Amis Bibliophiles Bonjour,
Echange matinal mais intéressant avec un bibliophile: être bibliophile passe-t-il forcément par le fait de posséder des livres? Lui pense que ce n’est pas une condition sine qua non. Moi si.
En d’autres termes, qu’est ce qui définit le mieux le bibliophile? Vaste question. Précisons donc: est-ce la passion du livre, quitte à n’en posséder qu’un nombre faible ou point du tout, ou plutôt le fait d’en posséder un nombre significatif? Question subsidiaire, avoir manipulé un grand nombre de livres et les aimer (un expert, un libraire, un conservateur, un bibliothécaire) suffit-il à faire de vous un bibliophile?
Pour moi, le bibliophile est un collectionneur. On parle donc bien de propriété, de possession, voire d’accumulation, plus ou moins contrôlée de livres. Je pense que le bibliophile est quelqu’un qui a la passion des livres anciens et/ou rares, certes, mais que cela ne suffit pas.
En effet, j’ai le sentiment que le bibliophile est en quelque sorte la somme de contacts (très) personnels avec les livres, d’expériences heureuses ou malheureuses, qui vont de l’achat involontaire d’un incomplet à une main levée trop vite, ou trop tôt, ou trop tard dans une salle des ventes, à une trop longue hésitation chez un ami libraire qui fait qu’un livre finalement nous échappe, à un chopin trouvé sur un vide grenier; d’atermoiements face à un ouvrage trop cher, une folie, de la nécessité de se séparer d’un ouvrage, des hésitations face à des restaurations nécessaires ou pas, etc.
De ces expériences, de ces contacts multiples avec les livres naît une connaissance très personnelle et unique. C’est cette expérience individuelle unique qui à mon sens fait le bibliophile, et qui explique d’ailleurs qu’il n’y ait pas deux bibliophiles identiques. Et puis, aimer (ou aimer mieux) ne passe-t-il pas connaître ou connaître mieux? Si vous êtes bibliophile, vous savez bien que chaque nouveau livre acquis, sa découverte, son étude, sa comparaison, les déceptions ou les joies qu’il fait naître sont autant de pas sur le chemin de la connaissance et d’une bibliophilie personnelle « plus aboutie » (je ne suis pas très content de cette formulation).
Si l’on va plus loin, et si l’on considère la relation intime qui existe entre un bibliophile et chacun de ses ouvrages, nous sentons tous confusément, même s’il est assez politiquement incorrect de l’exprimer ouvertement, que la possession est centrale. L’émoi que l’on ressent à avoir déniché, acquis un livre puis à le posséder, au delà de l’instinct de propriété (posséder un livre, un objet aussi charnel, culturel, n’est pas posséder un nouveau téléviseur) fait toute la différence. Peut-on imaginer un bibliophile qui ne vivrait que dans les bibliothèques, ou en rêvant des livres des autres, dans la contemplation, peut-être doublée de l’accumulation de connaissance, mais sans ce rapport personnel et individuel à chaque ouvrage? Je n’y crois pas une seconde, cette passion nous pousse à l’action, à l’action d’acquérir, de construire, pour connaître mieux, et finalement aimer mieux.
Pour autant, les moyens financiers ne sont pas décisifs, nous l’avons déjà vu: on peut aujourd’hui acquérir des livres de bibliophiles pour le prix de quelques places de cinéma, et si on y pense, c’est beaucoup plus « rentable » (là encore, expression malheureuse: je ne parle pas de revente, mais de temps de lecture et surtout du fait que chacun de ces ouvrages nous accompagnera ensuite pour une vie ou presque). En disant cela d’ailleurs, on se rend bien compte que la relation au livre est centrale et qu’elle passe par la possession.
Quelques exceptions? Nous avons tous été des bibliophiles débutants, plus animés par la ferveur que capables d’acquisitions nombreuses et onéreuses, ce pré-état de bibliophile, cette gestation n’est bien sûr pas concernée par mon propos. Les moyens financiers? J’ai autant de respect pour un bibliophile ayant rassemblé des séries noires que des incunables, cela ne compte guère…
Les bibliophiles les plus intéressants sont-ils les plus passionnés? Oui, possible, sans doute, mais il faut en passer par la possession, ne serait-ce que pour se former le goût, et vivre le plaisir unique que procure selon moi la bibliophilie: une relation intime au livre, personnelle, sentimentale, qui transcende le texte…
Votre avis? Posséder pour mieux bibliophiler?
H
Grimpons quelques étages …:
http://ashp.revues.org/index747.html
Posséder oui mais cela ne suffit pas : il faut s'intéresser à l'histoire du livre, aux procédés de fabrication…
On passe ainsi de collectionneur à bibliophile… ! C'est mon avis…
Léo
Je rebondis sur l'intervention de antiquariat.sartorius. Un bibliophile est quelqu'un qui aime les livres. Je trouve cette définition très saine. Elle permet justement d'éviter ces débats "intranchables" (mais passionnants à suivre) sur ce qu'est la vraie bibliophilie. Débats, qui bien que la plupart s'en défendent, mettent en jeu un désir de distinction.
Je rajouterais cependant, en ce qui me concerne, la dimension fétichiste du bibliophile. C'est du moins ainsi que je vis mon amour des livres. Comme une sorte de fétichisme, qui comme toute perversion, n'est jamais totalement assouvie.
Guillaume
bibliophile = collectionneur de livres?
collectionneur de livres = bibliophile?
Hmh…
Je suis bibliophile, du moins j'espère pouvoir revendiquer cet état, et, bien sûr, en tant que tel, je suis collectionneur de livres. MES livres, je les débusque, je les achète avec arbitrage, je les chérie, je les protège, je les entretiens, les fait restaurer ou relier à l'occasion, je les classe, les range, les liste, les collationne, les compare et commets de petites notices sur eux. Je me livre sur eux à des recherches qui me conduisent parfois fort loin dans des bibliothèques publiques. Quelques unes de mes recherches ont été publiées mais toujours elles avaient pour point de départ un de MES livres. Enfin j'ai le projet de les doter d'un ex-libris.
Il y a d'évidence des bibliothécaires qui ont pour leurs fonds, qui ne leur appartiennent pas, les mêmes comportement que moi,… ou si c'était l'inverse? Un comportement de bibliophiles donc qui n'auraient pas de livres en propre. Je pense néanmoins que comme dépositaires ils se sentent un peu possesseurs de leur fonds même s'ils ont conscience d'un usufruit consenti par la collectivité.
Je ne comprends pas bien les scrupules "politiquement corrects" de la possession. Sur le sujet de posséder mes livres je n'ai aucun état d'âme. Je n'en ai pas volé un seul, et aucun ne vient d'un fond publique. Si je les ai acheté quand d'autres auraient préféré des vacances à Marrakech, une voiture neuve ou des "Jeans" de marque, c'est leur droit et c'est mon affaire. Ces livres ont été faits par des gens qui ont ainsi gagné leur vie et revendus par d'autres pour le même motif. Posséder un livre ne spolie personne, n'exproprie personne; je ne conquiers pas le pays du voisin, je ne convoite pas sa femme…
Je n'ai dérobé à l'humanité aucun texte majeur dont elle ait perdu l'accès, (ce que certains services d'archives font parfois en classant une liasse incommunicable, sans la numériser ni la microfilmer, la confinant au fond d'une boîte ignifugée en attendant que les moisissures finissent de la détruire). Je soutiens au contraire que sans les bibliophiles et les collections privées de tous les temps, les bibliothèques publiques seraient autrement plus pauvres aujourd'hui, même si la bibliothèque Lauverjat ne prétend pas avoir les qualités requises pour en enrichir jamais aucune.
Cordialement
Lauverjat
Un bibliothécaire bibliophile?
Ce serait comme de ramener du travail à la maison… Pouah.
A contrario ne point en avoir en ferait l'eunuque du Harem.
Trêve de plaisanterie, j'aimerais avoir plus de réactions de bibliothécaires (à moins qu'ils ne soient massivement pas bibliophiles et ne suivent pas ce blog…).
Quand je vois mes amis historiens se plaindre des généalogistes qui encombrent les archives je me demande ce que pensent les bibliothécaires des bibliophiles…
Cordialement,
Olivier
Eric, je vous dresse une statue dans mon jardin. Ca ne fait pas avancer le débat mais ça me fait plaisir.
Compère Donatien, vous nous tarabustez, qu'avez vous donc sur vos tablettes, que du bon ?
Montag
En passant: je connais le conservateur de l'un des principaux fonds d'ancien en France, il aime les livres, les connaît, mais n'est pas bibliophile (c'est lui qui le dit).
Au contraire. La connaissance du livre ne fait pas le bibliophile. Eric, j'aime bien l'idée de gallicaphile… mais il m'a fallu 3 minutes pour comprendre.
Sourire
André
Je ne faisais pourtant que reprendre l'opposition qu'avait émise André : "Soyons vigilants: ce n'est pas parce qu'on possède mille incunables qu'on est bibliophile, mais ce n'est pas non plus parce qu'on gère une bibliothèque de mille incunables et qu'on les connaît tous sur le bout des doigts, ainsi que toutes leurs éditions postérieures qu'on est bibliophile." Or à cela je répondais sans déclamer que le second, du moins, aime nécessairement – ou autant vaut – les livres.
Du reste je n'ai jamais affirmé ni même suggéré qu'un riche ou un Grand ne pouvait pas être souverainement passionné autant comme cultivé : si vous avez vu cela en mes lignes c'est que vous ne m'avez point entendu. Robert Lenkiewicz fut fort riche ; or il serait malaisé, à mon sens, de trouver bibliophile plus cultivé ; Don Vincente eut, de même, des myriades d'ouvrages fort précieux : toujours à mon sens il serait malaisé de trouver bibliophile plus passionné. Ainsi dois-je répondre de votre bonne volonté ?
Enfin, si vous m’outragez, ce n’est pas en supposant que je n’ai pas un sou vaillant, mais en supposant que je pourrais en ressentir une frustration, et qui pis est m’en ressentir ; mais cet outrage se trouve trop atténué dès qu'il vient d'un bibliophile ; hélas.
Ci gît ce petit nota bene.
1000% d'accord avec Eric, et je pense que la notion de choix liée à l'achat (et donc de renoncement) est cruciale.
Hugues
Le fait d'acheter des livres amène à faire des choix. Des choix de vie : je ne pense pas qu'un homme ou une femme n'ayant acheté de sa vie aucun livre, puisse être un bibliophile.
En effet, ce dernier aura, toute sa vie, privilégié ses vacances, son téléphone portable, son ordinateur, le cinéma, ses cigarettes,… aux livres.
Le fait d'acheter ses livres amène aussi à faire des choix dans ses achats. Nul n'a des moyens illimités. A chacun de ces achats, donc, le bibliophile choisit, tisse une relation personnelle mais aussi sélectionne et acquiert ainsi savoir et connaissance sur un nombre croissant de livres.
Il n'est certes pas nécessaire de posséder pour connaître, mais n'oublions pas qu'un livre est un objet bien concret.
Le fait de tout connaître sur les livres ne suffit pas pour être bibliophile et, pour dire le fond de ma pensée, n'autorise pas à parler de bibliophilie. Tout au plus à parler d'histoire du livre et être "gallicaphile".
Par exemple, — pour rebondir sur le dernier débat — penser, sans en posséder aucun, qu'il faut absolument qu'un livre soit dans un état parfait et complet pour être digne d'être un exemplaire de bibliophilie me semble facile et très abstrait (l'exemple du bibliothécaire dans ce débat, même si tous les bibliothécaires que je connais possèdent tous, à titre privé une bibliothèque intéressante).
Un tel jugement serait pour moi sans valeur.
Par contre, la même opinion,
énoncée par un "acheteur de livres", qui après une dizaine d'années de recherche trouve enfin son merle blanc et qui ne l'achète pas car il lui manque le dernier feuillet blanc, devient celle d'un bibliophile plus avisé (fou?) que moi, qui trace la route, avec ses prédécesseurs, de LA bibliophilie.
Eric
Sans les fautes:
Donatien: pourquoi (encore) opposer des collectionneurs aisés (donc forcément un peu "stupides" à vous en croire) et des intellectuels forcément désargentés, mais ayant forcément meilleur goût? Cet argument ressassé à l'envi n'est pas digne de ce blog.
Comme si on ne pouvait être aisé, avoir mille incunables et dans le même temps être cultivé et passionné.
Est-ce une tare française que de ne pouvoir accepter "qu'argent" vive bien avec culture et que propriété ne puisse rimer avec bon goût, intelligence?
Quand on vous lit, vos oppositions un peu basiques, trop souvent des clichés que vous habillez d'un style (trop?) élégant, construisent une sorte de mur de Berlin entre de sympathiques bibliophiles aux moyens limités, érudits et passionnés d'une part, et des Monsieur Homais d'autre part.
Le goût n'a jamais été une affaire d'argent et je crois souvent discerner dans ces arguments une frustration très personnelle. Ce n'est pas parce que vous ne possédez pas de livres que vous n'êtes pas bibliophile (mais dans ce cas, pourquoi ne pas passer à l'action?), et ce n'est pas parce que votre voisin en a mille mais qu'il ne les connaît pas tous aussi bien que vous qu'il n'est pas bibliophile, ou moins que vous.
Il est à mon sens peu réaliste de
résumer la bibliophilie à un plaisir intellectuel: même, pour faire écho à artciboldo, le fait de posséder un grand texte, même dans une version délabrée est déjà un plaisir charnel.
Tristan.
Quand aux bibliophiles enfermés dans des hautes tours qui pourraient servir de preuve, écartons ces arguments captieux.
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La bibliographie, cette science de la connaissance des livres, a ouvert à la librairie une branche de ressources inépuisables : la librairie s’est emparée du livre rare, de l’édition précieuse, et a jeté l’un et l’autre en appât à la gloriole et à l’amour propre humains. Le livre rare est aujourd’hui devenu un bibelot, une curiosité qu’on montre par ostentation, qu’on possède bien plus pour la forme que pour le fond ; la bibliothèque est devenue un meuble courant, comme l’armoire à glace ou le piano : tout individu quelque peu aisé doit avoir à offrir, aux yeux ébahis de ceux qu’il reçoit, quelques livres rares, plus ou moins richement reliés, dont il ne manquera pas de faire ressortir toutes les qualités extrinsèques, laissant de côté, bien entendu, la valeur intrinsèque et pour cause !
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Je sais discerner un ouvrage, non pas tant par son décorum extérieur, mais par l’œuvre qui y est contenu, qui est l’âme même de l’ouvrage : je me ficherai pas mal d’un Botin relié aux armes de la marquise de Pompadour ou de Marie Antoinette, je lui préfèrerais mes vieilles traduction d’Amyot avec leurs reliures défraîchies et usées ! Je ne fais pas fi, loin de là de ces superbes exemplaires qui font la joie et l’orgueil de leur possesseur, mais je ne dédaigne pas non plus de m’arrêter à la boite à deux sous sur les quais de la Seine : sur un terrain déjà moissonné, il est toujours possible de recueillir quelques épis !
Etienne Deville
28 Septembre 1904.
Il est une différence essentielle entre un être possédant mille incunables et un être gérant une bibliothèque et la connaissant de fond en comble : c'est que le second, sauf singulière exception, aime nécessairement les livres ; l'on ne saurait en dire autant du premier. La connaissance n'est certes pas tout ; l'amour est tout. Et, à moins d'être absolument dépourvu d'imagination, il n'est pas nécessaire, pour avoir une relation personnelle au livre, de le posséder ; vous semblez, cher André, considérer la bibliophilie comme incompatible avec la sagesse.
S'il y avait eu des livres répandus au temps de Platon, il aurait eu une raison de plus pour ne pas exalter la communauté des biens : il aurait songé aux Bibliophiles.
En conscience je m’adresse à eux :
Guettez les premiers symptômes de bibliophilie chez un jeune esprit (lesquels, selon moi, ne consistent pas ou du moins ne devraient pas consister en un fougueux désir de posséder tel ou tel ouvrage), puis saisissez-le et enfermez-le dans une haute tour, avec l'accès à toutes les connaissances possibles et imaginables sur les livres, avec des photographies (toujours éphémères afin qu'il n'opère pas de "substitutions") d'une infinité de livres, avec des visites régulières d'érudits ainsi que de bibliophiles quis des quatre coins du globe ; avec, qui pis est, l'accès à ce blog ; mais sans aucun espoir de pouvoir jamais toucher ni à plus forte raison posséder le moindre livre : selon vous, ce jeune esprit ne pourra jamais être bibliophile? Grand dieu !…
Mais vous me répondrez peut-être qu'alors, quoique la possibilité d'effleurer des livres fût à cent lieues de lui, il n'en couverait pas moins l'ardent désir d'en posséder, et qu'en précisant un peu plus il apparaît que la bibliophilie ne doit pas passer nécessairement par la possession, mais par le désir de possession ; en d'autres mots vous faites un crime aux autres de n'être pas aussi dénués de sagesse que vous, et les destituez d'une épithète dont vous raffinez et dénaturez le sens à votre aise, en y faisant entrer divers éléments que vous tirez vraisemblablement de vos introspections, mais qui s'avèrent si peu caractéristiques que vous en arrivez à déclarer hautement qu'il est des êtres incessamment environnés de livres, s'en grisant, les aimant, mais indignes du titre de bibliophile… mot qui, étymologiquement, n'a pas d'autre signification que "ami des livres" ! Je vous avoue que je m'inquiète pour vous ; je ne peux que conseiller à l'être qui a franchi le seuil de Pierre de rechercher l'édition originale d'Épictète : ne parvenant point à la trouver, peut-être essaiera-t-il de donner le change à sa convoitise en en dévorant le contenu, et, cela advenant, sûrement aura-t-il fait plus que de lui donner le change.
En bref, ô chers Bibliophiles, vous paraissez exalter l'amour charnel et le désir de possession ; moi je prône l'amour platonique et le désintéressement ; votre bibliothèque ressemble étrangement à un grand tableau de chasse, et moi je suis à l'égard d'un ouvrage comme Baudelaire à l'égard de Madame Sabatier.
Je refuse le titre de bibliophile qu'à ceux qui n'aiment point les livres, mais ce qu'ils procurent socialement ; vous, ô sacrilèges, vous l'enlevez à ceux qui les aiment de tout leur coeur.
Vu tous les instincts humains que vous y faites entrer, il s'en faut de peu que vous n'honoriez ceux que vous destituez de cette épithète.
Donatien.
"celui qui aime les livres"… Je connais des dizaines de gens qui aiment livres mais qui ne sont point bibliophiles…
Antoine
Pour ma part, je préfère la définition "Celui qui aime les livres".
Votre analyse, Hugues, me semble très complète et posséder un livre semble être, en effet, le but principal du bibliophile.
J'ai de la compassion pour une espèce qui a franchi, hier, le seuil de ma boutique – Le bibliophile qui a déjà tout sur le sujet qu'il convoite. Vieille famille "d'amateur", cela va faire 40 ans qu'il sonde les rayonnages des libraires et qu'il ne trouve plus rien qui l'émerveille… Ça ? Il l'a déjà et ça aussi mais dans une plus belle livrée et puis il a aussi ça que vous n'avez pas. Il repart avec un fascicule sans intérêt mais qui manque à sa collection… La bibliophilie s'efface t-elle avec la possession alors que la possession a été son but ?
Le bibliothécaire, l'universitaire qui ne possèdent pas de livre ne craindraient pas ceci ? J'ai bien peur qu'une impression de propriété ne s'installe aussi chez ces commis de l'état qui font des grandes bibliothèques leur sanctuaire et leur pré carré. Mais j'ai peut-être tort.
Pierre B de T
Je me trompe peut-être, mais je crois qu'un bibliothécaire ou un universitaire doit avoir les moyens d'acheter quelques livres s'il est bibliophile… puisque des étudiants, et j'en étais, et sans le sou, y parviennent.
S'il n'en ont pas, c'est donc qu'ils le choisissent, et s'ils font ce choix, peut-on imaginer qu'ils sont pris par cette fièvres qu'est la bibliophilie; cette faim de livres?
Je pense que non. Je crois vraiment que tout bibliophile ne peut vivre sans posséder des livres.
Les autres, bibliothécaires, universitaires, etc, ne sont que des amoureux des livres, ce qui est déjà énorme et très intéressant, mais pas plus.
Antoine
Le suffixe « phile » est le suffixe qui accolé au nom d’un objet identifie celui qui le collectionne parce qu’il en est amateur, l’ami (du grec « philos »). L’amateur, l’ami, l’amoureux, l’amant… ont tous en commun, hormis leur racine latine commune, de ne pouvoir vivre qu’en s’entourant de ceux (ce) qu’ils aiment. Le bibliophile n’échappe pas à l’analyse : il est l’amateur, l’ami, l’amoureux, l’amant des livres sans le contact desquels il ne peut vivre. Oui, le bibliophile est un collectionneur de livres, c’est-à-dire un amoureux qui doit posséder ses livres. Amitiés bibliophiliques. Pierre R.
Aller au restaurant uniquement pour lire la carte… Dur… Pas pour moi. Si je ne pouvais pas m'offrir les quelques livres que je convoite, je ne pourrais être bibliophile, tout simplement parce que la possession nourrit et alimente mon état de bibliophile.
S
Aimer sans posséder, c'est de l'amour.
Mais posséder quand on aime c'est le bonheur.
Gonzalo,
Il me semble que vous parlez là d'amoureux du livre, pas forcément de bibliophiles. Soyons vigilants: ce n'est pas parce qu'on possède 1000 incunables qu'on est bibliophile, mais ce n'est pas non plus parce qu'on gère une bibliothèque de 1000 incunables et qu'on les connaît tous sur le bout des doigts, ainsi que toutes leurs éditions postérieures qu'on est bibliophile. La connaissance n'est pas tout.
Les historiens du livre, les bibliographes, les universitaires, les professionnels du livre, même si leur apport "à la bibliophilie" est immense ne sont pas toujours pour autant des bibliophiles. D'ailleurs votre démonstration est biaisée car ceux-ci malgré tout, possèdent le plus souvent des livres, même peu.
Je ne crois pas que Hugues voulait créer des cases aussi nettes que vous, mais je penche plutôt de son côté. Etre bibliophile pour moi c'est avoir un rapport particulier au livre, ce rapport se magnifie quand la relation est personnelle, et cela passe (hélas, mais nous vivons dans ce monde), par la propriété. Mais posséder mille incunables, encore une fois, ne fait pas de vous un bibliophile, et encore moins un amateur. Ceci dit, la relation au livre peut passer par l'émotion brute, et votre incunablomane peut avoir développé une relation très forte avec ses ouvrages, elle ne convient pas forcément à l'intellectuel (aucun sens péjoratif) que vous êtes, mais pourquoi lui nier ce droit pour autant.
Je ne sais pas si je suis clair… mais ce n'est pas parce que A implique B, que "non A" implique "non B".
Avouons, tous, que être bibliophile, et honnêtement, ça tombe sous le sens… mieux vaut posséder des livres. A moins qu'il ne faille inventer une nouvelle catégorie, celle de bibliophile frustré? Bon sens.
Je suis souscripteur de la NRLA, et j'ai relu l'article de Jean-Paul. Il me semble qu'il parle de personnes respectables ayant tous apporté quelque chose à l'histoire du livre, à la "bibliologie", à la bibliographie… mais cela ne signifie pas qu'ils soient bibliophiles.
André
Effectivement, le terme de "bibliophile" est compris comme un "collectionneur" ; c'est pourquoi je préfére le terme (très XIXe siècle) d' "amateur"…
Dans mes recherches en bibliothèques publiques, je rencontre quantité de gens passionnés par le livre, qui connaissent l'histoire du livre, de l'art et de la littérature sur le bout des doigts, mais qui ne possède pas de livres anciens, pour des raisons de moyens financiers, ou de choix personnels. Faut-il leur interdire l'usage de l'épithète?
Je croise en salle des ventes, sur des salons, chez des libraires, des "bibliophiles", propriétaires de centaines de volumes rares, qui ne connaissent rien à l'histoire des livres (la description des libraires leur suffit pour avoir l'impression de connaître un livre), et qui ne parlent de leurs livres sans jamais évoquer aucune relation "individuelle" avec aucun des ouvrages… D'autorité, je leur retire le "titre" de bibliophile: être propriétaire ne suffit pas.
J'ai croisé des universitaires et des bibliothécaire d'une érudition sans borne, qui parlent des livres comme des femmes, qui décrivent les livres lors de "séances publiques" et qui forment, à chacune de leurs interventions, des dizaines "d'amateurs" (temporaire, car la passion retombe vite, mais qu'importe: ce public a touché du doigt la bibliophilie l'espace d'un instant)… Des gens passionnés par le livre et son histoire, capables de transmettre cette passion. Ne sont-ils pas bibliophiles?
Car, certes la bibliophilie passe par un rapport individuel entre l'objet et l'amateur… Mais je connais des bibliothécaires qui ont les mêmes frustrations que toi (budget (municipale) pas assez élevé, exemplaire en mauvais état, découverte de l'incomplétude d'un livre, etc.), les mêmes passions (j'étais hier en discussion avec un conservateur qui cire amoureusement "ses" livres, les dépoussière, les connait par coeur, et qui connait la place de chacun des livres de son fonds, qui comporte pourtant plusieurs milliers de volumes). Je fréquente quasi quotidiennement de universitaires qui, sans avoir jamais travaillé officiellement dans des bibliothèques, peuvent décrire dans leur moindre détails des exemplaires appartenant à des collections publiques, de raconter leur "rencontre" (souvent pas hasard) avec ces livres, etc.
Ces comportements là témoignent de la même passion que ta bibliophilie, Hugues. Le vocabulaire employé, l'émotion partagée est la même. Les choix de vie, ou les possibilités financières, sont différents.
L'ouverture du premier numéro de la NRLA, signée par Jean-Paul, rend un "hommage attentionné à ceux qui partagent avec nous leur enthousiasme pour l'étude et la recherche dans le domaine du livre ancien". Et dans la liste des cités ne se trouvent que des universitaires et des bibliothécaires. Jean-Paul n'a-t-il pas tranché le débat en page 5 de la NRLA ?