Après le portrait de Danton, Bertrand nous propose un nouveau portrait rétrospectif très instructif, celui du Hibou, j’ai Restif de la Bretonne. Je lui laisse la parole.
Portrait rétrospectif : Restif de La Bretonne et son Œuvre, vus par Eusèbe Girault de Saint-Fargeau (1839).
Je vous propose de suivre le portrait de Restif de La Bretonne tracé par Eusèbe Girault de Saint-Fargeau que l’on trouve dans second tome (p.199-204) de sa Revue des romans, recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers, contenant 1100 analyses, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénouement de chaque roman. Cet ouvrage, publié en 1839 chez Firmin-Didot (2 vol. in-8), largement oublié aujourd’hui des bibliographes et des amateurs de romans du XVIIIè et du XIXè siècle, mérite pourtant le détour à plus d’un titre. On y trouve en effet nombre de notices des plus intéressantes sur des ouvrages aujourd’hui dédaignés ou peu connus, on peut connaître grâce au « résumé » détaillé de l’intrigue, connaître la teneur exacte d’un titre.
Mais c’est ici Restif de La Bretonne qui va nous intéresser. Bien connu aujourd’hui des amateurs, ses éditions originales s’arrachent aujourd’hui à prix d’or (justifié ou non ?, mais là n’est pas le propos). Ce polygraphe excentrique, ce diable d’homme pourrait-on dire a produit une œuvre immense. Mais laissons la parole ou plutôt la plume à Girault de Saint-Fargeau :
« Environ deux cent cinquante volumes sont sortis de la plume de ce fécond écrivain (né à Sacy dans l’Yonne, le 22 novembre 1734 et mort en 1804 ou 1806, car on n’est pas d’accord sur l’époque précise de son décès – ce point étant désormais éclairci, Restif est mort à Paris le 3 février 1806, il avait 72 ans). Mais ses habitudes, peu en harmonie avec la dignité de l’homme de lettres, le retinrent presque toujours dans une basse et repoussante société. Il ne put jamais acquérir du goût, et manqua de la connaissance du grand monde ; aussi le peignit-il mal lorsqu’il voulut l’essayer : en revanche, nul mieux que lui n’a fait connaître le langage, la manière de sentir, les mouvements de l’âme, les mœurs, les usages des dernières classes du peuple de Paris.
Il y a dans ses tableaux des choses frappantes de vérité, des traits admirables, et qui peignent ce qui passe sous nos yeux. Il a pris la nature sur le fait ; il la montre dans toute sa simplicité, ou dans son horrible turpitude. Il décrit les caprices, les fantaisies du vice en homme qui a puisé aux sources. Il ne faut pas demander à ses personnages la délicatesse idéale des héros, des héroïnes de nos romans de bon ton ; il ne se doute pas qu’elle existe. Il rend les femmes telles qu’il les a vues, les hommes tels qu’ils se sont montrés à son regard ; mais ce sont bien eux véritablement. Restif, en général, n’est connu dans la littérature que d’après ses parties les moins recommandables. La platitude ordinaire de son style, l’extravagance de son amour-propre, le peu de distinction des personnages qu’il fait mouvoir, la singulière orthographe qu’il avait adoptée, l’ont rendu ridicule : on s’est moqué de lui, on a étouffé sa réputation. Cet homme, étranger d’ailleurs aux plus simples convenances, n’ayant nulle retenue, ennemi de toutes les règles, brille néanmoins par une richesse d’imagination surprenante. Il retrace des caractères avec habileté ; la fable qu’il invente attache presque toujours. Il y a dans son dialogue une vérité naïve qui charme ; il écrit des pages délicieuses de naturelle et de douce volupté ; il trouve des tableaux frais et riants ; il appelle tour à tour le rire, la réflexion, la pensée profonde, et, presque toujours, jette dans le cœur une émotion extrême.
Ces qualités sont toutefois obscurcies par un dévergondage sans pareil, par des infamies racontées comme avec plaisir, par d’obscènes peintures, qui montrent l’espèce humaine dans un état complet de dégradation. Ses filles publiques sont vraies à faire frémir ; ses escrocs repoussent par la hideuse figure qu’il leur donne. En un mot, Restif, avec ses qualités et ses défauts, n’est pas aussi connu en France qu’il mérite de l’être : tel auteur qui le méprise ne le surpassera jamais ; ses ouvrages sont une mine féconde, dans laquelle il y a de bonnes choses à prendre ; la plupart de nos faiseurs de comédies, de vaudevilles, de drames, si pauvres d’invention, y rencontreraient des sujets de pièces très attachants, ou propres à provoquer la gaieté. »
Quel éloge ! Est-ce lié au fait que Girault de Saint-Fargeau est également natif du département de l’Yonne (à peine plus de 60 kilomètres séparent Sacy de Saint-Fargeau). En tous les cas, pour l’époque, si frileuse en récompense littéraire pour les esprits libres… bel hommage.
Evidemment, les puristes, les amateurs éclairés d’aujourd’hui, à la lumière de nouvelles données sur la vie et l’œuvre de Restif, ne manqueront pas de noter quelques différences dans les appréciations d’hier à aujourd’hui. D’ailleurs, les réactions sur Restif et son œuvre sont les bienvenues.
Mais laissons poursuivre Girault de Saint-Fargeau qui nous propose l’analyse détaillée, selon ses propres critères de 10 ouvrages :
Le pied de Fanchette, ou l’orpheline française. 3 vol. in-12, 1768. On trouve dans ce roman de l’originalité et des situations touchantes. Il a obtenu une cinquième édition publiée sous le titre du Pied de Fanchette, ou le Soulier couleur de rose, 3 vol. in-18, 1801. (Pour ce titre, Girault oublie, sans doute volontairement, d’expliquer l’intrigue du roman…)
Le pornographe, ou idée d’un honnête homme sur un sujet de règlement pour les prostituées. In-8, 1769. Dans cet ouvrage qui fit beaucoup de bruit, Restif propose d’ériger en loi la prostitution. Les filles publiques devaient être cloîtrées ; leurs vies, leurs plaisirs, leurs devoirs, tout est tracé dans ce singulier ouvrage rempli de détails obscènes. On a cru, dans le temps, et cela est fort probable, que la police n’était pas étrangère à sa publication : ce n’était pas sans doute dans l’intention de corriger les abus qu’il signalait, car elle trouvait trop son compte à leur existence ; mais enfin elle avait une intention secrète qui n’a pas été connue.
La paysan perverti, ou les Dangers de la ville. 4 vol. in-12, 1776. (aucun commentaire. Voir au titre suivant).
La paysanne pervertie, 4 vol. in-12, 1776. Dans le principe, le Paysan perverti formait un ouvrage à part. Restif ensuite le fondit avec la Paysanne pervertie, et n’en fit qu’une seule production. Le Paysan perverti est sans contredit le meilleur ouvrage de Restif.
Le nouvel Abeilard, ou Lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus. 4 vol. in-12, 1778. C’est une composition bizarre qui renferme une excellente morale. On y trouve de charmants épisodes, et il y aurait peu à faire pour qu’elle devînt un très bon roman, utile à l’instruction des nouveaux époux.
Les contemporaines, ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent, etc. 42 vol. in-12, 1780 et années suiv. Cet immense recueil de plus que quatre cents histoires, presque toutes vraies au fond, offre une variété de sujets bien remarquables. De même que dans les Provinciales et dans les Nuits de Paris, Restif a eu l’impudence de joindre, à des noms obscurs et méprisables, ceux de plusieurs femmes que des erreurs de jeunesse n’empêchaient pas d’être estimables, et dont quelques-unes moururent de chagrin d’avoir vu révéler des fautes qu’elles avaient d’ailleurs expiées par un long repentir, et une conduite à l’abri de tout reproche. – La lecture de ce recueil est en général très amusante ; tous les goûts trouvent à s’y contenter, tous les genres s’y rencontrent : le terrible, le tendre, le galant, le naïf, le bizarre, etc.
La découverte australe, ou les Antipodes. 4 vol. in-12, 1781. C’est un roman imité des Voyages de Gulliver et de l’île inconnue, dont l’idée principale est bizarre. L’auteur veut que l’homme ne soit que la perfection de chaque espèce d’animaux, que par suite de nos vertus et nos vices proviennent des appétits de nos pères primitifs ; ainsi, la colère est descendue du lion, la férocité du tigre, la bonté du mouton, la faculté de ramper du reptile, etc
La vie de mon père. 2 vol. in-12, 1778. Ce roman est sans conteste le chef-d’œuvre de l’auteur ; aucune tache ne le dépare. On y trouve une touchante et délicieuse image des mœurs champêtres, des descriptions riantes et gracieuses, des détails d’une naïveté charmante, des traits pleins de sentiment et d’énergie ; tout l’ouvrage respire la vertu et l’humanité.
Les nuits de Paris, ou le Spectateur nocturne. 15 vol. in-12, 1788-1791. C’est un recueil d’anecdotes scandaleuses dans le genre des Mille et une nuits, mais sur un autre plan. Les premiers volumes peuvent être comparés à ce que Restif a fait de mieux.
Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé, etc.16 vol. in-12, 1796-1797. Ce sont les mémoires de la propre vie de Restif, qui a voulu imprudemment marcher sur les traces de J.-J. Rousseau. Tout surprend dans cet ouvrage, dégoûtant de cynisme, d’amour-propre, de haineuses passions.
Ces analyses, très détaillées, apportent, il me semble, un éclairage sympathique à la vision globale du personnage « Restif » et à son « Œuvre », désormais tous deux reconnus.
Pour ma part, ayant lu les Nuits de Paris (ou plutôt survolé je dois l’avouer…), j’ai trouvé quelques passages sublimes, de nombreux passages sympathiques, une majeure partie de l’ouvrage, d’un style lourd et ennuyeux… Les fantaisies typographiques et stylistiques de l’auteur, avec les innombrables digressions que l’on sait, ne facilitant pas l’assimilation d’un texte long et peu cohérent. Il faut dire que pour les Nuits, comme pour les Contemporaines et d’autres ouvrages, le nombre de volumes (le nombre de pages devrais-je dire) est plus que conséquent… J’ai lu quelque part que toute l’œuvre de Restif pourrait être réduite à quelques dizaines de volumes seulement si l’on éliminait, d’une part tous les morceaux inintéressants et d’autres part toutes les redites (de nombreux ouvrages ou passages d’ouvrages sont en effet intégralement et presque mot pour mot dans d’autres ouvrages parus sous d’autres titres…) ??
De nombreux ouvrages de Restif ont eu du succès grâce aux très belles illustrations dues au talent de binet. C’est certainement aujourd’hui un des éléments forts en faveur de l’engouement bibliophilique autour des EO de Restif lorsqu’elles sont illustrées.
Je vous laisse juge.
Exposez-nous votre vision du monde rétivien ? La pensée, le style et la bizarrerie rétivienne vous passionnent, alors donnez-nous votre sentiment de lecteur, de collectionneur, d’amateur.
En espérant vous avoir fait passer un bon moment de lecture,
Amicalement, Bertrand pour Eusèbe Girault de Saint-Fargeau.H
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– C’est au bas de son acte de mariage en 1760 que Nicolas signa pour la première fois « Restif » avec un « s » ; en 1767, il signa « M. de la Bretone », avec un seul « n », et en 1769 il devint « Rétif de la Bretonne ».
– L’ « Ingénue Saxancour » (1789, 3 vol.), dirigée contre son gendre Charles-Marie Augé, est le plus rare des ouvrages de Rétif (les pages 249 à 252 du tome III manquent très souvent).
– En dehors de la BnF et du British Museum, qui ne possèdent pas de collection complète des oeuvres de Rétif, seule la B.M. de Troyes conserve une grande partie de l’oeuvre grâce au legs d’un bibliopphile troyen.
J-P Fontaine
Bonsoir à tous,
je connais « mes inscriptions » de Rétif, retrouvées et publiées à la fin du XIXè siècle, mais je ne les ai pas lu (peut-être bientôt). Je ne peux donc en parler.
Pour ce qui est du Rétif ou Restif typographe et imprimeur, pour avoir vu plusieurs de ses livres sortis de ses mains (c’est lui même qui composait), c’est étonnant :
signes bizarres, renvois intempestifs, notes à toutes les pages ou presque, note qui renvoie à une autre note, différenciation des mots qu’il jugeait important en les imprimant autrement (en grand, en majusculen en italique, précédés d’une main…)
Un fou furieux de la case typographique. Des pages de titres très caractéristiques. des catalogues de ses propres livres à la fin de certains volumes (des listes de livres à n’en plus finir).
Bref, Restif devait être aussi touffu dans sa tête pour écrire que pour composer ses feuilles d’imprimerie.
Ce qui fait aujourd’hui le charme des éditions de Restif, ce sont sans conteste les femmes aux petits pieds fins dessinés par Binet. Restif était monomaniaque des pieds des femmes. Une fixation en somme pour ne pas dire une obsession. Restif s’est ruiné plus d’une fois pour donner à certains de ses ouvrages des suites de très nombreuses gravures d’après Binet. Cela explique en partie pourquoi il en manque souvent dans les exemplaires même reliés à l’époque (le tirage des gravures devait être moindre que celui des volumes…)
Une existe une association des « Amis de Restif de La Bretonne » facile à trouver sur le net. Vous y trouverez de nombreuses infos complémentaires intéressantes. Et pourquoi pas devenir membre (je précise que je n’ai pas d’action dans l’association et que je n’en fais pas partie moi-même… sinon il faudrait que je sois aussi membre des amis de Dumas, Balzac, Molière, La Fontaine, Voltaire, Rousseau, Holbach, etc… ce qui ne serait pas humain il faut l’avouer.
Bonne soirée et à bientôt,
Amicalement, Bertrand
Merci beaucoup de cette évocation, Bertrand.
Je garde des « Nuits de Paris » le souvenir d’une grande silhouette à large chapeau, enroulée dans son manteau et tenant un grand bâton à la main. Cet insomniaque parcourait le centre de Paris en surveillant, guettant le moindre mouvement dans des rues mal éclairées au pavé luisant, vociférant, morigènant et moralisant (parfois à coup de bâton) tous les déviants qu’il rencontrait (voleurs, adultères…), en appelant au final la police le plus souvent. C’est un voyage des plus pittoresque dans le Paris de l’Ancien Régime.
Mais avez-vous lu son Journal, retrouvé et publié en 1889 par Paul Cottin (reproduit en 1983, il faut que je le retrouve dans ma bibliothèque) sous le titre « Mes inscriptions »?
On suit Restif au jour le jour autour des années 1780, dans une de ses occupations principales qui était de graver -et regraver jusqu’à l’obsession- avec une clé, dans la pierre des ponts et les parapets des quais de l’ile St-Louis, les dates anniversaires des événements heureux et malheureux de sa vie. Hélas, je les ai cherché mais ces inscriptions ont disparu avec la réfection des quais.
Le coté le plus obscur du personnage y apparait également : sa haine paranoïaque pour son gendre Augé, son fétichisme exacérbé pour le pied féminin et ses relations incestueuses détaillées avec ses filles…
Bref, ce qui est ailleurs dans son oeuvre étrangeté et bizarrerie confine ici à la folie…
Et puis n’oublions pas que cet ancien typographe a imprimé aussi certains de ses livres en ayant des idées de réforme trés avancées de l’orthographe…mais peut-être avez-vous sur ce point des renseignements plus précis que ceux de ma mémoire.
Merci en tout cas Bertrand de nous donner envie de nous replonger dans l’univers de cet étrange personnage.
Raphael
Comment ne pas mentionner Nerval et ses illuminés ; Réstif y tient une large place.