Bertrand participe régulièrement au blog en postant des commentaires et de temps en temps, en ayant la gentillesse de m’envoyer un message à poster.
Je lui laisse donc la parole ce soir. Il vous propose de le suivre sur les traces de Danton et de sa bibliothèque. Excellent, comme d’habitude.
« Le hasard des lectures, un film, un article pour le blog. C’est après avoir revisionné dernièrement le film franco-polonais d’Andrzej Wajda Danton (1983) avec Gérard Depardieu dans le rôle phare et Wojciech Pszoniak, dans celui du non moins éblouissant et épouvantable de Robespierre, que l’idée de ce petit article pour le blog m’est venue.
Par ailleurs, cela faisait plusieurs fois déjà que je passais allègrement les deux pages, 427 et 428, des Variétés bibliographiques du Bulletin du bouquiniste du libraire Aubry (n° 209, septembre 1865), sans m’y attarder. Le titre de l’article : Danton bibliophile. Il est signé P. Jannet (il s’agit de l’éditeur érudit qui nous a donné tant de beaux volumes dans la très riche bibliothèque elzévirienne, reliée toute en toile rouge gaufrée, que les amateurs de belles éditions sur beau papier connaissent bien).
Désormais j’avais une vision de Danton bien en tête (même si le réalisateur du film s’est peut-être permis quelques libertés avec l’histoire). Cet article m’intriguait. Je l’ai lu cette fois. Je vais essayer de vous le paraphraser.
Cet article d’à peine plus d’une page a été écrit à l’occasion de la sortie en librairie de l’ouvrage suivant : Danton, Mémoire sur sa vie privée, appuyé de pièces justificatives, in-8, 1865, chez P. Jannet. C’est l’éditeur Jannet qui écrit :
« Les écrivains des divers partis ont généralement présenté Danton comme un homme ignorant, grossier, besogneux, vénal. Dans un livre qui vient de paraître (voir ci-dessus), M. le Dr Robinet s’attache à laver de ces reproches la mémoire du « grand conventionnel ». Parmi les documents nombreux qu’il a publiés comme pièces justificatives se trouve l’inventaire dressé chez Danton après la mort de sa première femme, en février et mars 1793, dans lequel figure le catalogue de sa bibliothèque, avec la prisée faite par le libraire P.J. Daglain.
La composition de cette bibliothèque fournit à M. le Dr Robinet d’excellents arguments en faveur de sa thèse. Ainsi, ce n’était pas une riche collection d’amateur, comme celle de Mirabeau, par exemple, et il n’a pas fallu des ressources occultes pour l’acquérir. Ce n’était pas non plus un amas de pauvres bouquins fait par un homme réduit aux expédients pour vivre ; elle comprenait quelques livres dignes d’un bibliophile, tels les Métamorphoses d’Ovide, de Banier, 4 vol. in-4, les Œuvres de Rousseau, en 16 volumes in-4, un Daphnis et Chloé, estimé 18 livres ; les Fables de La Fontaine, avec figures de Fessard, et les Contes du même, édition des fermiers généraux (qui l’eu cru ?).
D’après la prisée de l’inventaire, tous les livres paraissent d’ailleurs avoir été d’une assez belle condition. L’in-12 y est porté à 2, 3 et 4 francs, et l’in-8 à 4, 5 et 6 francs. J’ai compté 685 volumes de divers formats, qui sont estimés 2.266 livres et 10 sols, non compris l’Encyclopédie méthodique, portée à 600 francs.
Danton n’avait donc pas la passion, d’ailleurs fort estimable, des livres qu’on achète à des prix exorbitants et qu’on ne lit pas. Loin de là, tout porte à croire qu’il n’avait que les livres qu’il aimait à lire ou qu’il avait besoin de consulter. Ainsi, après la suppression de sa charge d’avocat au conseil du roi, il avait vendu ses livres de droit, et n’avait conservé que quelques traités généraux.
La composition de cette bibliothèque nous montre donc quels étaient les goûts et les préoccupations de celui qui l’avait formée. A côté des classiques français, on y trouve les meilleurs ouvrages des littératures italienne et anglaise, dans leur langue originale, ce qui prouve ce fait, connu d’ailleurs, que Danton savait l’italien et l’anglais. On y trouve également un bon choix de livres d’histoire, puis des livres de science, tels que l’Encyclopédie méthodique, le Dictionnaire d’Histoire naturelle, Buffon, et une riche suite de philosophes modernes, Montaigne, Rabelais, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, etc.
M. Robinet fait ressortir la prédominance, dans cette bibliothèque, des ouvrages modernes sur ceux de l’antiquité. « Nous croyons y trouver, dit-il, un indice de cet instinct politique supérieur qui le portait à étudier surtout la civilisation moderne, afin de mieux comprendre l’état présent et l’avenir, et qui l’éloignait de toute imitation pédantesque du passé, contrairement à la tendance des Girondins, de la plupart des Robespierristes, et de quelques-uns même de ses meilleurs amis (Desmoulins, en particulier). »
Pour juger un homme, il ne suffit pas de savoir quels sont les livres qui figurent dans sa bibliothèque : il faut voir aussi quels sont ceux qui ne s’y trouvent pas. M. le Dr Robinet a bien soin de faire remarquer que Danton, ce « débauché », n’avait pas un seul volume de certains livres fort communs en ce temps-là, et qui inspiraient si peu de répulsion, que des hommes tels que Voltaire, Mirabeau, Saint-Just, ne rougissaient pas de les composer (il veut évidemment parler ici des ouvrages licencieux, à caractères libertins, érotiques, voire pornographiques).
Encore un trait caractéristique : on ne trouve pas un seul volume de théologie dans la bibliothèque de Danton.
En somme, ce catalogue vaut la peine d’être lu. Il donne à réfléchir. »
Voilà comment s’achève l’article de P. Jannet. Comme l’on sait, Danton périt sur l’échafaud le 5 avril 1794. Robespierre avait (très) provisoirement gagné. La terreur était à son comble. Cela ne pouvait durer que quelques mois ainsi, Danton avant de mourir l’avait bien prédit. La Révolution française ne tiendrait pas ! Robespierre ne lui survit que bien peu de temps, il est en effet décapité le 28 juillet de la même année. Triste année 1794 ! Triste Révolution qui dévorait ses enfants ! On connaît la suite…
Qui n’aimerait pas connaître le contenu de la bibliothèque du tyran Robespierre (qualificatif donné par Michelet…) ? En a-t-on seulement une idée à défaut d’un inventaire précis ? Imagine-t-on Robespierre lisant les Métamorphoses d’Ovide ou Daphnis et Chloé ? Peut-être. L’histoire est parfois si ironique et étrange.
Ah ! Que j’aimerais tenir entre mes mains émues un des livres ayant appartenu à l’un de ces deux hommes ! Je sentirais alors, avec plaisir et angoisse tout ensemble, tout le poids de l’histoire entre mes doigts inutiles.
En espérant vous avoir fait passer un bon moment de lecture,
PS : pour information, je me suis amusé à chercher dans le CD-ROM Argus du livre de collection édité dernièrement par Artprice et qui regroupe plus de 20 ans d’adjudications en salle des ventes, en France et à l’étranger, de livres adjugés plus de 500 francs (anciennement) ou plus de 80 euros (depuis 2002). Résultat : aucun résultat en ce qui concerne une éventuelle provenance de la bibliothèque de Danton… pas même un pauvre exemplaire avec seulement sa signature autographe ou son ex libris (s’il en avait un )… alors si un jour vous en voyez un… ne le ratez pas !
Amicalement, Bertrand pour P. Jannet. »
Merci!
Hugues
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