Chantilly rassemble 10 000 volumes précieux, 1500 manuscrits, 700 incunables, entre autres. Pour autant une telle réunion fait-elle le bibliophile?

Aumale semble n’être devenu bibliophile que lors de son premier exil en Grande-Bretagne en 1848. Il se trouve auparavant quelques livres à ses armes, probablement livres de présents, ils arborent des fers qui ne sont pas répertoriés parmi ceux qu’il utilisera ensuite pour sa bibliothèque.
En 1848 il fait parvenir en Angleterre les manuscrits les plus précieux hérités des Condé qu’il étudie avidement. À cette époque il commence à visiter les libraires Londoniens, achète d’occasion le manuel de Brunet puis fait quelques acquisitions en ventes publiques de livres en rapport avec ses manuscrits. Très vite il étudie les catalogues, se renseigne à la source, consulte les experts et les conservateurs du British Muséum sur ses manuscrits et intervient dans les grandes ventes parisiennes. L’étude de ses manuscrits le rapproche sans cesse de la bibliophilie, la bibliographie, la reliure, les éditions imprimées qui sont en rapport.
Pour enrichir sa collection il fait appel à des commissionnaires ou des prête-noms et le plus souvent  à son secrétaire Cuvellier-Fleury qu’il mandate très exactement. Ses moyens financiers sont immenses, surtout rendus disponibles par un décret de 1852 qui l’oblige à vendre ses biens en France et le conduise à réinvestir et replacer ses fonds.
L’achat intégral de deux grandes collections prestigieuses, celle de Franck Hall Standish en 1850 puis celle de Armand Cigongne oriente d’emblée sa recherche vers l’excellence. Pour la première, il s’est porté acquéreur aux enchères des 3500 volumes de la collection Standish riche de nombreux d’incunables issus de la collection du milanais Gaetan Melzi. Pour la seconde en revanche, il achète la collection Cigongne (3000 volumes), riche d’éditions gothiques rares, avant la vente en salle, en 1859.
Aumale emporte des livres dans toutes les grandes ventes, celles de la bibliothèque de Louis-Philippe à Neuilly 1852, celles de Sébastiani 1852,  Montmerqué 1851, Coste 1854, Renouard 1854, Bertin, Solar 1860, Double 1863, Yéméniz 1867, Brunet 1868, Pichon 1869, Sunderland 1882, Lignerolles 1894, Ambroise Firmin-Didot 1879 etc. Il achète aussi chez les libraires Potier, Techener, Durel. Il vérifie soigneusement les notices puis ses achats et n’hésite pas à refuser un livre aux défauts volontairement omis, voir à s’emporter quand il s’estime trompé. Sa longévité lui permet parfois de récupérer à une vente ultérieure des livres qui lui avaient échappé une première fois.
Cachet de bibliothèqueFers à dorer HOAumale ne recherche que les livres rares et parfaits, voire uniques. Son goût le porte sur la bibliophilie rétrospective.  Les origines du livre, l’histoire de la France et de sa famille, les grands textes littéraires. Il est impitoyable pour les exemplaires en médiocre condition. Il recherche les exemplaires “hors ligne”comme il dit. Aussi affectionne t-il les exemplaires imprimés sur vélin, les manuscrits enluminés, les reliures anciennes exceptionnelles (reliures à la Duodo, à la cire, estampées à froid, aux médaillons, à la fanfare etc…). Il sait s’abstenir quand un livre qu’il recherche vient à passer en vente mais présente quelques défauts. Déjà en 1850 il parle “d’acheter (un livre) malgré sa reliure de mauvais goût si le papier est bon. Sans cela je préférerais attendre.” Il donne personnellement ses instructions d’achat lors des grandes ventes. Parfois il revend des exemplaires en double.
Il y a des livres qu’il n’aime pas, ainsi n’a t-il aucun Champfleury et bien que membre de nombreuses sociétés ne pratique-t-il pas de manière très active la bibliophilie contemporaine.
Sur les travaux de reliure, il choisit ses relieurs en fonction de leurs qualités et de ce qu’il attend d’eux. Les livres aux reliures usagées ou vulgaires et les livres récents se voient dotés de reliures le plus souvent en maroquin où le traitement du décor est en rapport avec la rareté et le prix de l’exemplaire. Pour les éditions modernes à petit tirage il fait souvent relier deux exemplaires dont un pourra être offert ce qui explique la présence de ces livres sur le marché. Ses propres ouvrages qu’il destine à offrir, reçoivent des reliures à ses armes de plus en plus luxueuses en fonction de la proximité des bénéficiaires. Le maroquin doublé au semé est réservé aux intimes.
Reliure de Capé, doubléeCapé “un véritable artiste”et Bauzonnet sont ses relieurs de prédilection. Il offre aussi du travail à Duru (pour les jansénistes), Petit (pour les veaux fauves et les demi reliures), mais aussi à Lortic, Trautz (les jansénistes)et la veuve Niédrée. Pour autant, il trouve Capé dont il est “une assez bonne pratique” cher et se plaint de ne pas être traité “raisonnablement”. Il lui fait la plus grande confiance pour les reliures à décor qu’il appelle “de fantaisie” c’est à dire dans un style historiciste. Il regrettera sa mort.
Même en exil il fait travailler les relieurs français auxquels il donne exactement ses recommandations. Ce qui lui permet de pester quand les tranches d’un livre sont rognées ou dorées contre son avis. Il tient à jour son catalogue scrupuleusement et note les particularités de ses exemplaires qu’il collationne, étudie, compare, vérifie.
Reliure aux armes, 1845Dans chacune de ses résidences en Angleterre ou à Chantilly, il se préoccupe sans cesse de l’accueil de ses livres. Il souffre des affres du bibliophile pour le rangement, l’harmonie de la présentation et la crainte des chutes pendant les déménagements. À Chantilly le cabinet des livres qui abrite la collection précieuse fait appel à des techniques modernes. Les étagères sont métalliques recouvertes de cuir, des cartes entoilées peuvent se descendre devant les vitrines pour être étudiées bien sûr et occulter le soleil sans interdire l’accès, la mezzanine est accessible par un escalier rejeté à l’extérieur pour ne pas nuire à l’esthétisme et à l’encombrement, la porte d’accès se referme sur un décor de faux livres portant des titres imaginaires ou des ouvrages disparus…  La bibliothèque du théâtre (ouvrages de recherche et du XIXe, 27 000 volumes) est conçue comme un magasin moderne, des cabinets distincts sont consacrés aux archives et aux plans.
« Bibliothèque du Théâtre (c. André Pelle) »Aumale ouvre sa bibliothèque aux confrères bibliophiles dont il affectionne la compagnie, se livre à des échanges. Il adhère aux sociétés de bibliophiles, la Philobiblion Society en 1853, les Bibliophiles François en 1872, les Amis du livre en 1881, le Roxburghe Club en 1884.
Parmi ses extraordinaires acquisitions notons trois manuscrits. En 1855 il a acheté les Très riches Heures du duc de Berry qu’il est allé voir de près à Gênes, puis le psautier d’Ingeburge en 1892 et le Bréviaire de Jeanne d’Evreux en 1894.
Et quelques livres imprimés :- La très élégante.. Hystoire du roy Perceforest, Galliot du Pré, 1528 en 6 volumes, imprimé sur vélin, enluminé et en maroquin aux armes comte d’Hoym; – De bello judaico, incunable de Pierre Maufer à Vérone en 1480 imprimé sur vélin, aux armes de Malborough; – l’édition originale des Précieuses ridicules en basane au chiffre de Julie d’Angennes; – l’exemplaire annoté de Racine “et aliae tragaediae” d’Eschyle, 1552; – l’exemplaire de Rabelais de “Comicorum principis, comoediae undecim” Aristophane, 1549. …Ou cinq reliures “aux écussons” Nodier-Thouvenin.
Enfin son lègue à l’Institut est exemplaire, il garde jalousement chez lui ses chers livres et ne disperse pas sa collection, mais il ouvre sa bibliothèque au public et fait aménager une salle de lecture pour les chercheurs.
Lauverjat

9 Commentaires

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  3. Pour mettre d'accord Sylvie et Xavier: je crois qu'il est plus difficile d'avoir du goût que d'avoir les moyens et que le goût sans les moyens c'est rageant mais les moyens sans le goût c'est affligeant…

    Pendant que j'y suis une belle année 2013 à tous!

    Olivier

  4. @Sylvie,

    Tout cela est vrai… ceci étant le Duc d'Aumale avait des moyens financiers qui pouvaient lui permettre de ne prétendre qu'à l'excellence… Il m'arrive d'acheter des ouvrages qui présentent un petit défaut (mea culpa, mea maxima culpa)… mais je sais très bien que pour le même ouvrage dans un état parfait il me faudrait des mois de rémunération, alors… je n'attends pas que l'occasion se présente car même si elle venait à se présenter…
    Ceci étant, bonne année à tous,
    Xavier

  5. Que n'a-t-on qu'une vie! Je me demande s'il existe encore des gens d'une telle envergure dans notre pays, qui savent chercher et réclamer le meilleur, l'exceptionnel, l'unique, présenter et choyer cet unique puis en faire don en sachant faire respecter ce dont il fait don! Quelle élégance!
    merci de le rappeler dans cet article.
    Très heureuse à tous
    Sylvie

  6. Il est vrai qu'apprendre que le duc d'Aumale avait acheté le Brunet d'occasion porte un coup sérieux à sa réputation ! Merci à Lauverjat et bonnes fêtes à tous !
    Textor

  7. Bibliothèque remarquable, remplie de trésors!
    Et j'aime bien la clause de son testament qui prévoit que ses chers livres resteront sur place et seront exposés!
    Dommage que les héritiers Rothschild n'ont pas prévu la même chose avec la BNF. L'exposition actuelle montre quatre ou cinq livres qui se battent en duel. Un comble pour une exposition de bibliothèque!
    Bon réveillon à tous et merci à Lauverjat de nous faire partager son pré carré!
    Wolfi

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