Amis Bibliophiles bonjour,
Frédérick aime les livres, l’amour et le vin, il pourrait donc être italien… Il était en tout cas en Italie, et revient vers nous avec un joli texte, à la manière de Misson, dont j’ai emprunté le titre:
« Je me souviens avoir rempli des carnets de dessins à Rome et à Florence il y a quelques années. J’ai abandonné le dessin mais je souhaite partager avec vous un carnet de bibliophile. Aucun de mes déplacements n’est jamais vain lorsqu’il s’agit d’assouvir ma passion des livres. Pourtant, j’avais pris la décision de ne rien préparer pour des vacances romaines que nous passions en amoureux. Mon épouse n’est pas bibliophile, mais elle tolère avec patience mes escapades parisiennes à la recherche de livres mystérieux, mes dépenses excessives et mes longs monologues sur l’intérêt de tel exemplaire. Aussi avais-je décidé de lui consacrer tout mon temps: nous étions pour cinq jours sans nos enfants, et Rome était à nous.
Un bibliophile n’est jamais innocent, même s’il doit rester profondément honnête. La vérité, c’est que je ne connaissais pas de libraires dans cette grande ville, que par malheur je n’ai pas le sens de l’orientation, et que ma femme ne m’avait rien interdit. Elle me conduisait à travers les rues de Rome sans que je puisse un seul instant me repérer ou infléchir sa décision d’emprunter une rue sans librairie. Le hasard fait cependant bien les choses, et le deuxième jour, nous passions enfin devant une vitrine garnie de livres anciens. Située à deux pas du Panthéon où reposent les pères de la nation Italienne, la librairie Calligrames dormait Via De Nari dans une ruelle éloignée des hordes de touristes. C’était un lundi, je craignais trouver porte close et devoir insister pour repasser plus tard. J’avais cédé immédiatement à la tentation de passer le seuil, rompant une trêve que je croyais devoir tenir en remerciement éternel. De la sonnette il ne sortit aucun son, mais on vint m’ouvrir à l’instant où, décomposé, je tournais les talons. Un jeune homme d’une trentaine d’années accueillait les clients avec un large sourire et un plaisir non dissimulé. Cela faisait chaud au coeur. Pas plus qu’en France, les livres de sorcellerie, de magie ou d’alchimie ne se trouvent facilement en Italie. D’un air désolé, le sympathique libraire me sortait tout de même une édition ancienne du Sepher Yetsirah, un texte en marge de ma collection. Il prit cependant du temps pour parler avec moi, me dire combien il était heureux de voir un jeune collectionneur. Sur le ton de la confidence, j’apprenais que les livres de sciences occultes ne circulaient pas vraiment en librairie… Ces mots n’avaient altéré en rien ma volonté de dénicher ce qui est toujours parfaitement caché. Généreusement, il prit mon plan de Rome, traça une croix Via Ripetta en me conseillant d’aller tenter ma chance là-bas. C’était à dix minutes de marche, entre la Piazza del Popolo et le Mausolé d’Auguste que nous voulions de toute façon visiter.
La Libreria antiquaria Scarpignato est tenue par le très Italien Aldo Scarpigato. A ce stade de mon périple, je me dois de glisser à mes amis bibliophiles un conseil qui pourrait les sortir de situations embarrassantes. Bien qu’elle soit discutable, cette astuce m’a été souvent d’un grand secours: ayez toujours sur vous une photographie de la plus belle partie de votre bibliothèque. Si vous ne possédez que quelques livres, ayez une image de ceux que vous avez en estime, et si vous n’avez rien de cela sinon le désir ardent d’avoir dans vos mains un livre que l’on ne sort qu’à de bons clients, prenez une photo crédible de beaux livres que vous ferez passer avec fierté pour votre propriété. Si, comme moi, vous êtes parfois intimidé par le premier contact avec un libraire, prenez l’avantage et montrez lui immédiatement que vous êtes un client sérieux. Vous êtes chez lui pour enrichir votre bibliothèque, mais vous êtes exigeant. Ne manquez jamais de montrer que vous maîtrisez parfaitement votre sujet, et si ce n’est pas le cas, restez muet. Affichez votre plus beau sourire, vous n’en êtes pas moins accessible: les portes s’ouvriront bien plus grandes.
Le libraire est un être sensible à la beauté, aussi, après que je l’eusse ébloui, Aldo Scarpignato m’invita à m’asseoir. Il revint avec le Grand Albert, un grimoire de magie naturelle. Cet exemplaire je crois n’avait pas les planches. Puis un superbe Del Rio, un classique de la sorcellerie. Il était en vélin d’époque à un prix raisonnable, le titre joliment calligraphié au dos, mais c’était une des nombreuses éditions latine et je cherchais l’unique édition française.
Je n’avais pas l’intention d’acheter, mais la journée avait été bonne. Le soir arrivait et nous nous réjouissions de déguster bientôt un plat de pâtes et une bouteille de vin Italien. Que ce soient les simples sandwichs au salami, les antipasti à base de légumes, la friture, et bien sûr les pâtes et les pizzas, contrairement aux mauvais restaurants parisiens qui pullulent et qui servent des horreurs congelées aux touristes, globalement, à Rome, on respecte vos papilles, même si l’infâme attrape nigauds existe aussi. Sur la route, nous admirions les rues, les places et magasins, et je rentrais encore une fois dans une librairie croisée au hasard dont je tairais le nom, par respect pour son propriétaire et l’excellent accueil qu’il me fit au bout du compte.
Quelques livres anciens s’offraient à la sagacité du chercheur dans une vaste pièce. Déçu de ne rien trouver, je voulais préciser mes attentes au libraire, mais il n’y avait là qu’une jeune dinde qui gloussait au téléphone depuis mon arrivée. J’assistais alors à un spectacle des plus navrants. Elle appliquait sur un livre un jet de produit bleu type « lave-vitre », puis elle frottait avec ardeur un dos qui demandait à être caressé. Je la regardais médusé et, à son insu, je tentais en vain de la filmer, afin de partager avec vous ce moment de détresse. Inutile de dire qu’il ne servait à rien de lui faire une remarque, elle n’entendait rien à la chose. Avec grand peine, elle finit par appeler son père, un homme qui lui, connaissait les livres. Il alla au coffre me sortir un incunable (c.1500) de chiromancie, Opus pulcherrimuz chiromantie cum muitis additionibus noviter impressum, au colophon « Venetijs per Bernardinum Benalyum ». Relié en plein maroquin dix-neuvième, malheureusement un exemplaire lavé, mais illustré de nombreuses mains. Un exemplaire superbe, un prix en conséquence. Pendant que je collationnais l’ouvrage, il revint avec un second livre, Chiromantiae Theorica Pratica Concordiantia genethliaca, Vetustis novitate addita, Joanne Rothmanno, Erphodiae 1595. Relié en veau d’époque, cet exemplaire était orné d’un charmant ex libris en forme de main qui, vraisemblablement, était la marque d’un collectionneur spécialisé dans cette matière.
La matinée du lendemain se dessinait sans librairies. Nous avions marché toute la matinée sans croiser un seul livre. Vers deux ou trois heures, alors que nous cherchions à nous reposer, je trouvais une boutique d’estampes. L’Antiquaria Sant’Angelo di Francesco e Alfio Mazza située Via Banco di S. Spirito vendait aussi quelques livres. Le patron fumait la pipe, allongé sur un fauteuil-divan face à l’entrée. Dans un français parfait, et avec cet accent italien si charmant, il me montra une magnifique gravure diabolique de La Voisin.
Je m’attardais volontiers en sa compagnie, et puis il n’était pas encore quatre heures, horaire que nous respections habituellement pour la dégustation de généreuses gelatti noisette-noix de coco et vanille-crème. Cet homme si aimable redoubla d’efforts pour m’être agréable. Il indiqua sur ma carte d’autres libraires, puis il me demanda si je voulais bien patienter un instant. Il tapa quelques mots sur son ordinateur, nota un numéro, prit son téléphone, et parla longuement avec un homme. Il me remit un morceau de papier avec le numéro et l’adresse de son contact. Je devais prendre rendez vous chez ce mystérieux inconnu qui vendait des livres de magie.
Le soleil était resplendissant. Il contrastait avec l’intérieur sombre de cette petite échoppe que je trouvais sur notre route, dans laquelle je rentrais sans conviction. Je poussais la porte à moitié et me glissait à l’intérieur. Il y avait des livres. Sans avancer, je jetais un regard circulaire, jugeant l’endroit désert. Mes yeux qui s’étaient habitués à la pénombre finirent leur course dans le coin droit de la boutique. Assis derrière la porte, et sans que l’on puisse la voir, dormait une très vieille femme. Sa tête, que le sommeil avait entraînée, pendait vers le sol. Elle était avachie sur un fauteuil poussiéreux. Il sortait de sa bouche un ronflement sobre. Je sortais sur la pointe des pieds appeler mon épouse, mais elle était trop loin, et je rentrais de nouveau écouter les ronflements. La chère vieille chose sortit de sa torpeur, elle avait sentit ma présence. Ses yeux s’ouvrirent, les cernes tombaient, découvrant le poids des ans et de l’ennui. Elle me fit un timide sourire. J’inclinais la tête poliment et sortit. Je revenais de nouveau à la vie, au soleil et au bruit.
Il n’y avait pas beaucoup de magasins alentours. Mon épouse flanait dans la rue anormalement agitée de carabiniers et de voitures de fonction. J’étais rentré dans la Libreria antiquaria Ex Libris, non loin de la fontaine de Trévi. Les murs étaient garnis de livres si haut qu’on ne pouvait atteindre ceux des sommets sans échelle. Une longue vitrine sur la droite présentait des minuscules, tous bien reliés. Des livres sur Rome et l’Italie, l’histoire des idées, la littérature, la science et les voyages côtoyaient des cartes du seizième au vingtième siècle. On me sortit quelques bons livres sur les sciences occultes avec une grande amabilité. Je jetais un oeil rapide, ne voulant pas rester trop longtemps.
Dehors, le cortège s’était emballé. Je rejoignais mon épouse assister à la scène. Un ministre, probablement, sortait d’une porte dérobée, entouré de courtisans et de conseillers. Il s’engouffra dans une voiture rutilante. Le chauffeur faisait ronfler le moteur, un peu à la manière des sons que je produisais enfant lorsque je jouais avec mes petites autos. Les gardes du corps couraient à leur voiture garée plus loin, puis klaxonnant avec art, à l’italienne, disparurent en tentant de rattraper la voiture de Monsieur le ministre.
Etait-il bien raisonnable de se rendre chez ce mystérieux intermédiaire qu’on m’avait indiqué et qui n’avait pas pignon sur rue ? Non bien sûr, et c’est pour cela que j’avais décidé de m’y précipiter. Le mieux était de ne pas prendre rendez-vous, garder la part de mystère, se rendre sur place et aviser. Je trouvais une grande porte cochère. Je sonnais à l’adresse indiquée et donnais mon nom sans autre explication. Mon interlocuteur se souvint de ce nom qu’on lui avait donné par téléphone. Une femme élégante vint m’ouvrir. Une seconde porte grillagée donnait sur une fontaine. A droite, une baie vitrée. On me fit entrer dans une vaste pièce éclairée avec goût, garnie de livres anciens. Un homme au téléphone me fit signe de m’asseoir. J’attendais qu’il finisse sa conversation. Il raccrocha. Il fallait jouer le grand jeu, je voulais qu’il me sorte ses plus beaux livres. Je ne saurais me souvenir de tous les livres, mais il me montra un livre somptueux, un de ceux que je recherchais dans une condition si exceptionnelle: De Occulta philosophia libri III, Agrippa, Lyon, Beringos, 1550. Un livre extraordinaire, relié en peau de truie estampée à froid en parfaite condition, avec des fermoirs en laiton, un exemplaire d’une grande fraîcheur, bien complet.
C’est le dernier livre que je vis lors de ce voyage. On me raccompagna, le coeur encore battant d’une intense émotion. Je m’enfonçais parmi la foule des touriste rejoindre mon épouse.
Frédérick. »
H
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…… ?? ses frites et son saumon fumé !….
ah, Rome, ses gondoles, son couché de soleil sur l'Atlantique ! (ou quelque chose d'approchant, non ? il faudra que j'investisse dans de vieux atlas, peut-être).
je n'ai pas fais de folie, car l'Agrippa est vraiment cher. Mais c'est un exemplaire exceptionnel et je garde un oeil dessus, dans l'espoir de le voir entrer dans ma bibliothèque
Joli voyage. Jolie plume qui nous dépose en Italie… Un homme attentionné, s'il est bibliophile reste avant tout bibliophile. A Paris, avec mon épouse, je mets un point d'honneur à ne pas rentrer dans une librairie. Nous nous retrouvons pour déjeuner ensemble autrement.
Je ne sais pas si j'oserais franchir la porte d'une librairie italienne car je ne parle pas la latin ;-)) Pierre
Heureux qui comme… Frédérick a fait un beau voyage… mais ce qui ne nous dit pas ce que tu as ramené de ce périple romantico-livresque (à part ton épouse biensur… enfin j'espère…)
Amitiés du Bibliomane,
B.