Portrait d’un bibliophile : Gilles, alias Lauverjat

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Découvrir un nouveau bibliophile, c’est découvrir une bibliophilie mais aussi une bibliothèque… Ce soir, je vous invite au voyage et vous propose de découvrir ce soir le portrait de Gilles, alias Lauverjat, fidèle lecteur du blog, et qui intervient régulièrement.
Crise du logement.
Pourriez-vous nous parler un peu de vous et de votre bibliothèque?

Je suis presque né dans une imprimerie. Mon père était artisan, imprimeur, typographe et linotypiste tout à la fois. L’atelier était devant la maison. Enfant, je surveillais, perché sur un tabouret, une nébiolo, presse feuille à cylindre, qui avait la fâcheuse manie de prendre deux feuilles à la fois. J’appelais mon père du fond de l’atelier quand ça se produisait… ou je jouais avec l’apprenti. J’ai appris la casse, fait fonctionner les machines et aimé le livre. Etudiant (en médecine) je passais inévitablement par l’atelier pour voir ce qui tombait aux recettes des presses, examiner l’encrage et le foulage.

Lettre autographe de Maurice Genevoix du 28 mars 1926 à Pierre Dominique. Il relate le plagiat de son mémoire sur Maupassant, par Louis Barthou bibliophile et académicien, et la duplicité des frères Fischer directeurs littéraires chez flammarion. En 1980, Genevoix, relate enfin cet épisode dans Trente mille jours (E.O. 65 exemplaires)
Simier R. du Roi, Chambolle-Duru, Capé, Messier, Doll
Depuis quand la passion de la bibliophilie s’est-elle emparée de vous?

C’est à dix-neuf ans que j’ai acheté, en brocante, mon premier livre ancien, un manifeste de Dumouriez. Au même moment mes parents m’ont offert les oeuvres d’Horace reliées en plein veau glacé par Simier. Ils auraient pu plus mal tomber et je remercie monsieur Touzot qui les avait conseillés pour cet achat. Mais la bibliophilie est souvent un plaisir solitaire, et peu de camarades de fac pouvaient concevoir qu’on puisse préférer un vieux bouquin à un week-end à la plage …
Émouvante relique hélas passée dans les mains d’un relieur-rogneur, LABBE DE MONTVERON Gabriel, “Coustumes générales des Pays et duché de Berry avec les annotations de Gabriel Labbe sieur de Montveron conseiller et advocat du Roi au baillage et siège présidial de Berry à Bourges”, seconde édition, à Paris chez Nicolas Buon, 1607 in-4 6 ff., 699 pp. 23 ff., les ex-libris résument l’histoire du livre et du droit à Bourges: “j(ean) chenu ex dono authoris 1607″, avec une note sur l’auteur “décédé le xii février 1615 au retour du palais d’une apoplexie” Chenu, avocat, commentateur du droit et compilateur des privilèges de Bourges meurt le 16.12.1627. On trouve ensuite “Mercier” (famille de professeurs en droit de Bourges, ici Jacques ou Jean (1589-1648) puis “thaumasius de la thaumassiere..” (sans la mention d’achat habituelle qui a du être coupée par le relieur). La Thaumassière (1631-1702) est l’historien et le commentateur de la coutume du Berry le plus célèbre, “De Biet 1726″ (famille de lieutenants généraux et maires de Bourges), Jacques “Triboudet lieutenant particulier à Bourges 1749″ maire de Bourges de 1755 à 1759 écuyer sieur de Mainbray décédé après 1767, enfin un autre ex libris non déchiffré. Sous la ligne “revue et augmentée” une main ajoute: “avec les nottes de Messrs Chenu, Mercier et De la thaumassière”. Le corps du livre est couvert de marginalia des mains de Chenu et de La Thaumassière.Où achetez vous vos livres.? Internet, salons, libraires?

J’ai ensuite fréquenté, entre les cours, les salles de vente de Drouot. J’y ai beaucoup appris et assez peu acheté pour cause de bourse plate. Pendant longtemps j’ai arpenté les quais et j’y ai rencontré quelques libraires aujourd’hui installés. Depuis je suis resté fidèle aux salles de vente quand j’ai le temps. Je pousse les portes des librairies partout où elles s’ouvrent y compris en vacances en tenue de randonneur! Je fréquente inévitablement les salons depuis toujours, celui du Slam en ses lieux changeants, celui des Cordeliers puis du Carrousel, celui de l’ORTF puis de Saint-Germain, celui du Gippe à Saint-Sulpice, celui de la Charité-sur-Loire, d’autres aussi. Je n’ai plus le temps d’aller à Brassens qui me semblait moins intéressant avec le temps il y à déjà quelques années… Je boude les brocantes et les villages du livre où j’ai trop souvent l’impression qu’une masse de bouquins occulte quelques livres anciens. J’ai de bonnes relations avec les libraires, du moins j’espère, il faut bien que tout le monde vive. J’ai le privilège d’y avoir trouvé de rares amis. J’épluche assidûment et avidement les catalogues des libraires que je redistribue autour de moi. Certains professionnels font un travail extraordinaire, Jean-Marc Dechaud par exemple. Depuis peu j’achète un petit peu sur e-bay, de petits ouvrages et de la documentation. Je m’y méfie des descriptions, des ouvrages non collationnés et des attributions de provenances hâtives. Certains livres de ma bibliothèque proviennent de la collection d’un ami, mon aîné en bibliophilie et dans mon métier et mon tuteur dans notre société d’histoire locale. Il tenait lui-même ses livres d’un illustre prédécesseur local aux mêmes occupations. Eusèbe Pamphile évêque de Césaréé traduction Claude de SEYSSEL, Histoire ecclésiastique translatée de Latin en Fra(n)çois… imprimé à Paris Maistre Geofroy Tory de Bourges, Marchant Libraire et Imprimeur du Roy , 21 octobre 1532, in 4 E.O. de la traduction de Seyssel. Que le récent imprimeur du roi publie une traduction en français n’était pas innocent, et répondait à la politique de francisation ménée par François Ier. Notez le toret perçant le pot cassé, urne funéraire, qui symboliserait le cœur percé de l’imprimeur à la mort de sa fille dont l’âme s’envole.
A ceci s’ajoute ma fréquentation des collections publiques où évidement je n’achète rien mais où j’apprends et je découvre beaucoup, mais les bibliophiles s’y font rares!
Jean Chaumeau, Histoire de Berry… Lyon, Antoine Gryphius 1566, petit in-folio, vue dépliante de la ville de Bourges.Quels sont vos domaines de prédilection, ou votre approche est-elle éclectique et vous fonctionnez au coup de coeur?

Aujourd’hui ma collection concerne surtout le Berry historique et la petite ville où j’ai élu domicile. J’ai autrefois beaucoup recherché les E.O. sur grands papiers de Maurice Genevoix que j’ai parfois enrichies de lettres autographes. C’était une collection abordable pour un étudiant. Avec Genevoix j’ai rencontré le plaisir d’une langue maîtrisée et des thèmes chers, la Sologne d’une part, la Meuse et 1914 d’autre part qui me rappelaient mon grand-père. J’ai aussi une passion pour l’histoire, et les chroniques du seizième siècle si bien imprimées et parfois illustrées de bois gravés. Je cherche aussi les occasionnels des guerres de religion qui concernent le Berry. Mais ce genre d’imprimé se fait de plus en plus coûteux depuis quelques temps. Enfin je suis bibliopégimane. Par dessus tout, j’adore les relieurs du XIXe et je confesse des achats seulement motivés par la reliure. Mais une belle page de titre bien composée me séduira toujours. J’essaie de concilier tout cela et de rester cohérent et je n’aime pas les livres en mauvais état ou “à problème” comme dit Hugues. En un mot, je deviens difficile et ça m’inquiète. J’essaie de me concentrer sur les éditions du XVIe, les impressions régionales, les auteurs rares et les témoignages manuscrits.
Antoine Leconte, Tractatus de diversis morae generibus…. Bourges, Guillaume Lauverjat 1587.
L’auteur né à Noyon en 1517 environ, vient à Bourges en 1557. il y exerce le droit canon en 1558, puis le droit civil. Professeur de de Thou, recteur en 1576, il meurt en 1586. Son portrait gravé est signé des initiales G. L. pour Germain Lauverjat, libraire maillon d’une dynastie sur Bourges. L’imprimeur qui ne signe pas est Nicolas Levez dont on reconnaît le matériel typographique.
Quant à ma bibliothèque elle est installée dans une petite pièce transformée en cabinet, protégée du soleil (et de la lune!). Les livres n’y ont pas assez de place et ils subissent un déclassement régulier pour rejoindre la bibliothèque générale familiale, en libre accès!
Reliure estampée à froid sur une impression de Guillaume LeRouge de 1512Quel est le ou les livres qui vous font rêver? Et les livres que vous possédez déjà et qui vous sont particulièrement chers?

Une quête impossible ? Mon Graal ? En voici trois improbables : une édition originale du XVIe dans une reliure mosaïquée à la cire ou de Pietro Duodo, le bréviaire perdu de Saint-Satur, qui serait alors le premier livre imprimé à Bourges en 1523, relié par Bozérian si possible, le Champfleury de Geofroy Tory, dans une reliure de son atelier au pot cassé à un prix raisonnable. (J’en ai vu un une fois, je n’ai pas pu m’aligner!). Mais il y a une autre réponse à cette question. Beaucoup d’expositions de livres m’ont fait rêver ces dernières années. Chantilly d’abord et encore Chantilly (merci au duc d’Aumale et à Emmanuelle Toulet conservateur) et la Bnf, mais aussi les bibliothèques de Valenciennes, d’Arras, de Saint-Omer, l’exposition des manuscrits de Saint-Benoît à Orléans, les manuscrits du Mont-Saint-Michel à Avranches, et aussi le Salon International du Livre Ancien.
Quelques uns de mes livres illustrent cet article.
Bois gravé sur: Gilles Nicole, « les très elegantes et copieuses annales …des belliqueuses Gaulles », Paris 1541.Vous savez que les lecteurs du blog aiment les histoires, auriez-vous une anecdote à nous raconter, sur une trouvaille, un livre, autre chose qui touche à la bibliophilie?

Voici quelques années je repère sur le catalogue d’une célèbre librairie parisienne un livre du XVIe où je savais trouver le récit du siège d’une petite ville en Berry, Aubigny-sur-Nère autrefois tenue par les Stuart. Le libraire au téléphone me déclare embarrassé que ce livre, “celui-ci justement” est vendu. J’insiste pour en savoir plus sur son hésitation et je finis par apprendre que la Britsh Library l’a réservé (les Stuart je pense) … dommage. Deux ou trois mois plus tard en plein mois d’août, un message sur mon répondeur me proposait de passer prendre le livre après carence de l’acheteur précédent. J’avais bénéficié de la lenteur des institutions et d’un libraire à l’organisation et la mémoire structurée!
Alain Chartier, (ou Le Bouvier Gilles dit “Héraut Berry” ), L’Histoire mémorable des troubles de ce royaume sous le roi Charles VII…Nevers, Pierre Roussin, 1594, (2)- 206 ff. (mal chiffrés 204), Seconde édition produite par le prototypographe de Nevers, l’E.O. était parue en 1528 chez François Regnault à Paris. Sur la page de titre figurent les armes du duc de Nevers, Louis de Gonzagues. Gilles le Bouvier (1386-1454) originaire du Berry fut choisi en 1420 par le Dauphin pour être son héraut, il est l’un des premiers à faire état du rôle de Jeanne d’ArcEnfin, vous êtes un visteur fidèle du blog… qu’en attendez-vous?

De pouvoir y cultiver ma passion, et de m’immerger dans le livre. Apprendre des autres, bibliophiles, libraires et bibliothécaires, donner et échanger quelques fois des informations. Vivre une passion un peu moins solitaire… Longue vie au Blog!
Jean Mercier (professeur de droit à Bourges, la génération qui précède le possesseur du Labbe),édité par la veuve et les héritiers de Jean Lauverjat libraire à Bourges.
Gilles/Lauverjat

P.S. Et le nouveau “fléty” du XVIe au XIXe, ouvrage collectif du Blog des Bibliophiles, on le fait? Merci Gilles!Pour faire plaisir à Hugues, une reliure XXe de Georges Cretté.

H

79 Commentaires

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  2. « En un mot, je deviens difficile et ça m’inquiète ».

    Cette spirale qui aspire vers le haut (toujours mieux, toujours plus beau, toujours plus précieux) a au moins l’avantage que l’on ne se laisse plus envahir facilement.

    L’inconvénient est que chaque nouveau livre entrant devient le nouveau référentiel de la bibliothèque. Il est cruel pour les rides des plus anciens du temps où l’on n’était pas si difficile et parfois freine des intentions d’achat de livres honnêtes mais qui n’ont pas le standard du dernier entré. Je vous comprends.

    La vie est bien dure, allez.

  3. Merci pour ce beau portrait. Cette passion ne s’émousse pas avec l’age, comme beaucoup d’autres. Les journées sont trop courtes pour un bibliophile, même retraité. L’avenir est devant vous, les « actifs ».

  4. Bonjour,

    En lisant ce très beau portrait d’un bibliophile éclairé, je pensais à Pilou qui se désolait de sa bourse plate… et à la belle leçon de morale présentée par Hugues. L’argent ne fait pas tout et la connaissance a plus de valeur que la possession. (soupirs)
    Et puis je me suis dit que, lorsqu’on avait la chance comme Frédérick et Lauverjat (joli nom de plume !) d’avoir à la fois les deux, la vie devait être bien intéressante…

    Mais, chers amis je vous le demande (effet de manche), qui pense jamais aux bibliomanes dépourvus de savoir ? Qui se lamente sur leur triste sort et sur leurs étagères courbées par le poids des marocains ? (on est analphabète ou on ne l’est pas…). Un peu de compassion, que diable ! Et ayons une pensée émue pour ceux qui lisent ce blog avec respect et admiration et qui, ne l’oubliez pas, sont quand même des acheteurs.

    Cordialement et à la façon de JM Ribes. Pierre

  5. Encore un beau portrait de bibliophile !

    Autant de bibliophiles que de manières d’aborder la bibliophilie.

    Cela montre bien à quel point cette passion est intarissable et faites de tant de surprises, de méandres et de détours, qu’il est impossible que cette passion ne lasse.

    Toute une vie même ne suffira pas à chacun de nous ici pour savoir, connaître, comprendre, aimer, tout qu’il a de désirable dans cette folie papetière.

    L’homme y voit toutes ses limites.

    Amitiés noctambules, Bertrand (bon, j’vous laisse, j’ai encore du boulot pour cette nuit…)

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