Amis Bibliophiles bonjour,
La semaine passée, alors que j’étais de passage dans le quartier Drouot, je n’ai pu résister à l’envie de passer par l’hôtel des ventes.
Je n’avais ni prévu ni préparé cette visite et je ne savais donc pas quelles ventes ou quelles expositions se tenaient ce jour-là.
Nous étions le vendredi 15 novembre, et le livre ancien figurait en bonne place avec deux ventes. L’une était assez classique, menée par la maison Tessier & Sarrou et Associés. L’autre était la prestigieuse vente de la Bibliothèque Thomas Vroom, consacrée à l’histoire de la perspective – seconde partie, et menée par Pierre Bergé & Associés.
Se tenait également une luxueuse exposition, toute de noir vêtue, et intitulée « Autographes et manuscrits : les collections Aristophil », mettait en avant de nombreux lots des collections Aristophil, destinées à passer aux enchères à partir du lundi 18 novembre.
Il était 11h30, et j’avais devant moi le temps nécessaire pour faire un petit tour des deux expositions des ventes se déroulant dans l’après-midi, de déjeuner à côté, puis de revenir assister à une vente si je le souhaitais. Si j’en avais envie, je pouvais également prendre le temps de flâner autour des vitrines de la luxueuse exposition Aristophil.
Mais en avis-je envie?
Contempler ces ouvrages exposés était pour moi comme un voyage dans le passé. Il y a 10 ans précisément, à l’automne 2009, quand j’avais ici émis des premiers doutes (comme notamment Rémi Mathis, puis Vincent Noce, puis d’autres, plus tardivement, notamment les media UFC Que Choisir, Libération, etc.) au sujet d’Aristophil. L’automne 2009 si je me souviens bien, donc.
Hélas, vous ne retrouverez pas les articles que j’avais alors consacrés à Aristophil: en effet le 24 décembre 2009, alors que je préparais le réveillon de Noël chez mes parents, le téléphone fixe sonnait, et l’on demandait à me parler. Je décrochais et une voix inconnue me conseillait de retirer rapidement les articles écrits si je souhaitais « éviter d’éventuelles poursuites judiciaires » et « rester en bonne santé ». Je raccrochai et reçu peu de temps après deux mails provenant, pour l’un du conseil juridique d’Aristophil, pour l’autre de la société chargée par Aristophil de veiller à sa réputation sur internet.
Dans les deux cas, il m’était précisé que mes « articles constituaient en effet une diffamation telle que prévue à l’article 29 de notre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Au surplus ils constituent aussi un dénigrement des produits de la société de droit français Aristophil, civilement sanctionné sur la base de l’article 1382 du code civil français.« .
Dans les mois et le années qui suivirent, la pression fût constante, avant d’atteindre un pic avec des menaces physiques dans les commentaires de la page facebook d’Aristophil, expurgée depuis, mais dont j’ai conservé les captures d’écrans: certains commentaires suggéraient « qu’il est temps de s’occuper de lui« , « de lui casser les genoux » ou d’autres, comme ceux de M. Jean-Paul Fontaine, « de cesser cette campagne de dénigrement sans preuve devient intolérable, d’autant que la toile joue le relais pour se rendre plus intéressante!« .
Heureusement que j’ai sauvegardé ces messages, tant ils me semblent aujourd’hui irréels.
O tempora, o mores. Et comme dit un ami que je ne vois pas assez souvent, en citant Diderot, « On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés« . Bref, j’avais perdu mon innocence, un peu tard, il est vrai, puisque j’avais – sans le savoir – renié certains de mes principes fondamentaux dans le but de publier une jolie revue consacrés aux livres anciens et à la bibliophilie. Qui restera une belle aventure.
Pour résumer, jusqu’à ce que la bulle Aristophil éclate et que la vérité soit mise à jour, mes articles étaient sous surveillance et je faisais l’objet de menaces diverses, physiques ou judiciaires, si j’abordais le sujet. C’est dire si le nom d’Aristophil résonne en moi. Oui.
Je ne vais pas rappeler ici l’énormité de l’escroquerie – on parle de 1,2 milliard d’euros au détriment des quelque 18 000 épargnants -, ni la complaisance de certains marchands, voire la complicité d’autres acteurs, vous trouverez suffisamment d’informations un peu partout sur internet… mais simplement livrer un sentiment très personnel:
En visitant l’exposition, malgré l’intérêt de la plupart des lots présentés, je n’ai pu me départir d’une certaines forme de malaise: partout figurait le nom Aristophil, comme partout dans la presse on vante les mérites de cette « collection » en en soulignant la provenance. J’ai réalisé qu’à mes yeux, ces lots pourtant magnifiques, étaient d’une certaine façon dévalorisés. Comme si leur provenance, plutôt que de leur ajouter du prestige, les recouvrait d’une fine, mais tenace, couche de moisissure.
Alors que juste au dessus on vendait les ouvrages de Thomas Vroom, dont le nom, comme celui d’autres grands bibliophiles dans d’autres grandes ventes passées, ajoute un lustre à la provenance, j’avais le sentiment, dans cette salle d’exposition Aristophil, d’être comme Hamlet au royaume de Danemark.
Profondément, intimement, j’ai compris que la provenance Aristophil ne valorisait pas ces lots mais au contraire, les dévalorisait. Ces ouvrages sont le produit d’un vol, d’une escroquerie, qui a amené certaines victimes à mettre fin à leurs jours. Je ne vois rien là-dedans qui permettre de vanter un lot parce qu’il vient de la collection Aristophil. La tache est indélébile dans le pedigree de ces ouvrages.
Il est bien sûr très important que ces ventes aient lieu, pour essayer si possible de rembourser les victimes (on parle de 10% seulement), mais aussi parce qu’elles permettent à certains lots d’être préemptés et de rejoindre des institutions importantes… mais je ne comprends pas le marketing Aristophil qui accompagne les ventes – et croyez-moi, je sais de quoi je parle. La forme me choque un peu.
Je m’interroge sur la façon dont la provenance sera mise en avant dans les années qui viendront. Nul doute que dans des décennies ou dans des siècles, on aura oublié les victimes. Des thèses s’écriront autour de cette escroquerie, mais pour ce qui est de l’avenir proche, je suis circonspect.
Ainsi, au milieu de lots extraordinaires – ne leur enlevons rien, ils n’y sont pour rien – , se trouvaient parfois des lots comparables à ceux que j’ai dans ma bibliothèque; une édition originale de 1er tirage de Madame Bovary en demi-maroquin, un exemplaire sur Japon de l’édition originale de La Débâcle de Zola ou d’autres encore… Leurs acheteurs feront-ils figurer dans leurs notices « provenance Aristophil »?
Leurs acheteurs ou plutôt leurs futurs vendeurs me direz vous, les bibliophiles ne font pas tous des fiches, et vous aurez raison. Il est vrai que juste après ma visite je déjeunais dans un restaurant proche. A une table juste à côté de moi, un groupe de libraires se préparaient à dépecer la bête morte.
Et comme le dit un autre héros moderne, « si au festin de l’amitié, chacun peut trouver sa pitance, au festin des loups, il n’y a pas de dessert« . Il est en effet peu probable que ces ventes laissent un goût agréable à certains, dont je fais partie.
Finalement, une seule chose m’a semblé opportune lors de cette exposition, la moquette était noire, comme les murs et les vitrines. Quelque chose mourrait, là, ou finissait de mourir.
H
J’ai lu avec plaisir votre analyse que je trouve juste et intéressante. Je suis moi-même marchand, j’assiste régulièrement aux ventes Aristophil sans en attendre vraiment quoi que ce soit puisqu’avec des frais à 30% il est bien difficile de revendre. Lorsque les prix montent, cela ne m’arrange pas. Mais je suis, en même temps, comme dirait notre cher Président, heureux que ces sommes puissent aller aux investisseurs floués, dont vous décrivez bien tout le désarroi. Mon sentiment est donc très ambivalent et mon rôle de marchand se heurte souvent à la compassion que j’éprouve à leur égard.
Du reste, il est évident que L’héritier et consorts ont plombé le marché, qui sera rapidement débordé. Et vous avez raison : la provenance d’Aristophil peut avoir un effet dissuasif, c’est d’ailleurs pour cela que de nombreuses ventes ont lieu avec des pièces Aristophil sans être annoncées comme telles, au premier chef desquelles on trouve Osenat.
Je pense qu’Aguttes fait au mieux, certes avec quelques entourloupes (des ordres d’achat poussés à leur maximum dès le début des enchères). Ils ont pris en charge un dossier intraitable qui ne pourra déboucher que sur l’effondrement du marché et des critiques tous azimuts (des acheteurs mécontents des frais exorbitants et des vendeurs incrédules devant la sommes misérables qu’ils récupèrent) . C’est d’ailleurs pour cela que les autres maisons de vente dont les plus prestigieuses se sont prudemment tenues à l’écart de cette affaire.
Il faut, en attendant l’écroulement, tenter de faire bonne figure. La vente Americana d’aujourd’hui a plutôt bien fonctionné car le marché international était présent. Pour l’académie française, cela sera une autre histoire…
Déjà, arrêtons de parler de collection. Aristophil n’est pas un particulier ni une institution. Lhéritier et ses comparses n’ont pas collectionné mais collecté.
J’ai déjà acheté dans les ventes aristophil, estampillées comme telles ou non. Je n’ai pas noté la provenance sur les fiches. Pour moi ce n’est pas une provenance vu que ce n’est pas une collection….
Quand à Jean-Paul Fontaine, si ce que vous dites est vrai, il descend dans mon estime…
Je n’ai écrit que des choses vraies et que je peux prouver sans difficulté avec des captures d’écrans. Je ne les ai pas faites figurer ici par décence.
Pour le terme de « collection », je suis bien d’accord avec vous, mais c’est le terme employé par les medias, les organisateurs, etc.
Le terme de « contrat en indivision » était finalement plus proche de la vérité. Hélas.
Mon commentaire ne voulait pas mettre en doute vos propos. C’est vraiment une déception de savoir cela de JP Fontaine… Lui qui maintenant ne l’ouvre plus que contre aristophil
C’est certain que c’est plus facile d’être contre eux maintenant qu’ils ont disparu… Il est des gens qui, aujourd’hui comme hier, cultivent l’art de retourner leur veste et de flatter les puissants en critiquant les plus faibles, et vice-versa. Surtout quand c’est sans risque.