Un exemplaire parfait: Hypnerotomachia Poliphili, Aldus Manutius, provenance Jean Grolier

Amis Bibliophiles bonjour,
J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer sur ce blog la notion d’exemplaire parfait. Les exemplaires parfaits répondent à un certain nombre de critères tous plus exigeants les uns que les autres. Le texte de l’ouvrage bien sûr, l’édition, l’état, la reliure et la provenance, pour ne citer que ceux-ci (on peut parfois ajouter un envoi, un « truffage », etc.).Je suis tombé en arrêt devant un exemplaire parfait à mes yeux en parcourant le catalogue de la vente « The Arcana Collection: Exceptional Illuminated Manuscripts and Incunabula, Part I », qui se tiendra chez Christie’s, à Londres, le 7 juillet.
Cet exemplaire parfait, le voici. Il s’agît d’un incunable de l’Hypnerotomachia Poliphili, ouvrage que j’affectionne particulièrement (et dont je ne possède hélas qu’une édition postérieure), c’est même la première édition, datée de 1499 et qui sort des presses de Alde Manuce pour Leonardus Crassus. L’intérieur de l’ouvrage est parfait (234 pages, 39 lignes), la planche du Priape n’a pas été grattée ou modifiée, comme c’est trop souvent le cas, et il présente également 39 vignettes en initiales formant Franciscus Columna en acrostiche.On pourrait déjà s’en contenter me direz-vous, et vous auriez raison. Mais cet ouvrage se distingue encore par deux éléments, sa reliure et sa provenance, qui sont intimement liées. La reliure… elle est hélas postérieure (1552-55) mais il lui sera beaucoup pardonnée puisqu’elle est très typique des reliures du 16ème, avec ses entrelacs, mais aussi est surtout parce qu’elle l’une des reliures que l’illustrissime bibliophile Jean Grolier fit exécuter pour sa bibliothèque. Dans ce cas précis, elle est l’oeuvre de Gommar Estienne et porte sa devise sur le premier plat « IO GROLIERII ET AMICORUM », ainsi que « POLIPHILO » au centre du premier plat.
Cet exemplaire appartint également à Alexandre Albert François, prince de Bournonville (vente du 13 décembre 1706), à Mr Fauvres, dont il porte (hélas) l’ex-libris manuscrit, au fameux duc de Spencer et à la bibliothèque de John Ryland.Tout est là, l’édition, l’imprimeur (dont Grolier fût l’agent à Paris), la provenance, la reliure, l’état. Il ne reste plus qu’au futur acquéreur la délicate mission de réunir les quatre Songe de Poliphile de Grolier, puisque celui-ci en possèdait cinq. C’est trop beau, on a une petite envie de pleurer (si,si), mais surtout parce qu’on ne dispose des 300 à 500 000 euros nécessaires pour que l’ouvrage atterisse enfin dans notre bibliothèque. Mais Sainte Wiborade, que c’est beau!
H
P.S.: le catalogue est ici: http://www.christies.com/eCatalogues/index.aspx?saleid=22954

9 Commentaires

  1. Ce sont les initiales des 38 chapitres de l'Hypnerotomachia qui composent la phrase :
    "Poliam frater Franciscus Columna peramavit"
    qui cache le nom, la profession et le secret de l'amour de l'auteur.

  2. Pierre, j'ai une édition de 1600, chez Matthieu Guillemot, in-4 en vélin de l'époque. Elle réutilise les bois de Kerver à trois exceptions (193 bois au total, les vignettes formant l'acrostiche "François Colomne"), mais avec la première traduction par Béroalde de Verville.

    La fugure du Priape est intacte. Ouf.

    Hugues

  3. George John, 2nd Earl Spencer (1758-1836; leather book label; sold by his heirs en bloc to form:) – John Rylands Library, Manchester (1894 bookplate, deaccession label; sale Sotheby's, 14 April 1988, lot 42).

  4. Et bien "presque" parfait si vous le voulez, il reste parfait à mes yeux 🙂

    Notamment parce que j'ai assez peu l'occasion d'en croiser de tels (mais peut-être que Martin a plus de chance que moi….)

    La bibliothèque John Rylands s'est défait volontairement de quelques ouvrages, dont celui-ci.

    H

  5. Martin, vous avez un style qui n'appartient qu'à vous ! Il manque néanmoins quelques mots d'allemand pour que le mystère reste entier ;-))

    Il s'agit là d'un ouvrage de très haute bibliophilie, d'un rêve inaccessible. Bien malheureux sera son riche propriétaire s'il ne possède pas des notions poussées de grec, de latin, de mythologie et d'art antique pour en tirer un plaisir autre que visuel. Une traduction française devrait séduire le simple amateur. Quelle est votre version, Hugues (sauf si cela est indiscret). Pierre

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