Dossiers cliniques de l’IGLI- Rapport d’observation sur un bibliophile victime du moteur Gallica

Docteur Achille Dandillot, médecin-inspecteur attaché à la section clinique de l’IGLI.

Amis bibliophiles, bonjour.

Préambule

Le présent dossier a pour objet l’étude d’un cas clinique rare mais en progression constante : la désorientation psychique induite par l’usage prolongé du moteur de recherche Gallica. L’Institut a déjà enregistré plusieurs signalements de comportements étranges chez des chercheurs, étudiants ou bibliophiles s’adonnant de façon répétée aux recherches en ligne dans ce vaste entrepôt numérique. Mais le cas que je rapporte aujourd’hui est d’une gravité exemplaire, méritant qu’il soit annexé en priorité au registre clinique.

I. Identité et antécédents du patient

Le sujet, que nous désignerons par l’initiale M. L., bibliophile trentenaire, a longtemps entretenu un rapport ordonné au livre ancien : il fréquentait libraires et salles des ventes avec cette régularité méthodique propre aux collectionneurs équilibrés. Ses amis notaient chez lui une tendance à l’enthousiasme compulsif pour les frontispices baroques et les éditions originales du XVIIIe siècle, mais rien de pathologique.

Il utilisait Gallica avec parcimonie, comme on consulte un dictionnaire : pour vérifier une pagination, pour comparer une reliure. Mais à partir de 2024, son usage s’est intensifié. Selon son entourage, « il ne parlait plus que d’algorithmes et de chaînes de caractères ».

II. Déclencheur du trouble

Le point de bascule s’est produit lorsqu’il chercha un sermon de Bossuet.

  • Première recherche : Bossuet sermon funèbre.
    Résultat : un catalogue de mobilier funéraire de 1923.
  • Deuxième tentative : Bossuet AND funèbre.
    Résultat : « Bossuet, Jean-Baptiste, coiffeur de province (registre paroissial) ».
  • Troisième : sermon funebre Bossuet (sans accent).
    Résultat : un recueil de chansons bachiques imprimé à Bar-le-Duc.

Après trois heures d’efforts, il obtint enfin un lien… vers un texte de Fénelon.

C’est ce que nous appelons, dans notre nomenclature, le syndrome de la Fausse Référence Parfaite (FRP) : le patient croit avoir trouvé, mais c’est toujours un autre.

III. Symptomatologie observée

Les signes cliniques se sont développés rapidement :

  1. Palilalie syntaxique : il répétait à voix haute les requêtes Gallica (« Bossuet funèbre ORation NOT Fenelon ») jusque dans les couloirs du métro.
  2. Hallucinations optiques : il affirmait voir des filtres invisibles qui « lui masquaient » les résultats.
  3. Tics comportementaux : il ajoutait des accents circonflexes aux mots du quotidien (« je vais au châpeau », « passons à tâble »), persuadé que sans accent, personne ne le retrouverait.
  4. Délires de persécution : il soutenait que la BnF « se vengeait » d’un retard de restitution d’ouvrage en sabotant son accès.

IV. Description de la crise aiguë

La crise la plus violente s’est produite un soir d’hiver. Ayant cherché le mot-clé reliure mosaïquée, il reçut en retour :

  • un décret préfectoral sur les mosaïques de trottoirs,
  • trois cartes postales de Rabat,
  • un traité vétérinaire sur les maladies du cheval.

Il éclata alors en sanglots et s’écria :

« Tout est faux ! Gallica est un labyrinthe de miroirs ! »

Son voisin le retrouva plus tard en train de surligner compulsivement des pages de catalogue de tapisseries, persuadé qu’il s’agissait de reliures.

V. Diagnostic différentiel

Il ne s’agit ni d’une simple lassitude numérique, ni d’une fatigue oculaire. Nous retenons trois hypothèses cliniques majeures :

  • Le syndrome de l’Index fantôme : l’impression que le mot recherché existe, mais qu’il a été volontairement effacé par le moteur.
  • Le délire de la Catégorie mouvante : croyance que les filtres changent dès qu’on les applique, rendant tout résultat périssable.
  • La bibliomanie algorithmo-dépressive : état mixte où le patient croit que l’intelligence artificielle de la BnF se moque de lui.

VI. Traitement administré

L’IGLI a prescrit une cure de désintoxication numérique :

  1. Sevrage partiel : interdiction de toute recherche sur Gallica plus de 20 minutes consécutives.
  2. Réintroduction progressive du papier : consultation hebdomadaire en salle de lecture, manipulation d’exemplaires physiques.
  3. Ateliers collectifs de cri primal : chaque participant hurle à tour de rôle « Ce n’est pas ce que j’ai demandé ! », afin de libérer la frustration accumulée.
  4. Électrothérapie bibliographique douce : lecture forcée d’un vrai catalogue imprimé de libraire du XIXe siècle, aux notices bien rangées, pour réhabituer le cerveau à la logique.

VII. Évolution et pronostic

Après six semaines, amélioration partielle : le sujet n’entre plus en transe devant les suggestions « Affiner la recherche ». Toutefois, il demeure persuadé que Gallica lui cache un exemplaire du Traité des couleurs de Roch de Coligny, et qu’il finira par l’obtenir en sacrifiant une requête à la pleine lune.

Pronostic : réservé. Risque élevé de rechute si la BnF modifie encore son interface.

VIII. Discussion générale

Le cas de M. L. révèle un danger plus large : le moteur de recherche Gallica, conçu comme outil de diffusion, agit parfois comme un générateur de frustration cognitive. Les lacunes d’indexation, la rigueur aléatoire des métadonnées, les résultats saugrenus ou décontextualisés créent une instabilité mentale chez l’usager assidu.

Les archives de l’IGLI ont déjà répertorié des cas analogues :

  • un professeur persuadé que le moteur confond volontairement la Méthode de latin de Despautère avec des manuels de gymnastique,
  • une doctorante convaincue que Gallica « efface » ses requêtes au fur et à mesure qu’elle les tape,
  • un collectionneur de brochures qui ne voit apparaître, quels que soient les mots, que des cartes postales de bains de mer.

Ces symptômes constituent désormais une entité nosologique reconnue : la gallicanose chronique.

Conclusion

L’IGLI recommande une prudence extrême dans l’utilisation de Gallica par les bibliophiles sensibles. L’outil n’est pas dénué d’intérêt, mais il exige une hygiène mentale stricte. Faute de quoi, le risque est de voir se multiplier ces cas cliniques de bibliomanie algorithmique, dont M. L. reste l’exemple le plus avancé.

Dossiers cliniques de l’IGLI, Dossier n°1, cote IGLI-DC-1/193.

8 Commentaires

  1. hum.. cet article théoriquement satirique, ne me paraît que trop réaliste. Et la suggestion de ne pas utiliser la recherche dans Gallica, mais dans Google, en rajoutant le mot Gallica aux termes recherchés, est une astuce connue depuis longtemps ; et j’imagine que l’équipe en charge du moteur de recherche de Gallica doit se dire : « notre moteur n’est pas terrible, certes. Mais comme il y a un palliatif facile et connu de la plupart des utilisateurs, on va classer cet incident « moyen », avec horizon de résolution 2 ans, et non pas « grave », avec délai de 2 mois. »

  2. note: l »expression « un bibliophile trentenaire »doit se comprendre selon les caractéristiques de son genre.Cela ne veut pas dire que le bibliophile a trente ans d’âge biologique mais qu’il est entré en bibliophilie depuis trente ans.Il s’agit d’ailleurs d’une période tout à fait complexe au cours laquelle les murs des pièces semblent se retracter de plus en plus tandis que l’on se livre à des calculs tout à fait improbable de portance au sol,période marquée aussi par le syndrome du livre perdu dans la bibliothèque.Il faudrait peut ètre joindre une remarque toute personnelle.Commençant mes cours par une bibliographie générale des moteurs de recherche et autres sites de dépot,il y a bien longtemps que je recueille effectivemnt les doléances stupéfiées de mes élèves touchant les abus processifs de la gallicanisation .J’ne suis venu à leur conseilelr d’entrer leur recherche non à partir du site mais de taper leur requète à partir de tel moteur de recherche généraliste en y ajoutant le terme gallica.

  3. Mon premier message ayant été déformé par le système, en voici le texte original :

    Tout cela est fort amusant mais bien étrange car n’y a qu’une seule bonne manière d’utiliser Gallica, c’est en encadrant un ensemble de mots par deux caractères  ». Une recherche avec « victor le roi » ne donnera rien ; une recherche avec «  »victor le roi » » permettra d’accéder aux exemplaire de ‘Le roi s’amuse’ de Victor Hugo mis en vente.

    • Mon second message ayant été lui aussi déformé par le système, je me trouve dans l’impossibilité de m’exprimer comme je le voudrais. J’espère toutefois avoir apporté un peu de matière au débat sur Gallica.

  4. Tout cela est fort amusant mais bien étrange car n’y a qu’une seule bonne manière d’utiliser Gallica, c’est en encadrant un ensemble de mots par deux caractères « . Une recherche avec « victor le roi » ne donnera rien ; une recherche avec « « victor le roi » » permettra d’accéder aux exemplaire de ‘Le roi s’amuse’ de Victor Hugo mis en vente.

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