Une autre de Luynes, les bibliothèques de la comtesse de Verrue, et ses ouvrages de Meudon

Amis Bibliophiles bonjour,
Quelques semaines avant l’une des grandes ventes de l’année, la vente de la Bibliothèque des ducs de Luynes (Château de Dampierre – Première partie, les 29 et 30 avril, chez Sotheby’s), dont le catalogue se fait d’ailleurs attendre, à moins que Sotheby’s ait choisi de ne pas le rendre disponible en ligne, j’ai eu envie de me pencher sur une autre Luynes, Jeanne-Baptiste d’Albert de Luynes, comtesse de Verrue.
En effet, non seulement la comtesse de Verrue fut une grande collectionneuse, et laissa une bibliothèque très importante, mais certains de ses ouvrages présentent une caractéristique intéressante pour les amateurs, la célèbre mention « Meudon ».

La comtesse de Verrue est née le 18 janvier 1670 et morte le 18 novembre 1736. Fille de Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes, et de sa seconde épouse, Anne de Rohan-Montbazon, elle eut pour parrain, à son baptême en l’église Saint-Eustache, Jean-Baptiste Colbert, dont on lui donna les prénoms. 
Le 25 août 1683, après une éducation à Port-Royal, on lui fit épouser à l’âge de treize ans et demi Auguste Manfroy Joseph Hiérosme Ignace Scaglia, comte de Verua (francisé en Verrue), colonel de dragons et diplomate piémontais qui l’emmena avec lui à la cour de Savoie à Turin et dont elle eut quatre enfants. Puis le duc de Savoie Victor Amédée II de Sardaigne tomba follement amoureux d’elle vers 1688. Elle repoussa longtemps ses avances avant de céder, trahie par sa famille et « encouragée » par Louis XIV, et de devenir sa maîtresse quasi-officielle. Ils eurent deux enfants qui furent tous deux légitimés en 1701.

Elle devint veuve lorsque son mari fut tué à la bataille d’Hochstädt le 13 août 1704. On raconte que, guérie elle-même d’une tentative d’empoisonnement de la part d’ennemis en Italie, elle en remit le remède à Mme de Ventadour, ce qui contribua à sauver, en 1712, le futur Louis XV de la rougeole qui emporta son frère aîné, le duc de Bretagne. Cet épisode lui valut la reconnaissance et l’amitié de Louis XV. Madame de Verrue devint alors familière de la cour. Elle fut notamment l’amie intime du duc de Bourbon et de sa mère, la princesse douairière de Condé.
Après avoir vécu recluse pendant plus de trois années à la demande de son mari, « L’excentrique comtesse de Verrue réapparut dans le monde et s’éprit alors d’un baron de fraîche date, Jean-Baptiste Glucq dit de Saint Port puissamment enrichi aux Gobelins » dit Saint-Simon, qui avance qu’elle l’épousa secrètement, ce qui n’a jamais été prouvé. 
Amie des lettres, des sciences et des arts, elle renoua des liens avec une société choisie d’écrivains et de philosophes français, notamment Voltaire, qu’elle admirait. A Paris, elle installa les nombreux cadeaux reçus lorsqu’elle se morfondait en Italie, dans l’hôtel d’Hauterive – détruit depuis par le percement du boulevard Raspail – agrandi pour accueillir une collection de plus en plus étoffée, et acheta aux Carmes voisins des maisons qu’elle loua au fur et à mesure à des relations. 
Elle y tint un salon où se pressèrent des fidèles comme l’abbé Terrasson, Rothelin, le garde des sceaux Chauvelin, Jean-François Melon, Jean-Baptiste de Montullé, le marquis de Lassay et son fils Léon de Madaillan de Lesparre, comte de Lassay et bien d’autres qui vinrent se fixer près de chez elle.
Jeanne-Baptiste d’Albert de Luynes possédait deux bibliothèques, l’une dans son hôtel de la rue du Cherche-Midi, à Paris, l’autre dans sa maison de campagne de Meudon. Au total, près de 18 000 volumes répartis sur les deux sites. 
La bibliothèque parisienne fut dispersée lors d’une vente en mars et en avril 1737 dont le catalogue, rédigé par le célèbre libraire Gabriel Martin comportait 3000 articles (à noter qu’il est peu pratique, ayant été rédigé selon l’ordre de classement dans les rayons), et excluait les ouvrages jugés trop licencieux pour être mis en vente publiquement. Les grands amateurs de l’époque, comme le duc de La Vallière, profitèrent de l’occasion pour enrichir leurs propres bibliothèques. 
Le destin des ouvrages restés à Meudon fut tout autre, puisqu’ils suivirent celui de la maison, léguée par la comtesse à son frère Louis-Joseph d’Albert de Luynes. 
On identifie généralement assez facilement les ouvrages de cette « deuxième » bibliothèque de Meudon, la comtesse ayant pris soin de faire dorer, à quelques exceptions près qui montrent que certains ouvrages voyageaient parfois avec le comtesse lors de ses séjours à la campagne, la mention « Meudon » sur les plats, au dessus de ses armes; nuance importante qu’il convient de noter, dans la mesure où d’autres ouvrages dorés « Meudon » firent leur apparition (sans les armes cette fois) après la mort de la comtesse.

Deux ouvrages en maroquin rouge et olive de la bibliothèque
du Cherche-MidiA quelques exceptions près, les ouvrages conservés à Meudon étaient reliés en veau, à la différence de ceux hébergés rue du Cherche-Midi, qui étaient pratiquement tous reliés en maroquin. On pense désormais que les quelques ouvrages en maroquin présents à Meudon étaient initialement conservés rue du Cherche-Midi et que la comtesse les fît transporter dans sa maison de campagne pour faire place à de nouvelles acquisitions (ainsi l’édition de 1719 de la Princesse de Clèves était-elle à Paris, tandis que celle de 1678 fît le voyage de Meudon).
Il arrive au bibliophile de croiser ces beaux ouvrages portant les armes de la comtesse de Verrue, parfois accompagnées de la mention Meudon au dessus des armes. Il lui arrive également de croiser des ouvrages reliés en veau, portant la mention Meudon dorée sur les plats, mais sans les armes. Ces ouvrages furent acquis par Angélique-Victoire, héritière de la comtesse et fille de sa nièce, qui perpétua la tradition en faisant dorer Meudon sur les plats, ainsi qu’un rappel des armes, le lion, dans les entrenerfs. Il est relativement simple de distinguer ces ouvrages, imprimés après le décès de la comtesse. 
Ouvrage postérieur à la mort de la comtesseUn nombre significatif des ouvrages de Meudon rejoignirent finalement la bibliothèque du duc de Villeroy, où ils furent confisqués à la Révolution. 
Amis Bibliophiles, si vous croisez un ouvrage portant la mention Meudon sur les plats, ayez une pensée pour la comtesse de Verrue, protectrice des arts, qui le tînt probablement un jour entre ses mains. 
Si l’ouvrage porte la mention Malmaison, et bien… c’est une autre histoire.
H

2 Commentaires

  1. La dame de coeur de Maurice Rainaud m'a fait decouvrir cette grande dame et faire le lien avec une Abbesse de l'Abbaye de Caen , Mme de Verrue et dont une rue de St Vaast la Hougue ( Manche )porte le nom

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