Amis Bibliophiles Bonsoir,
Vos commentaires sur mon message d’hier, sur le fait qu’un doreur puisse faire figurer ou non le titre en entier au dos d’un ouvrage m’ont fait réfléchir.
Je suis allé chercher dans mes rayonnages de quoi alimenter cette réflexion. Finalement, à bien y regarder, j’ai l’impression que cela dépend plus de la dextérité du doreur, ou de la finesse de ses outils, que de la largeur du livre (sans parler de la longueur du texte, même si cela ne semble pas décisif, comme le montrent les images). Ainsi le titre pourra être incomplet au dos d’un ouvrage en plein veau du 18ème siècle et qui fait 3 cm de large, et complet sur une reliure de maître de la fin du 19ème siècle, qui fait elle moins de 0,4 cm.
Le triomphe de Pradon, 1684, in-12, maroquin signé Duru et Chambolle. Largeur du dos 8 mm.D’un côté on a une reliure assez courante, de l’autre une reliure de luxe. Voici quelques exemples.
Histoire Générale des Larrons, 1640. Largeur du dos : 33 mm
La Guerre des Dieux, Parny, in-12, maroquin Lavallière signé Lortic. Largeur du dos : 11 mm
Mémoires et avantures d’un homme de qualité, in-12, maroquin rouge signé Lortic. Largeur du dos : 23 mm
La Lanterne Magique Nationale, in-8, maroquin rouge signé Chatelin, largeur du dos : 7 mm.
Les Disputes, par Ruhlières, 1796, in-8, maroquin rouge signé Trautz-Bauzonnet, largeur du dos : 4 mm, et tout le titre est lisible!
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas comme PierreG, un titre incomplet ne me dérange pas : si le livre m’appartient, je sais qui il est, si le livre n’est pas à moi, au contraire, cela excite ma curiosité. Quant aux titres « en long », j’imagine qu’ils ont été abandonnés pour cause de torticolis chroniques (essayez donc de parcourir un rayonnage entier de titre en long…). Ces titres en long sont d’ailleurs un héritage de l’époque où les livres étaient rangés à plat.
Exemple de titre « en long ».
Les titres incomplets sont même d’ailleurs assez amusants, combien de fois ai-je frissonné en prenant sur l’étal d’un libraire un volume à la pièce de titre prometteuse du type « hist. ven. »… Hélas, pas de place Saint-Marc à l’intérieur, mais une histoire in-extenso du vendredi saint. Au moment de conclure, après avoir ajouté les images, je me rends compte que même sur une plaquette extrêmement fine (largeur du dos : 0,45 cm et 16 feuillets), un atelier comme Trautz-Bauzonnet parvient à dorer le titre sur le dos, et il reste parfaitement lisible. Je crois que la démonstration est faite… la netteté du titre au dos dépend plus de la qualité du doreur et du relieur que de la longueur du titre. La qualité des matériaux employés dans les exemples que j’ai utilisés tend également à le prouver.
H
J’arrive un peu tard…Devauchelle a (presque) tout dit, ce que vous aviez tous compris d’ailleurs.
Le premier composteur fut une ficelle.
Puis tous les composteurs furent en bois et ne contenaient qu’une ligne. On peut voir sur une gravure de la « Grande danse macabre » (Lyon, Mathias Husz, 1499) l’ancêtre de ces composteurs.
Le composteur en métal n’est fabriqué que dans la seconde moitié du XVIIIe s. (un auteur, dont j’ai oublié le nom,a prétendu que le composteur existait dans sa forme actuelle dès 1638 ?).
On distingue le composteur « à la française », à une ligne, et le composteur « à la flamande », pouvant contenir jusqu’à sept lignes et dont l’usage s’est généralisé jusqu’à nos jours.
De retour de chez le doreur !!!, Merci Hugues pour la recherche dans le Devauchelle ; et effectivement j’ai eu les mêmes informations à l’atelier de dorure/reliure de la rue Buffon.
Avant la venue du composteur (dont je n’ai pas trouvé les dates d’invention), les lettres étaient poussées une à une, sans tracé ; d’où les lettres de travers, et qui pouvaient dépasser sur la charnière…
Les pièces de titres et de tomaison n’étaient pas forcément faites pas des apprentis peu expérimentés.
Bien Cordialement
Xavier
Salut Bertrand, attention au soleil !!!
Les Boyet ; les mystérieux Boyer et Boyet, continuateurs de l’œuvre des Le Gasco, F.Badier et autres, se retrouvent côte à côte sur une liste de 1718. Boyer Luc-Anthoine, Boyer Estienne…père et fils, Boyet Estienne, Boyet Bertrand… ; père et fils. D’après un mémoire de livres reliés pour le roi entre 1705 et 1707, on trouve deux autres Boyet, Anthoine et Luc-Anthoine. Deux homonymes à ne pas confondre, mais avouez que c’est chercher la petite bête !
Dixit E.de Verbizier-Traité de dorure sur cuir, Tome 1, page 137
Xavier
Tout est dit donc,
effectivement, merci M. Devauchelle.
Comme quoi on peut s’appliquer à poser une belle dentelle intérieure dorée en encadrement des plats sur un maroquin rouge de très grande qualité et n’apporter qu’un soin tout relatif au titrage de ces mêmes volumes.
L’explication de Devauchelle semble la bonne cependant cela reste plus difficile à comprendre lorsqu’on parle de reliures de très grand luxe en maroquin doublé ou en maroquin mosaiqué aux armes, destinés aux plus grands bibliophiles, pour lesquels pourtant le traitement « olé olé » du titre, semble le même ??! Pourquoi le doreur n’avait-il pas « ordre » de correctement titrer les reliures des rois et des princes ?? assez incompréhensible ? La force de l’habitude ? Ou est-ce que cela n’avait-il pas non plus grande importance pour les amateurs de l’époque ??
Amitiés, Bertrand
Devauchelle dans « La Reliure » : « … cela permettait de dorer 400 à 600 volumes par jour dans un atelier… Le doreur, pendant sa journée de travail, longue parfois de douze à quatorze heures, poussait son fer chauffé sur le cuir pour y laisser l’empreinte… Le titrage des reliures ne connut pas encore, au 18ème siècle, un réel progrès dans sa composition. Le genre employé pour la gravure demeurait le style Elzevier, créé en 1540 par Claude Garamond… L’attirail du doreur comprenait six tailles de lettres correspondant aux principaux formats de livres… « poussés » un par un, le plus souvent de guingois, ces caractères formaient tant bien que mal des titres appropriés à la surface de l’entre-nerf. Les doreurs du 17ème et surtout ceux du 18ème, si attentifs au décor des plats et des caissons du dos, semblaient n’attacher qu’une importance secondaire à l’ordonnance du titre. Ils commençaient chacune des lignes sans se soucier si l’ensemble « tiendrait » dans la largeur du dos. D’où des textes incomplets, incompréhensibles et quelquefois cocasses ».
Merci M. Devauchelle.
Hugues
Eh bien, je suis ravie de constater que ma question sur le billet précédent a généré beaucoup de commentaires (et même un billet complet !).
Ces titres coupés me font toujours l’effet, comme le dit PierreG, d’un travail fait à la va-vite, voire bâclé. Parfois, les lettres ne sont même pas alignées (d’où la question de l’invention des composteurs).
Ceci dit, je suis bien mal placée pour critiquer un doreur, quel qu’il soit : je n’ai pour l’instant doré que la pièce de titre d’un seul ouvrage… (mon titre n’est pas centré, mais il ne déborde tout de même pas sur la charnière *clin d’oeil*)
Je devais passer voir un doreur prochainement, je vais anticiper mon passage et je vais lui parler de cet article ; et j’espère apporter ma contribution…
Bien Amicalement
Xavier
Oui en effet assez souvent le titre déborde sur la charnière. Ne serait-ce pas du à l’utilisation d’un composteur ? Le mot entier est préparé, son début appliqué au bon endroit…quant à la fin, elle s’imprime où elle peut si l’artisan n’arrête pas son mouvement à temps. Mais peut-être suis-je en train de commettre un anachronisme, je ne sais absolument pas de quand date l’utilisation de composteurs.
Ce serait intéressant de savoir ce qu’on dit les historiens de la reliure et de l’histoire du livre sur le sujet. Que dit Devauchelle dans son immense ouvrage ? Jean-Paul a-t-il un avis sur la question ?
Je pense que la plus plausible des hypothèses pour les siècles antérieurs au XIXè, est que le relieur, armé d’une police de taille « proportionée » au reste de la taille du volume, débutait le titrage en sachant très bien qu’il ne pourrait pas le « frapper » en entier. Par ailleurs n’avez vous jamais remarqué sur les volumes, petits (in-12) et grand (in-folio), que la dernière lettre frappée l’était souvent partiellement et sur le début de la charnière, presque hors de la pièce de titre ??
Pourquoi sur un exemplaire en 2 volumes in-4 des OEUVRES DE SAINT-EVREMOND (1698), le relieur de l’époque titre-t-il OEUVR // DE // S. EVREM ?? alors qu’en choisissant une police de caractère plus petite pour le titrage il aurait assuré le titrage en lettres intégrales ?? Autres temps, autres habitudes ?! C’est ce qui arrivera au XIXè s. où l’on hésitera plus à réduire la police de titrage pour que toutes les lettres tiennent.
Très intéressante question en tous les cas, pas si facile à résoudre.
Amitiés sétoises, Bertrand
Pour essayer de résumer d’une manière objective, on pourrait donc affirmer tout de même que ces titres abrégés sont le résultat d’un travail « baclé », quelle qu’en soit la raison : manque d’intérêt (évoluant avec le temps, comme l’a précisé Bertrand), voire de dextérité, voire d’outillage.
Qu’on aime ou pas reste affaire de chacun, et je comprends parfaitement vos sentiments à ce sujet. Personnellement je crois que ce qui me gêne n’est pas le fait que le titre soit incomplet, mais cette manière étrange de le couper, genre « on met tout ce qu’on peut et on verra bien », presque comme si ce n’était pas prévu au départ, comme si le relieur se faisait surprendre. Je trouve étrange qu’aucune règle de césure ne soit apparue au fil du temps.
Hugues a dit :
> « la netteté du titre au dos dépend plus de la qualité du doreur et du relieur que de la longueur du titre. »
oui, c’est vrai, seulement tu ne verras jamais un titre poussé en entier en si petits caractères aussi nets chez des relieurs du XVIè au XVIIIè s., comme je le disais dans un précédant commentaire, c’est seulement avec le soucis de perfection du XIXè débutant (avec les Bozerian, Duplanil, Vogel et autres Thouvenin, suivis ensuite des Trautz, Duru et autres Lortic) que la reliure d’art a donné ses lettres de noblesse aux titres bien droits, entiers, et bien composés.
A vrai dire, je suis de l’avis de Hugues, cela fait propre, net, parfait, mais cela m’ennuie un peu et je préfère de loin une reliure en maroquin de Boyet doublée de maroquin avec encadrement intérieur finement doré, avec un titre abrégé et un peu de travers. Qui pourtant dira que Boyet (ou les reliures qui lui sont attribuées puisqu’on ne sait pratiquement rien de lui…) ne sont pas des reliures de maître dignes de figurer dans les plus belles bibliothèques !?
Amitiés, Bertrand
Belles bêtes!
Etienne
bonjour Hugues
c’est la première fois que je participe à un blog.
Votre article sur la finesse des pièces de titre a attiré mon attention. Je crois que tout dépend de la qualité du relieur. Je fais appel à eux pour relier quelques plaquettes. Les plus mauvais d’entre-eux (et j’en ai rencontré) ne sont pas capable de retranscrire fidèlement le titre sans faire une ou deux fautes. Est-ce de l’inatention ? de l’incompétence ? probablement les deux. Ne soyons pas trop injuste. Il y en a de très bons et même d’excellents, et c’est à eux que je pense pour votre reflexion sur la finesse des titres. J’ai une plaquette reliée en plein maroquin par Honnelaitre, largeur du dos 8mm. Cet excellent relieur a réussit à faire tenir le titre de façon harmonieuse, et pas en long ! : « Discours véritable sur le fait de Marthe Brossier ».
Quant aux titres incomplets sur les dos, cela ne me semble que de peu d’importance. Lorsque l’on connaît le livre, cela a même un certain charme. Que serait une bibliothèque trop rigoureuse, avec tous ses titres bien droits, bien complets, avec des étiquettes de la même couleur ? Elle serait à coup sûr bien ennuyeuse. Dans les étagères de nos chers libraires, combien de livres n’ai-je pas ouvert parce que le titre au dos n’était pas suffisamment explicite ? Et quelles découvertes parfois !
Fred