Décrypter un frontispice: la figure du Gazetier Cuirassé

Amis bibliophiles bonjour,
Après le Gazetier Cuirassé lui-même, voici un court zoom sur son frontispice, qui est l’un des plus spectaculaires qui soient, et pour celui qui sait le décrypter, extrêmement riche d’enseignements sur le texte et le contexte historique.

Les initiales dans la marge supérieure permettent d’identifier les trois personnages représentés dans le haut de la gravure:

DB, en haut à gauche, pour Mme du Barry, que la présence du rébus avec un baril confirme (roturière, courtisane et dernière favorite de Louis XV.
 
SF, au milieu, pour Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, qui avait autorité sur la Bastille et donc sur les lettres de cachet, symbolisé ici par les éclairs qui portent justement des lettres de cachet marquées par la « signature » de Phélypeaux, qui se trouvait généralement sous celle du roi. (« et plus bas Phélypeaux »). 
 

DM, en haut à droite, pour le chancelier de Maupeou, dont la réforme avait pour objectif de mettre un terme à la guerre ouverte menée par les Parlements au pouvoir royal (les parlementaires parisiens furent arrêtés et exilés  – arrêt du Conseil du 20 janvier 1771 – , leurs charges confisquées puis rachetées par l’État  – édit d’avril 1771 -, etc.); Le Gazetier Cuirassé arrivant lui à Paris le 3 août 1771. Là encore la tête du Chancelier lance des éclairs pour foudroyer les opposants. 
 
Le libelliste, lui, se protège à la fois des foudres des puissants par une épaisse cuirasse, tout en les canonnant dans toutes les directions.

Enfin, la légende sous le frontispice:
« Aetna haec impavido vulcania tela ministratAela giganteos debellatura furores »
… qui peut se traduire:
« L’Etna donne ces armes volcaniques à l’homme vaillant,L’Etna qui vaincra la folie furieuse des géants »
(Traduction Denis Feeney pour Robert Darnton)
Selon Robert Darnton, cette citation latine fait référence au mythe de Typhon, qui voulut s’emparer de l’Olympe en lançant l’Etna jusqu’aux cieux. Zeus répliqua par des éclairs qui enfouirent Typhon sous le volcan, où il est toujours prisonnier, continuant à vomir ses flots de lave. 
HPour en savoir plus sur le Gazetier, on lira avec profit l’extraordinaire ouvrage de Robert Darnton, Le Diable dans un bénitier.