Portrait d’une grande famille de relieurs parisiens, les Duplanil

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Des grandes familles parisiennes de relieurs du XVIIIe siècle, peu donnèrent une descendance significative dans la profession au XIXe siècle. Il se trouve cependant quelques exceptions notables comme les Ducastin ou les Duplanil leurs alliés.

Jean Duplanil fonde la dynastie au début du XVIIIe  siècle. En 1713, il est élu pour deux ans l’un des quatre gardes de la communauté renouvelables par moitié. Maître relieur et doreur il exerce rue des Sept-Voies à Saint-Etienne du Mont à Paris où nous retrouveront quasiment tous ses successeurs et héritiers, sinon dans les rues adjacentes. La rue des Sept-Voies est aujourd’hui comme autrefois riche d’établissements d’enseignement, elle a été depuis rebaptisée rue Valette. Jean Duplanil est enterré le 1er novembre 1746.

Jean-Baptiste (I) Duplanil est reçu maître le 19 septembre 1729.  Il meurt en 1781 rue des Sept-voies laissant deux ou trois fils et six filles. Cinq des gendres sont maîtres relieurs, Ducastin Alexis Jacques, relieur en 1778, Boutault, Bottier (ou Bothier), Aubert, Delouvier. Ces familles de relieurs sont bien représentées à cette époque et il n’est pas facile de préciser les prénoms de chacun d’entre eux. Notons cependant que Bottier exerce rue des sept-voies en 1798 ainsi que Nicolas Delouvier en 1763.
En ce qui concerne les fils de Jean-Baptiste (I) on identifie sans peine Jean-Baptiste (II), maître en 1759 qui exerce rue Judas en 1779 et travaille pour le libraire Pierre Guillaume Cavelier qui fait faillite cette même année. Les autres fils sont probablement Pierre, maître relieur reçu en 1768, il exerce rue des Sept-voies et il me paraît difficile de le confondre avec le Pierre qui suivra, en raison des dates extrêmes qui les concernent, enfin probablement un troisième fils prénommé Nicolas.
Nicolas Duplanil reçu maître relieur en 1772, habite rue d’Écosse en 1779. Sa veuve exerce le métier rue des Sept-voies dès 1799. Vers la fin de l’Empire elle est chargée par les Polignac de dissimuler des missives pour l’étranger dans les plats de reliures. En 1809 le fils Pierre Duplanil prend la suite. Le poète relieur Mathurin-Marie Lesné chante ses qualités.
Jusqu’à présent je n’ai pas retrouvé d’étiquettes des Duplanil du XVIIIe siècle, il ne m’est donc pas possible de décrire leur travail. En revanche Pierre signe ses reliures RELIE. P. DUPLANIL. On trouve de lui des reliures ornées d’une roulette antique dorée en encadrement. Il exerce au moins jusqu’en 1832. À cette date il est associé un temps avec son fils Jean.
Bien qu’il soit difficile de rendre au père et au fils chacun de leurs travaux, on attribue volontiers, par habitude ou grâce aux étiquettes qui se trouvent parfois au verso de la garde antérieure, à Duplanil fils (Jean Duplanil), les nombreuses reliures romantiques en veau glacé qui sont le plus grand nombre des reliures signées Duplanil (tout court).
Ces reliures absolument dans l’air du temps présentent un dos à nerfs où les pièces de titre et de tomaison sont d’une teinte plus foncée que l’ouvrage, l’ornement des dos comprend un filet doré sur les nerfs, des fleurons dorés ou à froids entre les nerfs, des palettes dorées en tête et queue. Les plats sont frappés d’un grand fer à froid ou à chaud, encadrés de roulettes de feuillages et de filets  en encadrement alternativement à froid et dorés. La multiplication des encadrements successifs, des filets et des fleurons qui les accompagnent, les soulignent ou les rompent aboutit cependant sur ces reliures « Restauration» à une surcharge passée de mode aujourd’hui.
Le fils de Pierre, Jean Duplanil exerce le métier depuis 1820 au moins. Il est alors établi rue Saint-Jacques (à la même date son père est toujours rue des Sept-voies) puis à la fin de 1824 rue de Savoie. Il s’intitule, relieur de S.A.R. Madame la duchesse d’Angoulême, c’est à dire de la Dauphine après septembre 1824, fille de Louis XVI, rescapée de la tourmente révolutionnaire devenue belle-fille de Charles X. Une de ces reliures aux armes, sur « les Américaines»  en 3 volumes in-12, en veau blond,  figurait au catalogue Sourget N° XIII de 1996.
Duplanil, Madame Royale, Sourget XIIIIl se consacre plus largement aux reliures de luxe.
En 1834, Jean Duplanil installé rue de Grenelle-Saint-Germain, obtient comme son confrère Koelher la médaille d’argent à l’exposition de l’industrie place de la Concorde à Paris pour, « la richesse et l’élégance de ses reliures ». Il expose la troisième édition des Roses de Redouté de 1858, reliée en deux volumes in-8 en maroquin violet orné sur les plats et sur le dos d’un fer de rosier doré et richement  mosaïqué. Ce livre, véritable objet d’art, que Georges Blaizot qualifie de « premier bouquet de la reliure originale», est célèbre et bien suivi. Il figure aux catalogues de J. Noilly en 1886,  Descamp-Scrive en mai 1925, n°372 (photo page 108), Jean Laroche en 1939, du Major Albey en 1967, de Raphael Esmérian, catalogue IV de 1973, n°100, illustration en frontispice (adjugé 121 00 FF), François Ragazzoni, et enfin au catalogue de la librairie Sourget de 2004, XXVIII, n°247.



Ce dernier catalogue offre la reproduction en couleurs des deux tomes qui permet de constater que les teintes des mosaïques sont différentes de l’un à l’autre. La reliure est signée en queue du tome I, DUPLANIL MDCCCXXXIV.  Quant au fer des plats il a été vendu lors de la vente de l’atelier Simier en 2010, « des relieurs des rois de France », sous le numéro 84. Œuvre du graveur Clesles, il a été adjugé 2200 €. L’exposition offre encore à Jean Duplanil l’occasion de présenter des reliures en maroquin ornées de mosaïques, de décors dorés à petits fers, de dentelles et des reliures dans le style de Derome ou Pasdeloup. Parmi ces livres exposés, deux exemplaires de l’Histoire et chronique du Petit Jean de Saintré de 1830 en vélin blanc mosaïqué et peint. L’un d’eux se retrouve dans la collection Descamps Scrive N°355, l’autre dans celle de Raphaël Esmerian N°72.
Duplanil utilise encore le vélin peint à la manière de la mosaïque en 1833 sur un exemplaire des poésies de Clotilde de Surville de 1823, dans un décor d’inspiration persane (catalogue de vente de la  collection Fürtenberg-Beaumesnil, 9 décembre 2013, N°255). Il se targue d’être l’inventeur de ce décor. Après l’exposition de 1834 Duplanil installe « au milieu de ses vastes » ateliers ses productions dans de belles bibliothèques. Il vise la clientèle des étrennes et l’invite à lui rendre visite au moyen de publicités dans les journaux (dans L’Indépendant de décembre par exemple).
Il meurt en 1837 date à laquelle une publicité propose un Missel dans une reliure « à petits fers et compartiments à mille points » exécutée par « feu Duplanil relieur de madame la Dauphine ».
Ottman-Duplanil, Delessert,  RECharles Ottman, né à Strasbourg en 1806 épouse le 6 août 1836 Joséphine Rosalie Nicole Duplanil fille de Jean Duplanil, à la mairie du XIe arrondissement dont dépend alors la rue des Sept-Voies. Ottman prend la suite de son beau-père. Il exercera jusqu’en 1855 avant de se retirer à Tours où il mourra le 18 février 1870. Il s’installe rue du Four Saint-Germain au numéro 67. Il signe le plus souvent Ottman-Duplanil mais la signature Ottmann se rencontre aussi. Comme son beau-père il expose ses meilleures réalisations. En 1844, à l’exposition des produits de l’industrie française à Paris aux Champs-Elysées, il présente par exemple le Paul et Virginie, imprimé par Curmer en 1838, habillé d’un maroquin vert orné d’un jeu de filets doré librement inspiré des fanfares.
Ce livre appartint à Eugène Paillet, Pierpont Morgan, au Dr Ripault et à René  Descamps-Scrive (N° 317). La reliure des « Souvenirs d’un voyage dans l’Inde » de Delessert, en cuir de Russie s’orne également d’un jeu de filets inspiré des entrelacs de la Renaissance, elle rejoindra les bibliothèques Descamps-Scrive, Laurent Meus et Raphaël Esmerian. Beraldi reproduit cette reliure dans son livre « La reliure au XIXe » ; il qualifie à ce propos Ottman de « chercheur d’idées de (son) époque ». Lors de cette même exposition, notre relieur présente également deux reliures en maroquin à décor exécutées sur des exemplaires précieux de la Bibliothèque Royale. Il reçoit la médaille de bronze « surtout pour ses reliures simples et parfaites ».
Fléty nous apprend qu’un relieur du nom de Gardien succéda à Ottman en 1855. Pour nous, une célèbre lignée s’éteignait.
Lauverjat

4 Commentaires

  1. Article fort intéressant, Lauverjat. La prochaine fois que je croise les Roses de Redouté dans une reliure Duplanil, c'est sur la reliure que je tournerai les projecteurs… Pierre

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