Maintenant que nous connaissons le mot adéquat, la claie, à ne pas confondre avec défet, je vous propose de partir sur la piste d’une claie présentée par Bertrand.
Bertrand a récupéré cette claie en faisant restaurer un ouvrage relié en veau brun et imprimé à Paris en 1541 (format petit in-8). Le fragment provient d’une charnière intérieure ou du contreplat. Sa taille? 155 x 42 mm. Il s’agît d’un manuscrit sur parchemin, portant deux belles lettres décorées en rouge, un N et un Y (ou un V).
Bertrand estime que ce fragment est antérieur à 1480 mais serait preneur de toute autre information, notamment sur le texte, qui est en latin, mais qu’il a du mal à déchiffrer (Raphael?), et donc encore plus à le traduire (Isa?).
Ensemble, peut-être parviendrons nous à l’aider. Quelqu’un est-il capable de le décrypter voire de le traduire (je pense aux latinistes). Avec un fragment de texte, qui sait, il est envisageable d’essayer d’identifier le texte. Ambitieux? Je sais!
H
Ok avec Isa et Bertrand. Finalement, en restaurant l’ouvrage qui lui a permis de découvrir la claie, Bertrand a sans doute permis à un ouvrage de survivre aux dommages du temps, tout en révélant l’existence de cette claie…
Une renaissance et une deuxième naissance en quelque sorte.
Une belle histoire en tout cas.
Max
Comment restaure-t-on une reliure ancienne?
J’ai bien peur qu’un blog entier soit nécessaire pour répondre à cette question!
H
Bonsoir,
On peut estimer aussi que ce morceau de parchemin, utilisé comme un simple accessoire, a retrouvé une certaine « dignité » en recouvrant son « identité ».
Personnellement, j’aime bien la manière de voir de Bertrand. Si ce parchemin avait été choisi en raison de son contenu pour la reliure du livre, c’eût été regrettable de l’en séparer, mais ce n’est pas le cas ici. De toute façon, la reliure restaurée ne peut plus être tout à fait la même, non ?
Tiens, voilà une idée de futur article pour les non-spécialistes comme moi : comment restaure-t-on une reliure ancienne ?
Cordialement,
Isabelle
On peut débattre sur ce point, mais la séparation de corps a eu lieu…
Ce livre circule maintenant amputé d’une partie de son histoire, même technique, même peu visible, perdue pour les futurs possesseurs. J’aurais aimé lire que le document avait été transmis avec le livre…
Vous voyez, cela va au-dela de la notion de valeur marchande; c’est presque une question philosophique.
Raphael
Je crois que je ferais pareil que Bertrand à sa place. Pensez-vous que cela ajoute à la valeur du livre restauré?
Meric encore pour ce beau travail d’équipe, qui a impressionné pas mal de monde je crois…
Hugues
Mille merci à Isabelle qui fait remonter ce fragment bien au delà de mes espérances. Le XIIè siècle ! Qui eut osé en rêver ? Merci.
Pour répondre au dernier message de Raphaël, très intéressant, je dirais que ce fragment devient de plein droit un objet d’histoire à part entière, détaché du livre (puisque le livre restauré, et vendu… puisque je suis libraire comme tout le monde le sais ici et que le sort de mes livres est de ne pas rester longtemps en ma possession…)
ce « noble » fragment sera sans l’une des choses que je conserverai précieusement, sans y attacher ni prix ni valeur, comme un morceau d’histoire du livre.
Probablement très prochainement mis en valeur dans un cadre adéquat et sous verre (adéquat aussi… il faut que je trouve le moyen de conserver ce document sans qu’il s’altère avec le temps),
une légende au dos du cadre retracera l’historique du morceau de parchemin que chacun de vous ici aurait permis de retracer.
Mille mercis.
Je vous proposerai sans doute très bientôt de nouveaux challenges de ce type.
Amitiés bibliophiliques,
Bertrand
Merci Bertrand de ces précisions.
Comment allez-vous considérer cette pièce maintenant ? Comme un déchet opératoire (même noble) ou toujours comme un élément structurel du livre,même s’il en est détaché, et donc à transmettre avec lui ?
Amicalement
Raphael
Re-bonjour !
J’ai pu contacter une amie, ancienne élève de l’Ecole des Chartes et voici ce qu’elle m’a répondu : l’oeuvre d’Isidore de Séville a souvent fait l’objet de copies. La datation précise d’un manuscrit est assez difficile mais après comparaison avec d’autres manuscrits, il semble que celui-ci date du début ou de la mi XIIème siècle. Cela peut être un peu plus récent si le copiste a gardé des habitudes anciennes. Les abréviations utilisées prouvent qu’il s’agit d’un manuscrit français.
Mission accomplie : l’union (des lecteurs du blog et de leurs amis) fait la force !
Cordialement,
Isabelle
Le volume en question est un petit-8 relié en pein veau brun estampé à froid (reliure parisienne des années 1540 – strictement contemporaine de l’ouvrage qu’elle contient). Elle recouvre les commentaires de l’Apocalypse par Rupert de Deutz, imprimés à Paris en 1541. Voilà.
Bonnes recherches paléographiques.
Amitiés bibliophiliques,
Bertrand
Bertrand,
Juste pour ne pas dissocier ce témoin de son contexte, pouvez-nous nous donner quelques infos sur le livre et la reliure qui le contenait ?
Raphael
Un grand merci Isabelle,
maintenant une question demeure, destinée aux paléographes confirmés ou en herbe qui fréquentent ce blog : A quelle date peut-on bien faire remonter ce fragment manuscrit ? XVIè siècle (je ne pense pas) ? XVè siècle ? possible, mais peut-on être plus précis ? XIVè siècle ? possible également ?
Aux spécialistes de trancher.
Amitiés bibliophiliques,
Bertrand
Bonjour,
Pour les curieux, voici ce que je pense avoir compris du texte commençant par un Y :
XXIIII. De hypocrisin.
24.1. Hypocrita uerba sanctorum habet, uitam non habet, et quos per sermonem doctrinae genuerit, non fouet exemplis, sed deserit, quia, quos uerbo aedificat, uita et moribus destruit.
24.2. Hypocritae simulatores dicuntur, qui iusti non esse quaerunt, sed tantum uideri cupiunt. Hii mala agunt, et bona profitentur.
De l’hypocrisie
24.1. L’hypocrite a le langage des Saints mais n’en a pas la vie, et ceux qu’il aura faits naître à la doctrine chrétienne par son discours, il ne les entretient pas avec de bons exemples mais les abandonne, car, ceux qu’il y a amenés par sa parole, il les détruit par sa vie et par ses mœurs.
24.2. On dit que les hypocrites sont des simulateurs qui ne cherchent pas à être justes mais qui désirent seulement le paraître. Ils agissent mal et promettent le bien.
N’étant pas du tout une spécialiste du latin tardif, je ne garantis pas à 100% l’exactitude de tous les termes, mais le sens général est là.
(Petite parenthèse pour les latinistes : j’ai acquis le nouveau Gaffiot (paru vers 2000) et il donne sur le latin chrétien de précieux renseignements qu’on ne trouve pas dans l’ancien plutôt centré sur le latin plus classique. Bref, n’hésitez pas à vous le procurer, même s’il n’a pas le charme de l’ancien)
Cordialement,
Isabelle
Depuis hier soir, le vieux qui croyait en savoir beaucoup (j’étais sur la piste, mais moins rapide que vous..)suit discrètement et avec amusement vos (d)ébats latins : j’ai vraiment hâte de vous rencontrer tous ! Quel bonheur de partager, sur un blog ou ailleurs, toutes vos richesses !
Réflexion faite, « Le magazine du Bibliophile » offre bien des articles où sont répertoriés des libraires, sans qu’ils soient considérés comme des publicités : Hugues, Bertrand, Isabelle et les autres, aidez-moi à la rédaction d’un article sur « Le blog du Bibliophile » que je proposerai dans un très prochain numéro.
Avec toutes mes félicitations, mon admiration et mes sentiments bibliologiques les plus respectueusement attentionnés.
Jean-Paul
Un seul mot:
bluffé!
Wall
Comme les voisins du dessus anticipent bruyamment les Saturnales, je poursuis la lecture de ce même chapitre 32 (32.6 et 32.7 pour l’édition suivie par Isa) au verso :
[Salubriter] accipiunt iusti, quotiens de suis excessibus/
[arguuntur]; superflua autem est humilitas eorum qui se gessisse/
[a]ccusant quae non admiserunt. Qui uero sine adrogantia/
[bo]na [facta sua] pronuntiat, procul dubio nequaquam/
[pec]cat. Est quorundam excusatio peruersorum, qui, dum pro suis/ […].
En évaluant le nombre de lignes manquantes, il doit être possible de reconstituer les dimensions du parchemin. En tout cas, l’organisation du texte suggère qu’il était plié en deux au milieu pour former un bifolium avec le « Y » en i et le « N » en ii.
Maintenant il est temps de rejoindre les bras de Morphée…même si il pique !
Raphael
Tout à fait OK avec Isa:
On arrive à lire (/=à la ligne, []=lacune):
Non debet (titre De correpcione fraterna)/
vicia aliena corripere [quiadhuc viciorum conta]/
gionibus servit. Improbum [enim est arguere quicquam]/
in alio, quod adhuc reprehendit in seipso. Qui enim/
Un peu de morale ne nous fera pas de mal…
Raphael
Re-bonsoir,
Je n’ai vraiment pas le courage de faire une traduction détaillée ce soir, mais le sens général est le suivant : il n’est pas bien de reprocher aux autres (à ses « frères ») des fautes dont on est soi-même l’esclave, alors même qu’on n’est pas capable de s’en corriger soi-même.
Bonne nuit !
Isabelle
Alors???? Qui a dit que c’était un blog de rigolos????
Respect…
Max
bis !
on est deux à être scotchés !
Vraiment un grand bravo et mille merci à tous ceux qui se sont penchés sur ce petit fragment d’histoire.
Désormais ce fragment a une histoire ! Grâce à vous.
Je vais essayer d’en savoir plus sur ce texte.
Concernant la graphie, quelqu’un peut-il préciser la date de ce manuscrit ??
Amitié et Respect bibliophilique,
Bertrand
Raphael, Isa… vous m’avez scotché. La classe.
Je suis fier que vous daigniez passer sur le blog!
H
Bonsoir,
Je crois avoir trouvé l’extrait en question. C’est la suite du texte d’Isidore, comme l’a bien trouvé Raphael. C’est encore le livre 3
La partie en rouge est le titre du chapitre : « De correptione fraterna ». Le reste est le texte de ce chapitre XXXII :
XXXII. De correptione fraterna.
32.1. Non debet uitia aliena corripere qui adhuc uitiorum contagionibus seruit. Inprobum est enim arguere quemquam in alio quod adhuc reprehendit in semetipso.
(texte trouvé à l’adresse suivante :
http://www.thelatinlibrary.com/isidore/
sententiae3.shtml)
Il est tard et je tenterai une traduction demain quand je pourrai ouvrir les yeux !
Cordialement,
Isabelle
Allez Pilou, tournez les pages jusqu’au chapitre 32 cette fois, tout y sera, et prenez garde de ne pas vous humectez les doigts en touchant ce parchemin… On connait les lectures de son propriétaire…
Raphael
Ah bah non alors! Au boulot Pilou ! On ne vas pas s’arrêter là tout de même. Mais c’est un début. Je pense que ce qui serait bien et décisif serait de parvenir à transcrire le mot en rouge à la suite de la lettrine N qui débute la locution Nondebet de … dommage la fin du dernier mot en rouge est en grande partie effacé…
Merci d’avance,
Amicalement, Bertrand.
Wahou! Magnifique! Bon, bah je ne sers plus à rien… 🙂
Je le savais! Raphael…. La classe.
Ne vendons pas la peau de l’ours, mais qui sait!
Hugues
Bonsoir à tous,
Ne pourrait-il pas s’agir du « De summo bono » d’Isidore de Séville (ou « Les Sentences »), particulièrement du chapitre 24 du livre 3 qui commence avec la belle lettre Y par « Ypocrita verba sanctorum… » et qu’on arrive à deviner jusqu’à « …sed deserit », avec les formes contractées ?
…Aux latinistes de faire maintenant.
Raphael
Hugues se fera un plaisir de vous envoyer des photos de plus grande définition,
merci d’avance,
Amitiés bibliophiliques,
Bertrand
J’ai du mal à déchiffrer sur les photos. C’est un peu petit. Hugues connaît mon mail, si vous voulez que je vous aide un peu! Un peu de paléo n’est pas de refus? 😉