Miscellanées de Monsieur H. : les commissaires-priseurs, nouveaux libraires d’ancien, les manuscrits nouvelle tendance, ou la Steve Jobs mania… le blog sous format papier…

Amis Bibliophiles bonjour,
Longue discussion avec un commissaire-priseur et son expert il y a quelques jours, alors que je réfléchissais à leur confier un ouvrage et un échange de points de vue intéressants sur le rôle nouveau du commissaire-priseur dans la « chaîne de valeur » du livre ancien. 
Des commissaires-priseurs et de leur envie de livres…
Ce commissaire-priseur m’expliquait en effet que sa (prestigieuse) maison allait se positionner de façon encore plus forte sur le marché du livre rare et ancien. On connaît les arguments déjà longuement débattus ici d’une librairie qui vacillerait sous les coups de boutoir conjugués d’internet (qui permet de comparer les prix, de s’informer avant de vendre à un libraire, et qui court-circuite le schéma habituel des ventes en incitant certains particuliers à vendre eux-mêmes sur ebay, plutôt que d’aller proposer la bibliothèque de papy au libraire du quartier), on connaît les arguments sur la raréfaction des ouvrages (que la démographie du bibliophile permet à mon sens de contester… levez la tête dans la travées du Grand Palais et vous comprendrez), mais le commissaire-priseur m’a avancé un argument exogène qui était passé au dessus de mes préoccupations de bibliophile: la richesse du patrimoine français et de ses bibliothèques privées, pour lesquelles les jeunes héritiers ont moins de passion que leurs aînés, font qu’aujourd’hui pour une maison de ventes qui doit enchaîner les ventes, les livres anciens de qualité sont dans les faits moins rares que les autres objets anciens comme les meubles ou les tableaux. 
A ses yeux, le débat sur les prix entre librairies et SVV fait déjà partie du passé, et son pari est de parvenir à se positionner à terme comme un incontournable de ce marché du livre, dont il n’exclut d’ailleurs pas les libraires, puisqu’ils devront à ses yeux passer de plus en plus par lui pour s’approvisionner. Son expert, qui n’est pas libraire (…), opinait gentiment du chef, ce qui n’a pas non plus laissé de me surprendre. Rien de bien neuf, à part cet argument inattendu, le livre comme opportunité économique pour les SVV en raison des tensions sur d’autres marchés, qui est d’une façon également un relatif aveu de faiblesse de la part d’une maison dont l’épaisseur de la moquette donne envie de s’allonger dans le hall pour une petite sieste. Cet argument là, je ne l’avais pas vu venir…
Insanely simple ou l’autre face cachée de Steve Jobs…
Autres temps, autres lieux, autres moeurs… avec les prix atteints par deux « manuscrits » de Steve Jobs chez Sotheby’s: le premier vendu en décembre dernier m’avait déjà interpellé en réalisant plus de 1.5 millions de dollars; il s’agissait de copies de documents Apple de 1976 (5 pages en tout) signés par Steve Jobs, Steve Wozniak et RonaldᅠWayne. L’estimation de 100 – 150 000 dollars étant pulvérisée.

La semaine passée, le phénomène s’est répété avec l’adjudication d’une page manuscrite de Steve Jobs pour 27 500 dollars. Un manuscrit moderne puisque là où on l’adjuge parfois une page de Victor Hugo, Dickens ou Fitzgerald, il s’agissait de 4 pages consacrées à la modification du code d’un jeu vidéo sur lequel Steve Jobs avait planché en 1974 alors qu’il travaillait pour Atari, ce qui revient au même qu’une épreuve de Hugo, finalement: 4 pages, avec des diagrammes, quelques lignes de programmation.     La passion pour l’écrit se niche parfois où on ne l’attend pas (encore).
Le blog sous format papier…
Un serpent de mer. Certains sites proposent d’imprimer son blog et de le faire relier. Je m’étais posé la question un jour, affolé par les prédictions de mon ami Frédérick qui me prédisait une apocalypse prochaine et donc la fin de l’accès au numérique, en tout cas pour notre société occidentale décadente… Hélas, les presque 1350 messages aujourd’hui proposé sur le blog, et même si je n’en gardais que la moitié, ou même le tiers, dépassent la capacité de ces sites proposant des impressions. J’ai également imaginé plusieurs fois la possibilité de sélectionner les bonnes feuilles et de les publier, mais vous le savez, je suis un velléitaire et j’ai à chaque fois reporté le sujet. Or, il se trouve qu’un éditeur ayant publié plusieurs ouvrages autour de la bibliophilie m’a proposé il y a quelques jours d’imprimer les bonnes feuilles du blog et de les imprimer joliment. Qu’en pensez-vous? 
H

19 Commentaires

  1. Informatique et internet parachèvent une révolution qui a commencé au XVème : diffusion, partage et accélération du savoir. Et je crois qu'on ne mesure pas encore combien cela sera une cassure dans l'histoire de notre civilisation. Steve jobs en est un acteur, il est donc normal qu'un de ses documents de travail acquière de la valeur. Que les spéculateurs s'excitent pour y mettre un prix, c'est un autre débat…

    La révolution numérique sera complètement achevée quand on vendra aux enchères des mails… 🙂

  2. Je ne suis pas expert mais j'ai la faiblesse de croire que le support numérique offre bien moins de potentiel de perte que le support papier.
    Heureusement pour les bibliophiles que les livres se perdent d'ailleurs. Comment créer de la rareté sur un support aussi commun sinon.
    Tous nos badinages sur ce blog ont bien moins de chances de se perdre que tous les échanges de lettres des siècles passés.
    Ce qui devrait retenir celui qui écrit au moment où la pulpe du doigt va frapper son clavier.

    Ce que je viens de m'abstenir de faire (mais je viens du/des siècle(s) de l'imprimé…).

    Olivier

    PS @Frederick : je suis bien d'accord quant à l'incroyable inventivité du monde des jeux vidéos. Je joue (très) peu mais j'ai joué et j'ai croisé dans le dernier tiers des années 80 un macintosh SE chez un copain (celui avec une souris avec un seul bouton et une mémoire vive qui correspond à une photo numérique d'aujourd'hui) et ça donnait le vertige.

  3. Avec le numerique, la difficulte est de laisser une trace durable. Nous gardons la disquette, le CD, le disque dur qui contient les precieuses données mais au bout d'une petite decennie, il manque toujours un truc tout bête : le lecteur!
    Avec internet les données sont dans un serveur, jusqu'au jour où l'hébergur change, et l'on se retrouve en culotte courte!
    Allors le papier reste encore la meilleure solution!
    mais ca va en faire des tomes!!!

    Quant aux feuilles de travail de Steve Jobs, faire des comparaisons avec tel ou tel écrivian a t'il un sens?
    On ne compare pas le plafond de la chapelle Sixtine avec le programme Apollo!
    Pourtant ce sont bien deux fruits du génie humain!
    Maintenant mettre 1,5 M$ dans un document de Steve Jobs je ne m'y risquerai peut-etre pas!
    Et ca tombe bien, car je ne les ai pas :))

    Wolfi

  4. Débat intéressant. Au risque de choquer, j'ai une admiration sans borne pour les concepteurs de jeux vidéo. En quelques années, la technologie a explosée, les entreprises qui prennent de gros risques – un grand nombre disparaissent – proposent un choix de jeux ahurissant. Mais surtout, les créateurs sont en mesure de créer des jeux immenses, immersifs, certains passages dignes de grands films, certaines aventures extraordinaires. Bref, l'univers des jeux vidéos est incroyablement riche, souvent intelligent, mais aussi, à ceux qui ont gardé en eux la faculté d’émerveillement, de véritables joyaux vidéo-ludiques. Un univers propices aux décérébrés et aux glandeurs : voilà pourquoi il n'est pas de bon ton avouer ces vérités. Vous connaissez pour la plupart d'entre vous ma passion et le sérieux avec lequel je m'applique à enrichir ma merveilleuse collection, passion que je place au dessus de toute autre. Il fallait cependant glisser ici quelques lignes à propos de ce problème, car s'en est bien un lorsqu'il empêche la découverte de la culture, de la lecture et surtout de la bibliophilie. Les pages de M. Jobs sont le témoin émouvant de cette révolution. Elles ont donc un prix, et un prix supérieurs pour certains, comme l'a très justement fait remarquer Hugues. J'avais également fais écho aux journalistes sur la fin du monde que nous connaissons lors d'un ancienne conversation avec Hugues ; ce qu'il ne vous dit pas, c'est que j'avais ajouté : "de toutes manières, ce n'est pas si grave, j'ai des poules, des moutons, un bon puits, de bonnes bouteilles et de bon livres, alors… En tous cas, je trouve le projet de la version papier tout à fait intéressant, si quelqu'un y crois et souhaite mener le projet, pourquoi pas ?

  5. Evidemment ça fait un peu cher mais imaginons Jean-Paul à la fin de l'année 1468 : "alors les notes et croquis de ce Gensfleisch on en fait quoi? A la benne, au rebut!". Et voilà comment on se retrouve avec trois factures de pinard 500 ans plus tard.
    Bonne soirée à tous,
    Olivier

  6. Si il y a bien eu une révolution en cette fin de XXe c'est l'omnipotence de l'informatique ; en bibliophilie de chaque époque ce sont bien souvent les documents très représentatifs de l'époque qui sont les plus chassés et cotés, alors S.Jobs, pourquoi pas ? Peut être un bibliophile visionnaire qui l'a acheté.

    Daniel B.

  7. Très bon point de M. Anonyme sur la comparaison avec Pascal et Lavoisier. Gageons qu'il y aurait des acheteurs pour ce genre de choses!

    Jacques L.

  8. Après tout, si quelqu'un est intéressé par le sujet, et qu'il a 25 000 euros, pourquoi ne pas se faire plaisir?

    Personnellement, je suis peu sensible au charme des manuscrits, comme à celui de Steve Jobs, mais ce texte est-il moins intéressant qu'un énième envoi de Hugo à une lingère pour lui dire qu'il aime son derrière? Probablement pas.

    La tentation est grande de rejeter tout ce qui est nouveau et de se consacrer au passé. L'autre choix est de respecter les envies de chacun, c'est aussi cela la bibliophilie, puisque chacun la pratique à sa façon et surtout se fait plaisir à sa façon. Je n'ai pas l'impression que l'acquéreur ait blessé la bibliophilie en achetant ces pages. Elle est plus forte que cela.

    Les manuscrits (ici Jean-Paul, je pense qu'il vous faut relire, ce n'est pas un "brouillon" de Steve Jobs, mais un document de travail, enfin il me semble) font peu ou prou partie de la bibliophilie, que les bibliophiles le veuillent ou non, finalement, et ce n'est pas à nous de décider si un "auteur" a plus d'intérêt qu'un autre, en général, c'est le temps qui sépare le bon grain de l'ivraie.

    Ce que Hugues ne dit pas, c'est que ces quelques pages étaient mises en vente dans le cadre d'une vacation consacrée aux "fine books and manuscripts", aux côtés d'un Audubon, d'ouvrages de Le Corbusier ou de Joyce, un vrai contexte bibliophilique donc.

    Qui sait où sera la tendance demain? Aux Elzévir, il semble que non, pas plus qu'aux Cazin qui font l'actualité mais qui se vendent au mètre (voir la vente récente) ou qu'aux ouvrages de voyage dont la cote semble baisser alors qu'elle était au plus haut hier? Et plus que les prix, n'est-ce pas l'envie des bibliophiles, ou de chaque bibliophile qui importe? Et surtout qui doit se respecter?

    Quant au débat sur le numérique et le papier, il est aussi dépassé que celui qui anima la fin du XVe siècle face à l'arrivée des premiers livres imprimés. Non ce n'était pas de la sorcellerie… Mais les gens qui l'affirmaient devaient sans doute faire "marrer" les autres. Sourire

    Jacques L.

  9. Ce brouillon de Steve Jobs, une fois relié et dans quelques centaines d'années, n'est pas davantage de la bibliophilie qu'un manuscrit de Pascal ou de Lavoisier préparant une expérience scientifique… 😉 La querelle des anciens et des modernes existera toujours, ainsi que la réaction. Et c'est très bien ainsi d'ailleurs, chacun chassant selon sa prédilection!

  10. Je note que "l'informatisé" est demandeur de reconnaisance papier pour être pérenne … je me marre

    Quant aux brouillons des uns et des autres ramassés dans leurs poubelles … je me remarre

    Vous avez dit "bibliophilie" ?

  11. Nostradamus ce vend comme du pain béni, c'est pourtant un ramassis de conneries, dont la nocivité tout au long des siècles et encore aujourd'hui est plus nocive que n'importe lequel des jeux vidéo atari. La valeur (historique, humaine, sociale et j'en passe…) contextualisée de Nosradamus n'en ai pas moins réelle, tout comme l'est, pour moi, un écrit de Steve Jobs, quand bien même je n'irai pas mettre plus de 100 roupies pour ces manuscrits de geek alors que je me laisserai aller pour Nostra…

    Ca me fait songer aux lettres françaises, ou de respectables Dames s'échinaient à combattre la destruction de la langue française, ce qui faisait bien sourire Raymond Queneau. Et moi de même.

    Pour la version du blog papier, puisque nos pensées sont demandées, je ne suis pas certain que ce soit très intéressant… Mais une petite fenêtre de commentaires n'est pas le bon lieu pour développer.

    Nicolas

  12. Gageons que Victor Hugo faisait aussi des brouillons… Après, j'imagine qu'il y a avait bien des gens pour dire à la fin du XIXe "Comment ose-t-on comparer un torchon de ce M. Hugo avec les merveilleux textes de M. Massillon"… 🙂

    Et puis, on pourrait aussi comparer ces 4 pages de texte à 4 pages de l'Oulipo, ou de Louis Renault, ou de Le Corbusier, ou que sais-je encore…?

    Après, tous les goûts sont dans la nature, et pour des historiens de la chose, ces 4 pages de Jobs ont sans doute leur intérêt.

    Sinon, commentaire d'un ami à côté de moi: "du point de vue d'un Mexicain, d'un Marocain, d'un Américain ou d'un autre étranger, Steve Jobs aura sans doute joué un plus grand rôle dans l'histoire de l'humanité. Il faut parfois lever les yeux du rétroviseur".

    Hugues
    (qui n'est pas Apple maniaque)

  13. Comment peut-on comparer, surtout ici, le texte littéraire d'un Victor Hugo avec le brouillon d'un Steve Jobs sur un jeu vidéo ?!
    Je ne vivrai pas assez longtemps pour savoir si les "écrits" de Steve Jobs se hisseront un jour à la hauteur des écrits de nos grands écrivains, mais je n'ai aucune illusion là-dessus aujourd'hui, sinon de désespérer de l'esprit humain.
    Et je ne suis pas encore gâteux: c'est, hélas, dans le vent, mais ce vent emporte et colporte des odeurs de qualité bien médiocre.

  14. Mais le commissaire-priseur qui se tourne vers le marché du livre ancien rare parce que c'est moins saturé et concurrentiel que les meubles et les tableaux, où visiblement il n'a pas rencontré que des succès, ça laisse un peu rêveur. Visiblement ce n'est pas par passion qu'il fait ce choix. Est-ce un bon point de départ ?
    à ma connaissance il y a peu de maisons spécialisées dans le livre ancien. Je pense à PBA et à Alde. Pour PBA, on ne doute pas de la passion à l'origine.

  15. Chouette le blog format papier, mon employeur ne me permet pas d'imprimer au bureau, alors ça me coûtera toujours moins cher que de faire marcher mon imprimante et ce sera plus joli . Et puis, les feuilles volantes ou les CD ne font pas belle figure dans ma bibliothèque.

    Lauverjat

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