Amis Bibliophiles Bonsoir,
Le bibliophile aime les voyages comme le voyageur aime des contrées lointaines et exotiques. Le besoin de rêver sans doute, certainement une envie farouche d’un Ailleurs.
Cet Ailleurs, certains l’ont trouvé. Cook y a laissé sa vie, Colomb a marqué l’histoire à jamais, Marco Polo ouvre la voie du pays du soleil levant pour les occidentaux, les chinois auraient même découvert les Amériques dès 1299 (Colombie Britannique)…
Cet Ailleurs certains ne l’ont pas trouvé, ils l’ont alors imaginé. C’est l’objet de l’article que je vous propose de découvrir ensemble aujourd’hui.
Plus particulièrement, nous allons nous intéresser au mythe de la Terre creuse.
Depuis la nuit des temps, dans la plupart des civilisations anciennes, les croyances populaires aidées des croyances religieuses, attestent de l’existence de « royaumes souterrains », de peuplades nichées au fin fond de la Terre, de passages souterrains mystérieux permettant d’atteindre les entrailles de notre planète. Peut-on y croire ? Aujourd’hui, l’évolution des connaissances scientifiques au cours des derniers siècles nous l’interdit. Et pourtant ! Certains y croient encore, ou veulent y croire ! Les auteurs de science-fiction bien évidemment, quelques théoriciens légèrement illuminés, quelques explorateurs fous.
C’est à MM. Guy Costes et Joseph Altairac que l’on doit la bibliographie la plus récente et la plus complète sur le sujet : LES TERRES CREUSES, bibliographie commentée des mondes souterrains imaginaires. (parue aux édition Encrage, 2006. 1 volume grand in-8 de 799 pages, cartonnage rigide imprimé de l’éditeur, cet ouvrage est encore disponible dans les meilleures librairies).
C’est en discutant un jour de ce sujet avec M. Guy Costes que m’est venue l’idée de m’intéresser à ces théories farfelues. Autant d’utopies scientifiques ou pseudo-scientifiques qui nous étonnent aujourd’hui par leurs concepts le plus souvent hasardés.
Depuis Aristote et Sénèque qui considéraient la Terre comme un être vivant ayant ses propres vaisseaux sanguins ou lymphatiques, idée qui ressurgira au cours des XVIè, XVIIè et XVIIIè siècle ; en passant par la révolution copernicienne, les découvertes de Kepler, Galilée, qui changent la manière de regarder et de comprendre le globe terrestre : celui-ci devient une écorce de terre, de pierres, de métaux, d’eau, …, sous lesquels se cache un grand aimant. Léonard de Vinci parle dans ses carnets de « profondes et larges cavernes dissimulées aux entrailles de la Terre ». Et puis il y a l’énigme des pôles, restée longtemps mystérieuse, inexplorés car inexplorables : certains pensent que la Terre est creuse aux pôles et qu’il y a forcément moyen d’y pénétrer. Il y a aussi la théorie des sphères concentriques d’Edmond Halley (celui de la comète – la Terre serait formée d’un noyau entouré d’une coque qui ne lui est pas solidaire, les deux sphères concentriques tournant à une vitesse légèrement différente, provoquant ainsi les variations du champ magnétique). Séduisant non ? La Terre que l’on connait serait creuse parce qu’elle contient une autre Terre au centre ! D’autres, un peu plus téméraires que les autres imaginent la Terre creuse et éclairée en son centre par un soleil, voire par deux soleils, c’est la théorie attribuée à l’écossais John Leslie (1766-1832). Avec le XIXè puis le XXè siècle, les connaissances scientifiques s’affinant, on arrive à des théories extravagantes pseudo-scientifiques qui feront la joie des scénaristes de films de SF de la fin du XXè siècle.
De là à y imaginer la vie humaine dans ces mondes, il n’y a qu’un pas pour les plus imaginatifs.
Les auteurs de cette somme bibliographique nous décrivent et commentent avec précision et un esprit critique remarquable, plus de 2.200 ouvrages sur le sujet, un véritable défi ! Le moindre roman de SF français, anglais, américain, allemand, etc. a été soigneusement étudié et nous permet de voyager parmi toutes les théories les plus étonnantes.
C’est la découverte et la lecture d’un de ces ouvrages référencé qui m’a amené à approfondir le sujet : Voyage au centre de la Terre ou Aventures de quelques naufragés, dans des pays inconnus ; traduit de l’anglais par M. J. Saint-Albin (pseudo de Collin de Plancy). Tel est le titre de cet ouvrage.
Composé de 3 tomes in-12 d’un peu plus de 200 pages chaque, ce volume est édité à Paris chez Collin de Plancy et Cie (à l’époque imprimeur), rue Montmartre et chez Rapilly, libraire, boulevard Montmartre. Il porte la date de 1823. Chaque volume sort de l’imprimerie de David, rue du Pot de fer à Paris. L’ouvrage est orné de 6 gravures à l’eau-forte non signées. Notre exemplaire porte le tampon de la bibliothèque de Marcel Bekus.
Collin de Plancy ? Cela ne vous dit-il rien ? Oui, bien sûr, c’est lui ! L’auteur bien connu du Dictionnaire infernal (1818-1863). Farouche anticlérical dans la première partie de sa vie, il publie des ouvrages audacieux voire hérétiques aux yeux du catholique convaincu qu’il devient ensuite et qu’il restera jusqu’à la fin de ses jours. Né en 1794, anticlérical jusqu’en 1837, il mène une vie dévote jusqu’à sa mort en 1881. On pourrait presque penser que Collin de Plancy a vécu trop longtemps pour être cohérent avec lui-même (c’est un simple avis personnel totalement subjectif).
La curiosité m’a poussé à faire quelques recherches sur cet ouvrage « fort peu lu » comme l’annonce Costes et Altairac dans la notice qui lui est consacrée. Ce serait trop long de vous résumer ce livre alors je vais me contenter de vous en citer quelques passages significatifs :
Le personnage principal, dénommé Clairancy s’exprime ainsi à ses compagnons d’aventure lors de leur arrivée dans cette terre intérieure : « Un savant physicien a prétendu, au commencement du dix-huitième siècle, que la Terre qui vient de nous perdre ne pouvait être compacte, puisqu’ayant trois mille lieues de diamètre, il y en aurait au moins deux mille neuf cent d’inutiles. En conséquence, il supposait dans l’intérieur du globe terrestre, un noyau métallique qui en réglait les mouvements. Ce système, que l’on rejeta alors comme un paradoxe, notre aventure en prouve la réalité. Voilà donc ce que je présume : la Terre, dont les hommes habitent la surface, qui a neuf mille lieues de circonférence n’a que cinquante ou cent lieues d’épaisseur dans1 toutes ses parties. Son intérieur est vide, et lui donne au centre la forme d’un globe ; au milieu de ce globe est un noyau ou une autre planète plus petite, et ce noyau est d’aimant ; nous en sommes convaincus par la nécessité où nous venons d’être réduits d’abandonner tout le fer que nous portions avec nous (…) ce qui nous embarrasse le plus, c’est de voir le ciel, quand nous avons de toutes parts la terre au dessus de nos têtes. Mais il se peut que le globe terrestre, opaque et sombre dans sa superficie, soit lumineux dans ses parties inférieures, ou plutôt l’air qui nous environne nous cache la véritable nuance de ce demi-globe qui est au dessus de nous. Quant à la lumière que nous recevons ici, je pense qu’elle nous est communiquée par ces mêmes vapeurs magnétiques, qui, traversant les deux pôles, s’élèvent à une hauteur infinie, réfléchissent les rayons du soleil, font les aurores boréales, et sont peut-être aussi l’axe de la Terre (…) c’est encore à ces vapeurs magnétiques qu’on doit attribuer la direction constante vers les pôles, de l’aiguille aimanté (…) »
C’est Collin de Plancy qui en est l’auteur. Notre exemplaire porte la date de 1823 mais cet ouvrage date de 1821, de simples titres de relais ont été substitués aux premiers pour une remise en vente en 1823. Sans doute l’ouvrage n’a pas bien été vendu lors de la première diffusion.
Voici la description succincte de ce monde souterrain extraordinaire : Monde souterrain et ses 46 états dont Albur et ses 415 villes avec bien sûr une ouverture vers le Pôle nord. Les habitants sont végétariens, la faune, sauf exception, ne dépasse pas la taille de quinze centimètres. Deux de ses peuplades ont, une la peau jaune, l’autre la peau verdâtre…
Michel Meurger, dans sa notice pour la bibliographie de MM. Costes et Altairac, conclut : « Ce roman vaut plus par sa date de parution que par sa thématique, assez pâle. On est assez loin de l’imaginaire vernien. !»
Cet ouvrage porte le n° 56 de la bibliographie des Mondes souterrains imaginaires citée plus haut.
C’est sous le n°95 de la même bibliographie que l’on trouvera le Voyage au centre de la Terre (1864) de Jules Verne. Que penser ? L’étude de Daniel-Henri Pagneaux « Voyages aux sources du Voyage au centre de la Terre » ne fait état d’aucun modèle romanesque antérieur susceptible d’avoir influencé Jules Verne. Jules Verne se documentait pourtant beaucoup. A-t-il ignoré cet ouvrage ? L’a-t-il seulement lu ? S’en est-il inspiré ? Laissons là donc une comparaison qui semble s’arrêter au titre de l’ouvrage. C’est intéressant à noter tout de même qu’un ouvrage porte un titre identique près de 40 ans auparavant, sur un sujet semblable, même s’il est traité différemment.
Une petite anecdote pour finir. Le saviez-vous ?
Certains chercheurs excentriques écumeraient régulièrement tous les documents en possession de la BNF concernant Jules Verne, l’Islande, le Sneffels et la vulcanologie. Ils seraient en effet persuadés que, derrière le roman de Jules Verne, se cacherait une histoire vraie, et chercheraient toujours et encore l’entrée de la Terre creuse…
Bibliophiliquement parlant, on sait l’engouement pour les Voyages extraordinaires de Jules Verne, et le Voyage au Centre de la Terre ne fait pas exception à la règle. L’ouvrage de Collin de Plancy, quant à lui, est beaucoup plus rare, mais évidemment beaucoup moins recherché des amateurs… il faut dire que cet ouvrage n’est guère connu que des spécialistes du genre…
Les utopies sont très recherchées en bibliophilie. C’est un pan entier de l’histoire des idées, de l’histoire des sciences qui est à explorer. Bonne lecture à tous !
Amitiés bibliophiliques, Bertrand
H
Merci Hugues d’avoir organisé le déjeuner ; bienvenue aux nouveaux qui ont eu le courage de nous rencontrer en vrai…
Et bien sur, MERCI Valérie pour ses déserts. Nous attendons ta recette de marmelade sur ton blog.
Et pour finir une parole paternaliste : Hugues prend soin de toi.
A Bientôt de tous se revoir
signé Xavier, qui va finir collectionneur de ….catalogues de libraires.
Avant mon départ pour le grand Palais, je viens de lire le très intéressant message de Bertrand. Les utopistes et « fous » scientifiques ne sont pas la « tasse de thé » d’un physicien « pur et dur », mais leurs œuvres peuvent être prises comme des romans de science fiction. Leurs explications de l’univers, qu’ils veulent rationnelles, les ont rapidement marginalisés. Leurs ouvrages sont rares et je ne connais pas personnellement de collectionneurs dont c’est la spécialité.
A tout à l’heure en espérant que le RER B, n’aura pas les problèmes de l’eurostar!