Connaissance de la reliure: des reliures en peau humaine (mise à jour)

Amis Bibliophiles bonjour,

J’ai eu deux fois l’occasion d’assister à une vente au cours de laquelle une reliure en peau humaine a été mise en vente. La première fois, c’était à Drouot, et le livre en question était une Danse de la Mort du 18ème, d’après Holbein (réimposée dans un volume in-4 au 19ème, de mémoire) et la seconde fois, dans une vente à Versailles, où le livre était une petite curiosité, mi curiosa, mi ouvrage pour dames, du 18ème, dans un format in-12.

Ces deux ventes m’ont amené à réfléchir sur ces reliures. Pour tout dire, lors de la première vente, je suis allé à l’exposition la veille et le matin de la vente. La première fois, je n’ai pas osé prendre le livre en main, il était d’ailleurs présenté dans une sorte de cellophane. Mais le lendemain, je l’ai pris en main. A Versailles, quelques moi plus tard, je l’ai prise en main directement.

En fait, s’il est probable qu’elles aient existé avant, et sans doute depuis que l’homme sait tanner une peau et relier un livre, les premières reliures de ce type avérées datent du 18ème siècle, et probablement de la période de la Révolution (Gayet de Sansale, bibliothécaire de la Sorbonne au XVIII° siècle , signale une décrétale* et une bible  reliées et rédigées sur peau humaine… il en va de même de l’abbé Rive qui semble toutefois avoir confondu la peau humaine avec un vélin très fin… – Ref. Claude Marty sur son excellent blog http://titivillus.over-blog.com/).

Les reliures en peau humaine ne sont pas aussi rares qu’on peut le penser. Aussi, toutes les grandes bibliothèques disposent elles de ce type de livres, qu’elles préservent le plus souvent du regard des visiteurs.

En réalité, n’en déplaise à Lovecraft qui évoque ce type de reliure pour son Necronomicon et autres ouvrages occultes, ce sont principalement des ouvrages de médecine ou des Danses de la Mort qui ont bénéficié de ce type de reliures. Ce fait mériterait d’être vérifié, mais il semblerait qu’une tannerie spécialisée dans ce type de peau ait existé à Meudon sous la Terreur (sous toutes réserves)… Ce qui est certain en revanche, c’est qu’un des livres les plus connus avec ce type de reliure est un exemplaire de la Constitution de 1793. Cet exemplaire, qui a eu plusieurs possesseurs, dont le marquis de Turgot et Villenave, a été acheté en 1889 par la bibliothèque Carnavalet.

C’est au 19ème siècle semble-t-il qu’on relié le plus « fréquemment » des livres avec de la peau humaine… La peau était prélevée sur des cadavres, généralement eux-mêmes confiés aux Facultés de Médecine. Dans l’exemplaire qui fût mis en vente à Drouot, il était précisé des conditions dans lesquelles la peau avait été prélevée, sur un corps « à l’étude », à la Faculté (le nom du donneur était précisé).

C’est sans doute pour cela que les livres reliés en peau humaine appartinrent le plus souvent à des médecins (sans doute « immunisés ») et recouvrent le plus souvent des ouvrages de médecine. On connaît ainsi un Vesalius relié en peau humaine, conservé dans une bibliothèque américaine (in-folio…). En dehors de ces livres d’anatomie, et encore plus souvent de dermatologie, le 19ème siècle verra quelques amateurs confier des Danses macabres à des relieurs pour qu’ils les relient en peau humaine. L’approche est alors plus ironique.

Quelques livres cependant ont une histoire particulière : ainsi les confessions de George Walton (Narrative of the Life of James Allen alias George Walton), dont l’auteur exigea qu’un exemplaire soit relié avec son épiderme, prélevé après sa mort.

Cet exemplaire porte d’ailleurs l’insription « HIC LIBER WALTONIS CUTE COMPACTUS EST » sur le 1er plat, ce qui signifie: « ce livre a été écrit par Robert Walton et relié dans sa propre peau ».

On connaît également l’histoire du livre ayant appartenu à l’astronome français Camille Flammarion (conservé à la bibliothèque de l’observatoire de Juvisy), relié en peau humaine, et qui aurait été relié avec la peau d’une connaissance de Flammarion, après le décès de celle-ci. Si l’exemplaire est bien réel, diverses versions existent sur la provenance de la peau.


D’autres exemples : La bibliothèque de Cleveland possède un Coran, relié avec la peau d’un croyant, là aussi prélevée à sa demande, après sa mort. On connaît aussi une traduction des Georgiques de Jacques Delille, reliée avec un morceau de sa peau, qui aurait été volé sur son corps après son décès.

Enfin, la bibliothèque de Harvard possède un exemplaire de la Danse des Morts de 1816, qui fût reliée en peau humaine par le grand relieur londonien Joseph Zaehnsdorf en 1893. Pour la petite histoire, Zaehnsdorf envoya un courrier à son client pour lui dire qu’il n’avait pas assez de matériau et qu’il allait donc devoir répartir la peau.

Dans son ouvrage sur la reliure en France de 1900 à 1925 (t. I, p. 135-150), E. de Crauzat a signalé plusieurs exemplaires (fin XIXe-début XXe), d’un genre un peu différent. Un bibliophile, médecin, faisait ainsi incruster dans un cuir animal un tatouage, réalisé sur une peau humaine, en rapport avec le sujet du livre: un tatouage représentant deux duellistes en costume Louis XIII servit ainsi à illustrer le plat des Trois mousquetaires…

A noter également dans le Carillon du boulevard Brune (bulletin bibliographique de la Collection Guillaume, août 1894):

« Vous avez sans doute entendu parler de cette belle madame X… qui a légué ses épaules à M. C. F., notre illustrissime compteur d’astres.

C. F. avait, lors d’un diner chez la défunte, paru apporter. — en tout bien tout honneur, — une attention particulière a ces épaules qui étaient de toute beauté. Mme X…, devant l’admiration du poétique astronome, lui promit de lui léguer lesdites épaules, sous condition qu’il se servirait de leur cuir satiné pour faire relier le premier exemplaire de son prochain volume.  Chacun crut à une boutade de grande dame, mais C. F. fut mélancoliquement surpris, un an après, de recevoir les deux pauvres épaules, et ne put se refuser d’accomplir le vœu de la morte.

Aujourd’hui, hélas ! ce qui demeure des épaules de Mme X… recouvre un gros bouquin sur la Fin du monde ou le Voyage des âmes, je ne sais plus au juste.  Sans pousser mes lecteurs jusqu’à se faire léguer les épaules des dames de leur entourage — genre de captation qui finirait par des procès — je leur signalerai une utilisation de dépouilles opimes. Pêcheurs, chasseurs, sachez que, disciple moi-même de saint Hubert et fervent de la ligne, ma collection est reliée avec les dépouilles de mes plus belles prises, depuis le brochet en passant par le phoque, jusqu’au sanglier, au hérisson, à la loutre, à l’hermine. On ne saurait croire quel prix cela donne aux livres — et quels souvenirs se lèvent tandis qu’on flâne dans la bibliothèque, quels rappels de beaux coups de fusil, de pêches miraculeuses, d’inoubliables heures passées en barque — un livre et des armes pour tous compagnons — ou en courses dans la montagne et la plaine, parmi les paysages sans bornes ou sous le couvert bruissant des hautes futaies ! »

Les curiosa ont également connu les honneurs des reliures en peau humaine: on évoque des « ouvrages reliés en peau de seins de femme, les mamelons et aréoles étant utilisés comme “ Médaillons “ et éléments de décor…les Goncourt ont signalé le fait dans leur journal (1866),y parlant aussi  d’internes de l’hôpital de Clamart  révoqués  pour trafic de peau humaine avec des relieurs  et ils avaient précédemment cité (tome II ) le cas du  bibliophile anglais Henhey rêvant d’un livre relié en peau humaine prélevée sur une femme vivante et prétendant que l’un de ses amis,un  certain docteur Bartsh voyageant en Afrique, s’était  fait fort de la lui procurer … ».

Pour avoir eu deux exemplaires entre les mains, je dois avouer qu’il est difficile de faire la différence avec un vélin, c’est peut-être plus sombre, mais je pense que c’est lié à la méthode utilisée. Le toucher… et bien… aisé à imaginer. C’est la sensation qui est étrange. D’ailleurs, les bibliothèques précisent en général que ces reliures sont de grande qualité et ne nécessitent aucun entretien particulier.

Ce message ne traite bien entendu que des reliures réalisées ainsi avant le début du 20ème siècle, l’évolution des moeurs ayant fait disparaître cette pratique par la suite. Je m’abstiendrai de juger, je pense qu’il faut considérer cela comme une curiosité (comme les têtes Jivaro, les reliques, etc.). On peut simplement émettre une réserve sur le fait que les personnes décédées n’avaient pas toujours donné leur accord pour ce type de prélèvement en confiant leur corps à la science (quand ce fût le cas). Pour les autres, qui furent volontaires et organisèrent le prélèvement sur leur propre peau après leur trépas… finalement, ils ne firent de mal à personne.
Ce type de reliure augment significativement la valeur d’un livre aussi est-il parfois tentant de qualifier de reliure en peau humaine une reliure en porc. Christian Galantaris précise que le moyen de les différencier est l’observation des pores: triangulaires chez le porc, chez l’homme il s’agît de quadrilatères.
H

Images : des reliures en peau humaine, justement.

Pour aller plus loin:

« Des reliures en peau humaine… » d’Albert Bouckaert publié dans Pro Medico, revue périodique illustrée, n°6, 1929. Visiblement, cet article était déjà sorti dans le Bulletin du Musée du livre Belge, puis dans la Revue des Industries du Livre, n°304, 1927-1928.

http://titivillus.over-blog.com/article-reliures-en-peau-humaine-114356911.html
Claude Marty y évoque notamment la prétendue tannerie de Meudon: « le bruit a longtemps couru ( et Paul Lacroix le célèbre “ Bibliophile Jacob “ l’accrédita dans ses écrits ) qu’une tannerie de peau humaine aurait fonctionné en 1795 au chateau de Meudon… De nombreux commentaires parurent à ce propos attribuant à cet établissement la réalisation de reliure ,d’affiches, de gants et de culottes (Saint-Just en aurait porté une…) et parmi tous ceux-ci on peut signaler « Mosaïque historique, littéraire et politique , ou glanage instructif et divertissant d’anecdotes inédites …. » de Dusaulchoy de Bergemont (Rosa-1818).

Si l’on ne peut formellement écarter l’hypothèse qu’il y eût quelques rares cas réels , en revanche rien ne vient étayer la thèse voulant que ce fut à l’échelle industrielle….et il semble bien que les rumeurs aient été alimentées  par le fait que les activités qui se déroulaient au château de Meudon étaient entourées de secret car elles concernaient la défense nationale et qu’il Il y fonctionnait en effet une tannerie destinée à fournir le cuir nécessaire à la fabrication des chaussures destinées aux armées de la république.

Son directeur ,le citoyen Seguin , »inventeur de nouveaux procédés pour le tannage des cuirs «lui avait donné une extension telle qu’il devait entreposer les peaux,provenant des abattoirs ,  aux anciennes grandes écuries de Versailles et qu’il avait acquis pour agrandir l’usine  l’île sur la Seine qui porte encore aujourd’hui son nom et qui fut jusqu’à il y a peu le fief des usines Renault  ….tout ceci fait à une échelle industrielle  bien disproportionnée  avec les volumes de peaux humaines qui auraient pu lui être fournis ,peaux qui se seraient par ailleurs révélées totalement inutilisables pour la fabrication des robustes chaussures militaires ! »

5 Commentaires

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