Portrait de Gonzalo… Le Bibliophile qui aime les « pseudos »

Amis Bibliophiles Bonsoir,
L’une des choses qui me frappent régulièrement en lisant vos commentaires sur le blog, c’est leur pertinence et la qualité des intervenants.
Voici le portrait d’un nouveau venu, qui intervient régulièrement sur le blog, Gonzalo…
Bonjour Gonzalo, pourriez-vous nous parler un peu de vous et de votre bibliothèque?
Gonzalo, vingt-deux ans, étudiant en histoire. Je rédige actuellement, dans un cadre universitaire, un mémoire sur un imprimeur français du XVIe siècle.
Ma bibliothèque s’est constituée récemment. Après mon baccalauréat, il y a quelques années (j’étais alors en khâgne), j’ai commencé à acquérir des livres chez des bouquinistes ou chez Emmaüs, sans même trop savoir ce que j’achetais. J’allais au moins deux fois par semaine chez un bouquiniste, parfois tous les jours, et j’y raflais systématiquement ce qui venait d’arriver. J’ai énormément lu à cette époque. Un peu de tout, des classiques français que l’on me faisait étudier en cours, mais aussi des auteurs moins connus. Ma bibliothèque a donc grandi très vite. Depuis trois ou quatre ans, je me débarrasse progressivement des livres qui m’encombrent (voilà ce qu’il en coûte d’acheter n’importe quoi !). Le nombre de volumes de ma bibliothèque progresse de manière beaucoup plus raisonnable, mais elle gagne en qualité. Je n’ai pas une bibliothèque très importante (j’imagine que vos lecteurs en ont de bien plus belles et de bien plus complètes). Je pense posséder environs 800 volumes, je n’ai jamais pris la peine de les compter. Environs un quart constitue une « bibliothèque de travail », ouvrages de sciences humaines, d’histoire et d’histoire du livre. J’essaie actuellement, compte tenu de mes études et de mon goût pour le livre ancien, de me constituer un petit fond d’usuels d’histoire du livre. Le tout est entreposé dans des meubles de pin que j’ai fait moi-même. Une partie vitrée accueil les livres un peu rares ou anciens, ou qui me sont chers. Je suis toujours à la recherche du mode de classement idéal, qui mériterait une discussion sur le blog ! Depuis quand la passion de la bibliophilie s’est-elle emparée de vous?
Depuis peu, depuis toujours… Je suis issu d’une famille très attachée à la littérature, au texte, mais la dimension matérielle lui échappe dans une certaine mesure (non qu’elle l’ignore complètement, mais elle ne s’y intéresse que peu). Il y a cependant toujours eu une bibliothèque intéressante à la maison (bibliothèque parentale dans laquelle je puise allègrement). J’ai commencé à éprouver le besoin de posséder un livre lorsque j’ai véritablement commencé à aimer lire (c’est-à-dire ne pas aimer tout lire), le jour où j’ai su dire que Sartre m’ennuyait et que San Antonio m’enthousiasmait (j’assume!). Mais je ne m’autorise de réelles dépenses que depuis un an environ, lorsque j’ai commencé à lire des études bibliographiques et bibliophiliques, lorsque je me suis formé à l’histoire du livre (par curiosité et besoin estudiantin, car j’ai la chance de pouvoir mélanger mes études et mes passions !). Je n’ai commencé à acheter des ouvrages « un peu cher » (selon mes moyens…) que lorsque j’ai su (ou cru savoir) ce que j’achetais. Je me sentais incapable de juger de la qualité d’un exemplaire auparavant. Je me sens un tout petit peu plus capable désormais, même si je fais encore des erreurs et de mauvais choix… Je continue à apprendre. J’ai également eu la chance de pouvoir entrer en contact avec des gens d’une rare compétence notamment grâce à mes études. J’ai comme professeur l’un des meilleurs spécialistes français des incunables. J’ai pu, au cours de mes recherches, discuter avec de nombreux conservateurs de bibliothèques. Je bénéficie également des conseils avisés d’un libraire avec qui je suis en contact. Il me semble important, lorsqu’on est amateur débutant, de bien s’entourer, d’avoir des gens à qui l’on peut demander conseil, et qui peuvent également nous orienter, ou nous ouvrir à de nouveaux horizons. Votre blog joue aussi, dans une dimension moins « personnelle », ce rôle.

Quels sont vos domaines de prédilection, ou votre approche est-elle éclectique et vous fonctionnez au coup de coeur?
Je le répète, je débute. Je n’ai pas de domaine de prédilection, mais j’ai déjà eu bien des coups de coeur. Je possède assez peu d’ouvrages rares de toutes façons. Mon objectif pour l’instant n’est pas de constituer « un fond » : je veux juste pouvoir feuilleter des livres agréables de temps en temps. Mon approche changera certainement à l’avenir, mon goût va peut-être s’affirmer, ou s’orienter vers des domaines particuliers ; mes connaissances se complèteront sans doute, et je chercherai alors des choses beaucoup plus précises. J’imagine que les bibliophiles chevronnés qui vous lisent sont passés par là (dites moi si je me trompe!). Je me soucie assez peu, pour le moment, de la « cohérence » de ma bibliothèque: je pars du principe qu’une bibliothèque est forcément cohérente si une seule personne l’a composée. Et puis, la variété ne m’a jamais dérangé!
J’ai quand même une curiosité très prononcée pour tout ce qui touche à l’histoire de la typographie et aux caractères de formes particulières (expérimentations et novations diverses et variées). C’est sur ce genre d’ouvrages que mes yeux se posent lorsque je feuillette des catalogues de libraires… Les grecs du Roi me font rêver bien sûr, mais aussi les caractères gravés par Pierre Moreau au XVIIe siècle, ou les italiques aldines, par exemple. Je suis par exemple ravi d’avoir pu dénicher un modeste petit opuscule assez tardif (1785), imprimé en caractères de civilité, vraisemblablement un livre de colportage si j’en juge à la simple couvrure de parchemin qui fait office de reliure. Un ouvrage qui, sans être une acquisition phénoménale, n’a pas cessé de me réjouir par sa typographie. Je revendique cette approche plus matérielle que littéraire des livres rares ou anciens (en tous cas pour certains d’entre eux).

Où achetez vous vos livres? Internet, salons, libraires?
Pour la (toute petite) partie bibliophilique de ma bibliothèque, internet vient en tête: ebay bien sûr (mais prudemment), sites de libraires, site du SLAM. Internet est une véritable révolution pour les amateurs. J’ai tendance à penser que les critiques virulentes auxquelles s’adonnent un certain nombre de libraires et de bibliophiles sont vaines. Ma génération étudie, travaille, consomme et se détend avec internet. Les gens de mon âge savent pour la plupart se méfier des pièges du web. L’internet est un outil qui permet de consulter les catalogues de libraires ou de vente partout dans le monde. Plus besoin d’aller consulter l’énorme catalogue imprimé de la BnF, ni même le NUC! Le Catalogue collectif de France est également un outil d’une redoutable efficacité. Sans compter la grande quantité d’usuels qui ont été numérisés et sont désormais disponibles gratuitement (Brunet, Vicaire, Barbier, et la « biographie universelle » de Michaud sont désormais dans mon disque dur). C’est fabuleux! Je suis, vous l’aurez compris, un partisan résolu de l’utilisation du net (sans être aussi enthousiaste en ce qui concerne ebay).
J’achète aussi bien sûr chez des libraires. Parfois également en salle des ventes : ce sont des endroits où il est assez facile de faire des affaires.
Je n’ai jamais rien acheté sur un salon ; je n’ai à vrai dire pas tellement fréquenté de salons, même si un libraire que je connais bien a accepté de m’accueillir sur son stand pendant le salon du livre ancien au Grand Palais en 2007. Les tarifs pratiqués sur les salons sont souvent plus élevés qu’en catalogue, mais ces événements offrent l’avantage de rassembler un grand nombre de libraires, qui rassemblent eux-mêmes le meilleur de leur fonds. Cela présente un intérêt évident, me semble-t-il, pour l’amateur. Un salon comme celui de Paris doit aussi être envisagé comme un grand espace d’exposition (ha ! le stand de la librairie Tenschert…!). Pas obligé d’être acheteur pour y trouver de l’intérêt!

Quel est le ou les livres qui vous font rêver? Et les livres que vous possédez déjà et qui vous sont particulièrement chers?
Beaucoup de livres me font rêver. Entre autres, les incunables, les très belles impressions du XVIème siècle (allez, une au hasard qui m’a marqué lorsque j’ai commencé à m’intéresser au livre: la bible polyglotte plantinienne), les « Étrennes de poésie françoise en vers mesurés » de Jean-Antoine de Baif (1574), le »De Re diplomatica » de Mabillon (1681), l’E.O. de Tristram Shandy (1759), et toutes autres très belles, très importantes ou très étonnantes choses… Je l’ai déjà dit dans un commentaire sur le blog, je préfère réfléchir en terme d’exemplaire plus qu’en terme de titre. Un texte de peu d’intérêt peut devenir désirable s’il est bien relié. Je n’achèterai pas (ou alors à vraiment très bas prix) un livre s’il est incomplet, dérelié, sans marge, ou trop sale. Je rêve parfois à des textes dont je ne connais rien en voyant une belle typographie ou une belle reliure. Je rêve aussi parfois de posséder des beaux exemplaires de grands textes que je n’ai lus qu’en poche… L’amateur de livres rêve beaucoup! L’un des livres qui m’est le plus cher est mon premier achat « bibliophilique ». Un ouvrage qui ne vaut à peu près rien d’un point de vue économique (un tome seul [sur six!], auquel il manque la plupart des gravures), mais qui m’est toujours cher. Il s’agit du deuxième tome du Traité de Diplomatique de Toustain et Tassin (1755). Toustain et Tassin, deux bénédictins de la Congrégation de Sainte-Maure, prennent la relève de Mabillon et rédigent un énorme traité de diplomatique (« l’art de déchiffrer les chartes et les diplômes »). Avec Mabillon, Toustain et Tassin inventent la paléographie et la critique scientifique des sources historiques. Témoignage émouvant pour un étudiant en histoire que celui de sa discipline en train de naître! Un volume in-quarto, relié plein veau, avec de très belles planches reproduisant divers type de documents (monnaies, inscriptions lapidaires, chartes, etc.). Les formes de lettres anciennes sont souvent reproduits en plein texte (ont-ils gravés des poinçons et fondus des caractères pour cette unique impression? j’en rêve!). J’ai acquis très récemment une impression didonne de 1783 très bien conservée, sous une reliure à plaque romantique (Restauration, pour être précis) que je me plais à attribuer à Bibolet (sans autre preuve que le style et une roulette… un peu léger, je sais!). C’est la seule belle reliure que je possède. Rien de trop fastueux, mais je l’aime beaucoup.
Je me suis également offert il y a plusieurs mois l’un des 55 exemplaires du tirage de tête (sur vergé d’Arches) de « Pseudo » d’Emile Ajar/Romain Gary. Gary est certainement l’auteur français auquel je suis le plus attaché, et Pseudo est l’un de ses livres les plus fort. Je tenais à en posséder un bel exemplaire. J’attends d’avoir un peu plus de moyens pour donner à cet ouvrage la reliure qu’il mérite. Il patiente en attendant dans son aquarium de papier cristal…

Vous savez que les lecteurs du blog aiment les histoires, auriez-vous une anecdote à nous raconter, sur une trouvaille, un livre, autre chose qui touche à la bibliophilie?
Une simple anecdote. Au cours de mes recherches sur un imprimeur du XVIe siècle, en visite dans une bibliothèque municipale, j’ai eu la chance de tomber sur un exemplaire sorti de ses presses et entièrement constitué d’épreuves d’imprimerie, corrigées à la main, qui n’était pas référencé comme tel dans le catalogue. J’en ai été stupéfait! C’est pour moi une source importante, d’autant que l’on connaît assez peu d’exemplaires d’épreuves pour l’imprimerie du XVIe siècle. Ce sont des deuxièmes épreuves, avec assez peu de corrections, mais avec des particularités typographiques intéressantes: grandes capitales utilisées « en vrac » (sans dessus/dessous) pour caler le texte dans la galée, italiques capitales manquantes et complétées par de simples traits (ce qui me renseigne sur l’état des casses d’italique dans l’atelier de mon imprimeur). C’est pour moi une trouvaille passionnante sur laquelle je travaille encore. Enfin, vous êtes un visiteur fidèle du blog… qu’en attendez-vous?
Qu’il me cultive, qu’il m’informe, qu’il me détende aussi, et qu’il crée des rapports entre les amateurs. L’amour du livre est une belle chose, autant le cultiver. Autant le partager, en partageant des connaissances, comme vous le faites et comme le font vos lecteurs dans leurs commentaires. J’apprends beaucoup à vous lire, et vous encourage vivement à continuer. Merci pour l’honneur que vous m’avez fait en me posant ces questions, j’espère n’avoir été ni trop long, ni trop ennuyeux… Il est toujours délicat de trop parler à la première personne!
Merci!H
Légende des images : 01 – Deux pages du traité de « La Civilité qui se pratique en France », Orléans, Rouzeau-Montaut, 1785.02 – Détail du même ouvrage.03 – E.O. de « Pseudo » d’Emile Ajar: tirage courant (droite) et grand papier (gauche), PAris, Mercure de France, 1976.04 – Confrontation des deux pages 38 du même ouvrage. Grand papier (et grande marge!) à gauche, tirage courant à droite).08 – Isocrate, Orationes et Epistolae (grec et latin), Paris, Jean Libert, 1621. Détail.10 – Toustain et Tassin, » Nouveau traité de Diplomatique », t. II, Paris, Guillaume Desprez, 1755. Titre.11 – Ibid. Incipit. 12 – Ibid. Incipit (2).13 – Ibid. Une planche.14 – Ibid. Une plance.

11 Commentaires

  1. « le plus grand libraire en activité dans le monde » je n’en sais rien… mais très certainement l’un de ceux qui ont les plus belles pièces. à faire baver des musées!

    Il présente dans ses nouvelles acquisitions l’un des livres qui étaient exposés au Salon du livre ancien cette année (en tous cas il me semble): La bible à 48 lignes de Fust et Schöffer, achevée d’imprimer le 14 aout 1462 (premier livre à porter un colophon)… C’est absolument fou!
    Evidemment, le prix n’est pas indiqué…

    http://www.antiquariat-bibermuehle.ch/franzoesisch/home.html

  2. Ah Tenschert!!!!…. Très certainement le plus grand libraire en activité dans le monde… j’ai eu l’occasion de le cotoyer… mais c’est une autre histoire!
    H

  3. Bonsoir à tous,

    Rapide message car il est tard.
    Merci pour les commentaires, cela fait toujours plaisir.

    Pour Jean-Paul: navré de décevoir votre intérêt pour les impressions provinciales, mais mon imprimeur est parisien!

    Pour Patrick: sauf erreur, Brunet, Vicaire, Barbier, et la biographie universelle de Michaud sont sur Gallica (sauf erreur). N’hésitez pas à chercher par mots-clefs, on trouve quantité de choses intéressantes en histoire du livre (desp ériodiques du XIXe par exemple). Comme souvent, la numérisation n’est pas ce que l’on fait de mieux, mais c’est déjà pas mal.
    Certains de ces livres doivent également être sur Googlebooks.

    Bonne nuit à tous.

  4. Bonjour

    Très interessant article,
    Je serais intéressé pour ma doc perso où puis trouver sur l’internet les ouvrages de references dont GONZALO nous parle
    (Brunet, Vicaire, Barbier, et la « biographie universelle » de Michaud)
    j’aimerais bien également les avoir sur mon disque dur

    remerciementset bibliophilemment votre
    Patrick

  5. Quand je pense qu’au marché de St Sulpice, j’ai acheté un petit Cazin en très bon état pour 35€…(pas forcément le plus rare, mais au moins, la reliure n’avait pas de défauts)

  6. Info en passant : le Cazin à la reliure pourrie a fait 103 € !
    On a le droit de collectionner ce qu’on veut !

    Jean-Paul

  7. Bonsoir,

    vraiment un beau portrait de bibliophile qui n’est pas si « en herbe » que cela.

    Merci pour la qualité du texte.

    Qui a dit que les générations futures seraient sans bibliophiles ??

    Allez messieurs les Nostradamus en goguettes qui prédisez la mort du livre, la fin des bibliophiles, la fin des temps heureux où les livres véritables existaient encore, rentrez chez vous et sortez-nous d’autres chiffres que vos sondages pompeux de personnes qui n’y voient goutte ! (ça c’est pour celui qui a pondu l’étude sur les bibliophiles sur futur éructée lors du Salon de la bibliophilie au Grand Palais).

    Gonzalo, merci de rester parmi nous longtemps afin de permettre à tous de profiter de vos connaissances présentes et à venir.

    Amitiés, Bertrand

  8. Quel beau et très intéressant portrait ! Bienvenue au club des « rigolos » Gonzalo ! Très heureux d’avoir fait votre connaissance. Vingt-deux ans et déjà un grand amateur et connaisseur de livres! Je ne peux qu’être admiratif puisque nous avons en commun l’intérêt premier pour l’histoire de l’Imprimerie. J’ai beaucoup écrit sur l’Imprimerie provinciale et fait quelques découvertes, certes mineures, mais passionnantes.J’ai eu la chance de faire la connaissance de Madame Veyrin-Forrer quand elle travaillait sur la fabrication d’un livre au XVIe siècle : je ne m’en suis jamais remis, collectionnant exclusivement des éditions du XVIe dans les années qui suivirent (Colines, Estienne, de Tournes…et les imprimeurs rémois de la même époque!). Pouvez-vous nous dire, sans révéler bien sûr son nom (le fichier central des thèses pourrait peut-être nous le dire), si l’imprimeur sur lequel vous travaillez est parisien ou provincial ?

    Avec mon admiration et mes félicitations

    Jean-Paul

Les commentaires sont fermés.