Terminologie bibliophile: la lettre à cadeaux

Amis Bibliophiles bonjour, Adaptation typographique d’un exercice de calligraphie, la lettre à cadeaux fit son apparition dans les livres incunables français dans la dernière décennie du XVe siècle. La Grant Danse macabre. Lyon 1499 Il s’agit d’une grande  initiale, ou même très grande initiale, dite « cadelée ». La lettre stylisée est renforcée de doubles ou triples traits, usant de pleins et déliés très contrastés, au mieux réalisés avec une plume carrée. La lettre s’orne d’entrelacs souples qui accentuent le plus possible le mouvement de la lettre. Elle est accompagnée d’éperons, d’arabesques, de motifs dentelés et de petits traits de plume qui lient les motifs les uns aux autres en formant des losanges. Ces traits de plume enchaînés ont donné le nom de cadeau, autrefois cadel, pour son vieux sens de petite chaîne.  La lettre est historiée agrémentée de profils anthropomorphes grotesques. Les lettres à cadeaux les plus élaborées s’ornent d’animaux fantastiques ou exotiques (chimères, dragons, cigognes, singes…) ou de  personnages en pied, Saint-Georges, chevalier, dame… 
Les annales d’Aquitaine 1537 La mise en valeur de la page de titre n’allait pas de soi aux débuts de l’imprimerie. Le texte commençait abruptement dès la première page. L’usage d’une grande initiale, lettrine en belle page au début du livre, sera une option originale et peu coûteuse de singulariser la page de titre. Cette lettre initiale est gravée sur bois. Le texte qui l’accompagne en revanche utilise, le plus souvent, des caractères typographiques de métal. Ces caractères sont de type gothique.  La lettre « L » est la plus utilisée. En français en effet, beaucoup de phrases ou de titres commencent par l’article défini : le, la, les, l’.  Cette constatation a suscité une étude de Denise Hillard en 2003 intitulée « Histoire de L » dans la Revue française d’histoire du livre, n° 118. L’auteur s’intéresse au devenir d’une grande initiale de 12,5 cm utilisée à Paris en 1485 pour les premières fois (par Jean Du Pré et Pierre Le Rouge). Cette lettrine est réutilisée maintes fois, rachetée, mais aussi copiée sans vergogne et se retrouve pendant vingt ans sur diverses éditions à Paris, Lyon, Troyes, Besançon et Genève. L’âge d’or des initiales à cadeaux couvre les années 1485-1505. Elles sont utilisées par les imprimeurs et libraires parisiens Pierre Le Rouge, Antoine Vérard, (La cronique martiniane, vers 1503), Galliot du Pré, Jean du Pré, Jehan Petit (Les chroniques de France, Froissart, 1518), Nicolas Couteau ou de province Jean Granjean à Toulouse en 1501 par exemple.  Cette vogue appliquée dans les livres en langue vernaculaire, se retrouve donc préférentiellement sur les chroniques, les romans, les légendes, les éditions non savantes. Ces lettrines vont cependant perdurer assez longtemps, suivant le mouvement de raréfaction des impressions gothiques  jusqu’un peu avant le milieu du XVIesiècle, de plus en plus usées.  Ainsi en est-il de cette édition des Illustrations de Gaule et singularité de Troye de François Regnault en 1524 sur la page de titre de l’épître du roy hector. Ou encore de l’édition des Annales d’Aquitaine de 1537 par Galliot du Pré. Illustrations de Gaule et singularité de Troye
Illustrations de Gaule et singularité de Troye Ayant quitté le domaine de l’imprimé, les lettres à cadeaux sont encore à la mode sur ce terrier manuscrit sur peau de vélin de 1575.  Lauverjat 

12 Commentaires

  1. Il existe, sur le sujet, un article de Denise Hillard, "Histoire de L", dans Le Berceau du livre : autour des incunables. Mélanges offerts à Pierre Aquilon, Revue française d'histoire du livre, n° 118-121, 2003, p. 79-104

  2. Merci pour ces Cadeaux , Laverjat. L'article rejoint ma bibliothèque de travail. Reste à trouver des exemplaire du XVIeme siècle pour agrémenter mes rayonnages ! ;-))

    Pierre

  3. Nos pages de titres sont très semblables mais les lettres cadeaux sont différentes, à la cinquième ligne la date en rouge est Mil cinq cens.xxxvi. sur mon exemplaire et n’a pas été corrigée
    Voici l’adresse : « on les vend a Paris en la rue sainct Jacques a lenseigne du Pellican devant sainct yves par Ambroise girault. »
    La date en rouge est la même Mil D XXXVII (Sic) comme sur votre exemplaire, le fleuron noir est différent.
    Il s’agit d’une édition partagée entre plusieurs libraires (dont aussi Galliot du Pré) où, comme de coutume, seules les pages de titres sont légèrement différentes, l’imprimeur est Nicolas Couteau, l’achevé d’imprimé du 22 décembre 1536.

    Ces lettres à cadeaux étaient de même « hauteur en papier » que les caractères qui les « habillaient » sur la même forme, donc ne nécessitant qu’un passage sous la presse. En revanche dans le cas de cette page de titre en rouge et noir chaque couleur a nécessité un passage sous la presse. On peut s’en rendre compte en considérant le léger défaut d’alignement du rouge. Le repérage n’est pas parfait.
    Hugues a peut-être toujours ma page de titre.

    Lauverjat

  4. ce terrier manuscrit de 1575 est-il à connotation satirique ? On le dirait bien, mais peut-être est-ce une fausse impression ?

    Absolument rien à voir :
    Une des définitions du mot "cadeau" que donne Richelet, rappelée dans le blog de Pierre Bouillon : "chose spécieuse et inutile" peut se révéler très utile en période de Saint-Valentin, Noël et autres anniversaires…

  5. Particularité probablement peu connue des bibliophiles. Article très intéressant et bien documenté de même que celui de Pierre Bouillon que Calamar nous a rappelé.
    Merci Lauverjat.

    René

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