Nicolas Cirier : « fou littéraire » ?

Amis Bibliophiles Bonsoir,
C’est Jean-Paul qui « dégaine » le plus vite suite à mon message sur les fous littéraires et nous fait l’honneur d’un message sur Nicolas Cirier.
Nicolas Cirier (Dun-sur-Meuse, 1792-Paris, 1869) : « fou littéraire » ?
Ancien élève du Lycée de Reims, où son père enseignait le français et le latin, Cirier avait fini par renoncer à la prêtrise pour apprendre le métier de typographe chez Joly, à Château-Thierry (Aisne). En 1820, il avait été employé comme prote par l’imprimeur rémois Pierre Delaunois. Huit ans plus tard, il était entré à l’Imprimerie royale sur concours. Il y fut correcteur de 2e classe pendant huit longues années, corrigeant le latin, le grec et plusieurs langues orientales, avant de démissionner. Le susceptible typographe n’avait pu accepter les remontrances de ses supérieurs, plutôt incompétents, et avait fini par comprendre qu’il n’aurait jamais droit à un quelconque avancement.Dès lors, il partagea sa vie professionnelle entre Paris, où il fut en particulier compositeur chez Gros, Blondeau puis Boulé, et Reims, où il fut prote chez Jacquet. Se considérant victime d’une injustice, il se mit à publier des pamphlets excentriques, enrichis de papillons de couleurs et autres fantaisies typographiques, ainsi que de nombreuses citations.
Ces dernières mériteraient d’être enfin étudiées, car elles pourraient révéler un Cirier méconnu. A titre d’exemple, celle en hébreu qui figure en regard de la page de titre de L’Oeil typographique. Offert aux hommes de lettres de l’un et de l’autre sexe, notamment à MM. les correcteurs , protes, sous-protes, etc. (Paris, Firmin Didot frères, 1839) est inexacte dans sa référence comme dans sa traduction. En effet, la référence est « Ps. XCII, 4 » et non pas « Ps. XCI, 7 », et la traduction « L’homme dépourvu de sens ne peut savoir, le sot ne peut s’en rendre compte » (traduction du Dr. Jérôme Talmud) est bien loin de celle de Cirier : « Le sujet est si beau, la matière si belle, qu’elle fera du bruit. » ! Ce pamphlet, qui fut tiré à 500 exemplaires, de même que L’Apprentif administrateur, pamphlet pittoresque (!), littérario-typographico-bureaucratique, pouvant […] intéresser toute personne employée, employable, ex-employée. Par quelqu’un de cette dernière catégorie. (Paris, Chez l’Auteur, 1840. Réédition : Bassac, Plein Chant, 2000), tiré à 100 exemplaires, et que Justice ! (Paris, impr. René, s.d. [1848]), est dirigé contre l’ancien directeur de l’Imprimerie royale, le poète académicien Pierre-Antoine Lebrun (1785-1855), qu’il tenait pour responsable de ses malheurs.
Dans L’Oeil typographique, que Cirier qualifie de « colloque ophtalmo-typographico-épanorthôtique », on apprend que « l’Oeil typographique est un je ne sais quoi, que l’expérience ne donne point ; une espèce de grâce gratuite, tout à la fois prévenante, concomitante, subséquente, et pas toujours efficace… » et qu’il « est criminel, dix fois criminel, puisqu’il contribue pour beaucoup au malheur d’un typographe honorable, et honoré. »
C’est dans L’Apprentif administrateur que Cirier cite tous les « arts graphiques » qu’il utilise : la chirographie vulgaire, la tachygraphie, la typographie, la lithographie, l’autographie, la chalcographie, la cassitérographie, la phellographie, la xylographie et la polytypographie.
Dans Justice !, Cirier réclame une indemnité de 20 000 francs « qui correspondent à quinze années de privations, d’humiliations et de tortures », sans compter les conséquences des années de « despotisme insolent et impitoyable ».
Après la démission de Lebrun en 1848, Cirier s’agita quelque temps dans le monde de la politique, soutint le démocrate socialiste Ledru-Rollin et ne cessa pas d’être en relation épistolaire avec les intellectuels de son temps.
En 1857, il publia un pamphlet contre le peu scrupuleux abbé Jacques-Paul Migne (1800-1875), fondateur d’une importante imprimerie catholique, chez lequel il fut correcteur : Hommage à monsieur l’A,B X. Démonstration A+B… = AB, apparemment ? -Pas du tout ! A+B = A+B. (Paris, impr. Bonaventure et Ducessois, s.d. [1857]), plaquette « Tirée à cent exemplaires seulement, et c’est, ma foi ! Beaucoup trop encore » précise l’auteur qui « propose à M. l’abbé Migne de remplacer, dans son immense Bibliothèque du clergé, l’Appendix de Probabilismo par le Visiteur du Pauvre, du baron De Gérando. »
Entre temps, avant de quitter définitivement Reims pour Paris, Cirier avait fait publier par son ami Alexandre Cordier, modeste libraire rémois, Le plus étonnant des Catalogues (Reims, impr. Luton, s.d. [1842]. Malgré la numérotation fantaisiste des 564 livres imprimés, dont 26 pas à vendre sont entre parenthèses et 39 favoris sont marqués d’une croix mortuaire, malgré la présence de livres en langue proconchie, langue des académiciens de Petapa dans Le Bachelier de Salamanque de Lesage, et malgré quelques prix et de nombreuses déclarations annexes, la vente de cette bibliothèque, a priori imaginaire, fut effectivement réalisée. Six jours avant la vente, Cordier avait écrit à Cirier : « il ne faut pas se faire d’illusion du côté des Rémois : vous savez qu’ils ne sont rien moins qu’amateurs de livres et qu’ils achettent [sic] plus tôt [sic] pour le plumage que pour le ramage. »
Dans La Brisséide (Paris, impr. Noblet, 1867), tirée à 300 exemplaires « Un mois avant le renversement des casseroles compromettantes et la cessation des oracles. », Cirier poursuit son combat contre l’injustice et la mùisère.Il s’attaque au baron Léon Brisse (1813-1876), célèbre pour ses menus quotidiens publiés dans le journal La Liberté, qu’il rend responsable de « Brutalités iambico-philanthropico- gastronomico-copronymiques » et le compare à Marie-Antoine Carême (1784-1833) :
« On a, c’est mon avis, surfait le baron Brisse,
et, sans l’humilier,
je dirai qu’il ne va, tout au plus, qu’à la cuisse
de mon grand cuisinier. »

Le « typothète » persécuté, ami intime d’Hégésippe Moreau, poète élégiaque et autre typographe sans gloire, dont il avait recueilli le dernier soupir en 1838, était veuf depuis deux ans quand il s’éteignit à son tour, un catéchisme à la main et son chien Boute-en-train étendu mort à ses pieds. Ils furent enterrés tous les deux dans le même cercueil et conduits au cimetière Montparnasse par trois cents compositeurs parisiens.

Jean-Paul Fontaine
Merci Jean-Paul,
H

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