Un Livre à l’honneur : Le Cousin de Mahomet, de Nicolas Fromaget

Amis Bibliophiles Bonsoir,

L’ouvrage que je vais évoquer ce soir est un de ces ouvrages que l’on croise régulièrement, sans vraiment savoir en quoi il consiste, mais que le titre, forcément, interpelle : il y a l’Alcoran des Cordeliers, et il y a le Cousin de Mahomet.
Le Cousin de Mahomet, de Nicolas Fromaget, est paru en 1742. En quelque sorte en plein milieu du 18ème siècle français, puisqu’on pratiquement changera d’époque 11 ans avant le tournant du siècle. C’est le moment des Lettres Persanes, mais aussi des voyages de Thévenot ou de Tavernier, autant de titres, relations de voyages ou essais/fictions qui nous emmènent vers la Grande Porte, aux portes de l’Orient, à Istanbul.

De Fromaget on sait encore aujourd’hui peu de choses : il est mort jeune en 1759 et il fût l’ami, peut-être même le nègre du célèbre Alain-René Lesage auquel on doit par exemple Les Aventures de Gil Blas de Santillane. Fromaget signa plusieurs ouvrages, mais seul Le Cousin de Mahomet est passé à la postérité, puisqu’il fût immédiatement interdit par la censure.
Cela tient probablement au fait que comme pour les Lettres Persanes, il est plus simple (et plus prudent) de critiquer les moeurs de son époque en transposant l’action en Orient, plutôt que dans une cour où des susceptibilités puissantes peuvent rapidement nuire à un auteur.

La curiosité de cet ouvrage tient à d’ailleurs au fait qu’il tient à la fois de la satyre et de la relation de voyages (certains de ses contemporains le tinrent pour véridique). En réalité on suit les aventures philosophiques et libertines d’un adolescent espiègle, qui a déserté Paris, abandonnant étude et héritage bourgeois pour rejoindre Constantinople sous la protection d’un convoi de bagnards. Sur place, devenu esclave, il sera rebaptisé « Parisien L’Ecolier » et pénétrera l’intimité des harems de ses maîtres et même du sérail.
Là, la hardiesse d’un jeune parisien fera le reste et « ses yeux me parlaient, mais je n’entendais pas encore si bien ce langage que l’idiome turc… je me hazardai pourtant à porter une main tremblante sur sa gorge… » On devinera que les ennuis ne faisaient que commencer. Aah, que d’incompréhensions auront fait naître les langues étrangères… heureusement, Parisien L’Ecolier sera utilement secondé par son fidèle ami, Mustapha, qui aura la tâche difficile, car comme à la cour du Roi de France, les femmes sont libertines et insaisissables, quand elles ne sont pas comme l’aimée de notre héros, proche un puissant entre les puissants, ici la soeur du sultan, le Cousin de Mahomet, justement.
C’est un admirable roman initiatique, plus léger que les autres oeuvres philosophico-littéraire du siècle, et qui se parcoure comme un véritable roman. Le turc, la femme, l’ami, le chrétien peuvent y être cruels, généreux ou fidèles, amis ou ennemis, et on est loin des schémas classiques. C’est une vraie fiction, qui se lît comme telle. Elle prône en tout cas une grande tolérance qui mériterait d’être remise à la mode.
J’ai souvent croisé cet ouvrage et j’ai finalement craqué hier pour cette originale édition, datée de 1757, avec 5 gravures hors-texte, 2 volumes in-12 en plein veau glacé de l’époque, originale notamment pour cette étonnante dorure, bien labyrinthique. 100 euros à Brassens. Lu dans la journée.

H

11 Commentaires

  1. sans faire mon libraire, je confirme que l’EO de 1742 est rare, voire très rare. Evidemment, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est recherchée plus que les autres. Je pense même que (à tort à mon sens) la première édition illustrée est beaucoup plus recherchée.

    Amitiés, Bertrand

  2. si la page de titre que tu montres est bien celle de ton exemplaire Hugues, alors une cure de sommeil s’impose… c’est évidemment 1757 qu’il faut lire sur ton exemplaire…

    PS : Essaye de poster tôt le soir… plus tôt !! je suis en vacances et vais me coucher de bonne heure !!… repos oblige ! (sourire)

    Amitiés, Bertrand

  3. Très original ton exemplaire de par une dorure atypique, je confirme, jamais vu ce décor en 20 ans de chine !

    Amitiés du sud (ici il fait beau), Bertrand

  4. Bon, visiblement je suis fatigué… L’édition originale est bien de 1742, la mienne est bien de 1752, et elle est très originale!
    Deux solutions, soit je suis vraiment fatigué, soit je fais mon libraire (je ne parle pas de Bertrand ni des autres libraires qui ont l’habitude exquise de fréquenter le blog), en originalisant les éditions à tout va!
    Mais, à défaut d’être Originale, avouez que mon édition est bien originale quand même, avec sa dorure.
    H
    PS : désolé.

  5. Concernant la première édition illustrée elle date de 1751 si je me souviens bien. Elle est illustrée de 6 hors texte. Je crois qu’il y a eu plusieurs éditions sous la même date avec de légères différences.

    Amitiés, Bertrand

  6. Pierre, je vous confirme que l’EO du Cousin de Mahomet est bien de 1742, voici pour être précis la notice que j’avais faite pour le dernier exemplaire (et le seul de cette édition) que j’ai vendu récemment :

    FROMAGET (Nicolas) – LE COUSIN DE MAHOMET, et la folie salutaire. Histoire plus que galante. Première et deuxième partie (complet).
    Frères Vamberk, 1742
    A Leide, chez les Frères Vamberk, 1742. 2 parties reliées en 1 volume in-12 (17 x 10,5 cm) de (2)-188 et (2)-240 pages, reliure plein veau glacé fauve marbré, dos à nerfs richement orné, pièce de titre de maroquin rouge, dentelle dorée en encadrement intérieur des plats, tranches rouges, gardes peigne (reliure de l’époque). EDITION ORIGINALE RARE de cette « Turquerie exquise ». « C’est en quelque sorte un Gil Blas oriental très original, un petit chef-d’�uvre du genre, plein de raillerie et très humain par le fond. Tous les caractères y sont peints avec une sûreté de touche extrême, et le lecteur qui voudrait occuper ses loisirs à faire un parallèle entre Gil Blas et le Cousin de Mahomet serait surpris du nombre et de la variété d’exemples et de rapprochements qu’il aurait à fournir à l’appui de la thèse que j’indique. (�) Fromaget fut le premier à abandonner le genre des Orientales rocaille ; – avait-il vécu à Constantinople ? Son roman tendrait à le prouver, car son érudition seule n’aurait pu lui apprendre ces divers usages de la Turquie qui lui semblent si familiers, et dont toutes ses �uvres portent l’empreinte. Il est possible néanmoins qu’il se soit livré à de nombreuses recherches et ait étudié avec ardeur les docteurs de la religion mahométane et tous les ouvrages spéciaux, assez rares cependant au XVIIIè siècle. Tel qu’il se présente, je tiens son roman du Cousin de Mahomet pour l’une des petites �uvres les plus remarquables de l’époque � c’est du Casanova dans l’esclavage musulman (�) (extrait de la Notice sur la vie et les �uvres de Fromaget, Octave Uzanne, p. XI-XIII, éd. Quantin, 1882). On ne sait presque rien de la vie de Nicolas Fromaget, excepté qu’il est mort en 1759 et qu’il est l’auteur par ailleurs de quelques pièces restées manuscrites et d’autres qu’on lui attribue et devenus fort rares mais oubliées aujourd’hui. Il aurait collaboré à plusieurs reprises avec Le Sage. Oublié du Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse à la fin du XIXè siècle ; mentionné simplement en quelques lignes par Michaud dans sa Biographie Universelle comme « auteur dramatique », il faudra attendre la fin du XIXè siècle et Octave Uzanne avec sa Collection des Petits Conteurs pour le redécouvrir. Etiquette de la librairie ancienne E. Nourry à Paris collée au premier contre-plat. Références : Gay Lemonnyer I, 754 ; Cioranescu II, 830 ; Quérard, La France littéraire III, 221 « Ouvrage licencieux, qui a été souvent réimprimé» ; Hayn Gotendorf VIII, 122 ; Gay, I, 380 ; Dufrenoy, L’Orient Romanesque, 2, 152. Seulement 4 exemplaires référencés au CCfr (Dijon, Châlons en Champagne, BNF et Besançon). Quelques traces d’usure sans gravité à la reliure (mors inférieur fendu consolidé, amorce de fente en tête du mors supérieur, coiffe de tête usée, petit manque de cuir en queue du dos, coins frottés consolidés). BEL EXEMPLAIRE DE CET OUVRAGE LICENCIEUX, TRES RARE EN EDITION ORIGINALE, CONSERVE DANS UNE AGREABLE ET FINE RELIURE EN VEAU DE L’EPOQUE. On joint : Le même ouvrage dans la Collection des « Petits Conteurs du XVIIIè siècle », Le Cousin de Mahomet, avec une notice bio-bibliographique par Octave Uzanne, Paris, Quantin, 1882. 1 volume in-8 carré (21,5 x 16 cm) de XIV-283-(4) pages, reliure demi-toile anglaise verte chinée à la bradel. UN DES TRES RARES EXEMPLAIRE SUR PAPIER DE CHINE, PREMIER GRAND PAPIER, TIRE A 20 EXEMPLAIRES, AVEC LES 6 AQUATINTES DE PAUL AVRIL EN DOUBLE ETAT SUR JAPON ANCIEN ET VERGE, EN NOIR ET EN SANGUINE. Très bon exemplaire., A Leide, chez les Frères Vamberk, 1742. 2 parties reliées en 1 volume in-12 (17 x 10,5 cm) de (2)-188 et (2)-240 pages, reliure plein veau glacé fauve marbré, dos à nerfs richement orné, pièce de titre de maroquin rouge, dentelle dorée en encadrement intérieur des plats, tranches rouges, gardes peigne (reliure de l’époque). EDITION ORIGINALE RARE de cette « Turquerie exquise ». « C’est en quelque sorte un Gil Blas oriental très original, un petit chef-d’�uvre du genre, plein de raillerie et très humain par le fond. Tous les caractères y sont peints avec une sûreté de touche extrême, et le lecteur qui voudrait occuper ses loisirs à faire un parallèle entre Gil Blas et le Cousin de Mahomet serait surpris du nombre et de la variété d’exemples et de rapprochements qu’il aurait à fournir à l’appui de la thèse que j’indique. (�) Fromaget fut le premier à abandonner le genre des Orientales rocaille ; – avait-il vécu à Constantinople ? Son roman tendrait à le prouver, car son érudition seule n’aurait pu lui apprendre ces divers usages de la Turquie qui lui semblent si familiers, et dont toutes ses �uvres portent l’empreinte. Il est possible néanmoins qu’il se soit livré à de nombreuses recherches et ait étudié avec ardeur les docteurs de la religion mahométane et tous les ouvrages spéciaux, assez rares cependant au XVIIIè siècle. Tel qu’il se présente, je tiens son roman du Cousin de Mahomet pour l’une des petites �uvres les plus remarquables de l’époque � c’est du Casanova dans l’esclavage musulman (�) (extrait de la Notice sur la vie et les �uvres de Fromaget, Octave Uzanne, p. XI-XIII, éd. Quantin, 1882). On ne sait presque rien de la vie de Nicolas Fromaget, excepté qu’il est mort en 1759 et qu’il est l’auteur par ailleurs de quelques pièces restées manuscrites et d’autres qu’on lui attribue et devenus fort rares mais oubliées aujourd’hui. Il aurait collaboré à plusieurs reprises avec Le Sage. Oublié du Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse à la fin du XIXè siècle ; mentionné simplement en quelques lignes par Michaud dans sa Biographie Universelle comme « auteur dramatique », il faudra attendre la fin du XIXè siècle et Octave Uzanne avec sa Collection des Petits Conteurs pour le redécouvrir. Etiquette de la librairie ancienne E. Nourry à Paris collée au premier contre-plat. Références : Gay Lemonnyer I, 754 ; Cioranescu II, 830 ; Quérard, La France littéraire III, 221 « Ouvrage licencieux, qui a été souvent réimprimé» ; Hayn Gotendorf VIII, 122 ; Gay, I, 380 ; Dufrenoy, L’Orient Romanesque, 2, 152. Seulement 4 exemplaires référencés au CCfr (Dijon, Châlons en Champagne, BNF et Besançon). Quelques traces d’usure sans gravité à la reliure (mors inférieur fendu consolidé, amorce de fente en tête du mors supérieur, coiffe de tête usée, petit manque de cuir en queue du dos, coins frottés consolidés). BEL EXEMPLAIRE DE CET OUVRAGE LICENCIEUX, TRES RARE EN EDITION ORIGINALE, CONSERVE DANS UNE AGREABLE ET FINE RELIURE EN VEAU DE L’EPOQUE. On joint : Le même ouvrage dans la Collection des « Petits Conteurs du XVIIIè siècle », Le Cousin de Mahomet, avec une notice bio-bibliographique par Octave Uzanne, Paris, Quantin, 1882. 1 volume in-8 carré (21,5 x 16 cm) de XIV-283-(4) pages, reliure demi-toile anglaise verte chinée à la bradel. UN DES TRES RARES EXEMPLAIRE SUR PAPIER DE CHINE, PREMIER GRAND PAPIER, TIRE A 20 EXEMPLAIRES, AVEC LES 6 AQUATINTES DE PAUL AVRIL EN DOUBLE ETAT SUR JAPON ANCIEN ET VERGE, EN NOIR ET EN SANGUINE.

    C’était (c’est toujours mais plus sur mes rayons) un bel exemplaire.

    Quant aux titres dorés en long, je crois que le sens de lecture des titre quand on regarde des livres dans une bibliothèque n’est pas naturellement propice à ce type de titrage en long. Par contre, si l’on remonte aux premiers incunables, aux manuscrits médiévaux, qui étaient entreposés « à plat », on voit bien que ce type de titrage était le seul utilisé ou presque. Question de pratique.

    Par ailleurs contrairement à vous Pierre, je dois avouer mon affection toute particulière pour ces titres raccourcis, rognés, amputés, parfois pas très droits, souvent même un peu de travers… Tout le charme des livres anciens. La perfection dans ce domaine n’arrive qu’à l’extrême fin du XVIIIè et au début du XIXè s. avec les Bozerian, Duplanil et autres Thouvenin, on entre dans l’ère de la reliure dite « parfaite ». Mais est-elle réellement plus agréable à l’oeil qu’une mosaïquée de Padeloup dont les plats sont agréablement décorés mais dont le titre au dos est un beu borgne… ??

    Amitiés (provisoirement sétoises), Bertrand

  7. Je suis un peu perdu avec les dates. L’EO non illustrée est donc de 1742. Hugues, vous annoncez une EO de 1752, est-ce la date de l’EO illustrée ? Enfin, sur la photo, je lis 1757.

    Les titres incomplets m’ont toujours intrigué, et je dois dire aussi agacé : je trouve que cela gâche un peu le plaisir de n’avoir pas entre les mains un objet « parfait ».

    Le problème de l’épaisseur du dos me semble une raison pratique évidente. Réduire la taille de la police ? Les lettres doivent rester suffisamment lisibles. Et peut-être cela entrainerait-il des difficultés d’exécution ?

    Mais alors, pourquoi les titres « en long » ne se sont-ils pas imposés ? L’espace entre nerfs représente aussi une limite pratique, mais on pourrait imaginer de placer les nerfs de la partie haute du dos suffisamment éloignés. Ou bien les anciens refusaient-ils l’idée de pencher la tête ? (sourires).

    Existent-ils des relieurs ayant systématiquement utilisé un titrage en long ? Cette caractéristique peut-elle être utilisée pour identifier certaines provenances ?

  8. Bel article,
    je connais bien cet ouvrage, je l’ai lu avec grand plaisir également dans l’EO non illustrée de 1742 (assez rare). Au delà des moeurs libertines et des péripéties de voyage du Parisien c’est bien la liberté de pensée et l’exposé de moeurs différentes qui passionne surtout. C’est par ailleurs à mon sens fort bien écrit et cela vaut bien Lesage.

    Vraiment un bel exemplaire à la dorure très originale (jamais rencontrée pour ma part).

    Pour revenir à la remarque de Bergamotte sur le titrage des livres anciens ; même les plus grands relieurs du XVIIè et XVIIIè comme Boyet, Derome, Padeloup, etc ne donnaient pas des reliures aux titres parfaitement poussés et intégralement composés. Je pense qu’au delà du travail confié à un apprenti (je n’y crois qu’à moitié), c’est facile de constater qu’il est quasiment toujours impossible de frapper au dos d’une reliure un titre entier en travers comme habituellement; imaginez « LE COUSIN DE MAHOMET » frappé en entier ! même sur deux lignes, sur un in-12 de 250 pages !! cela fait juste. Je pense que c’est un aspect pratique qui a d’abord incité les relieurs (même les meilleurs) à abréger les titres aux dos. Preuve supplémentaire, lorsque le titre d’un ouvrage ancien est frappé « en long » au dos (dans le sens de la longueur du dos), le titre est alors frappé systématiquement en entier ou presque.

    Pour information complémentaire, je recherche aussi les ouvrages curieux de cet auteur, et j’essaye de les acheter lorsque cela m’est possible.
    Dernièrement le hasard m’a fait trouver un autre ouvrage du même :

    MIRIMA, IMPERATRICE DU JAPON.
    1 volume in-12 de 106 pages.

    Encore une curieuse histoire d’amour dans un royaume étranger.
    Assez rare à trouver aussi.

    Amitiés sétoises, Bertrand

  9. Sur les dorures souvent bâclées de la pièce de titre, le très gentil fabricant de fleurons Alivon, m’expliquait qu’au 18e le titre était considéré comme secondaire et qu’il était parfois laissé aux jeunes apprentis. Les maitres se réservaient le plus noble, c’est à dire la décoration du dos et des plats.

    A.A.A

  10. Très jolie dorure, en effet.
    Je suis à chaque fois étonnée quand le titre n’y est pas complet : était-ce par économie de temps ? ou bien faute d’une taille de police indisponible ?
    (sans rapport avec la dorure, n’y aurait-il pas une petite coquille dans le titre de ton billet ?)

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