Connaissance de la reliure: de l’identification des cuirs utilisés en reliure

Amis bibliophiles Bonsoir,

Je vous propose de poursuivre notre route sur le chemin de la reliure avec aujourd’hui un article sur l’identification des cuirs utilisés en reliure. Merci à Xavier pour ces précisions, si cela vous semble compliqué, c’est normal, pour les peaux, rien ne sert plus que de les avoir eu en main une fois pour les reconnaître ensuite.

Les parties en gras et en italiques ont été ajoutées par moi, simples transitions.
Avant toute chose, il est nécessaire de maîtriser le vocabulaire spécifique de la reliure, je laisse la parole à Xavier :

Côté chair : Face intérieure de la peau qui adhérait à la chair de l’animal. Côté opposé à la fleur

Côté fleur : Face extérieure de la peau qui portait le poil de l’animal. Sur cette face se situent les follicules aidant à l’identification des peaux. On utilise également le terme « côté poil. »

Follicule : Petite formation arrondie au sein d’un tissu, d’un organe, délimitant une cavité ou une substance particulière

Tan : Ecorce de chêne pulvérisée utilisée pour la préparation des cuirs

Sumac : Mot Français d’origine Arabe, arbuste aux nombreuses variétés; sumac des teinturiers, des corroyeurs, vénéneux, radicant, vernis du Japon (fournissant une gomme-résine utilisée pour les vernis, la tannerie, etc.)

Noix de galle : Excroissance riche en tanin de la galle du chêne, utilisée pour la fabrication de teintures et d’encres.

Tannage : est l’opération qui consiste à transformer la peau en cuir grâce à des tanins, substances de différentes natures (végétale, minérale comme les sels de chrome, organique) qui permettent de passer d’une peau putrescible, sensible à l’eau chaude et très hydratée à une matière imputrescible, résistante à l’eau chaude et peu hydratée. La transformation des peaux se fait par les tanneurs quand il s’agit de vachette, de veau, de croco ou d’autruche… et par les mégissiers pour la chèvre et le mouton.

Galuchat : nom de l’inventeur, décédé en 1774, obtenu après traitement de la peau de certains poissons sélaciens (squales, raie)

Alun : Sulfate double de potassium et d’aluminium hydraté, utilisé en teinture, mégisserie, médecine (astringent et caustique). L’alun est tiré en partie de l’alunite

Comme pour les papiers, il y a une hiérarchie entre les cuirs , dont voici les principaux:

1 – Le maroquin
Un maroquin2 – Le veau blond
3 – Le veau granité
4 – Le veau de couleur (violet, bleu)
5 – La basane
6 – Le cuir de Russie
7 – Le galuchat

Le mouton est communément appelé Basane. A l’ origine ce terme désignait seulement le mouton tanné au tan (écorce de chêne). Aujourd’hui tannées au sumac ou à la noix de galle. Sa fleur est unie, mais on y décèle des pores visibles et espacés; c’est une peau peu solide, à chair lâche, pour reliures ordinaires; elle a diverses présentations :
Mouton mat, de teinte uniforme
Un chagrinMouton bigarré, raciné, moucheté, suivant l’aspect du coloriage.
Mouton chagriné et maroquiné, avec grainage artificiel à l’imitation de la chèvre (convient surtout à la reliure industrielle).
Mouton (Basane)Peau sciée, s’obtient par le dédoublage en deux, trois ou quatre d’une peau pleine, en général de mouton. Le côté fleur est plus solide. Elle sert particulièrement aux pièces de titre, et, pour cet usage, est striée en largeur. Le côté chair, teint, en vert, s’utilise pour les coiffes de registre.
Agneau-velours, préparé pour être utilisée côté chair, en « daim »
Agneau-veloursLa chèvre a une fleur à grains et une chair serrée beaucoup plus résistante que celle du mouton, elle convient au travail de qualité; suivant les espèces, son grain peut-être rond, carré, du Levant, ou long après un traitement particulier.
Les peaux sont différentes :
Chagrin, chèvre de nos pays, la plus commune, à grains assez petits.
Chèvre Madras, d’origine exotique (Inde), très appréciée pour son petit grain régulier et serré. Se polit très bien.
Maroquin, a très gros grain, peau épaisse provenant d’animaux de grande taille. Importé naguère du Cap (Afrique du Sud) ou du Levant, il est réservé à la reliure de luxe; plus tard un maroquin à grain long d’origine anglaise, plus mince et plus facile à traiter tout en conservant une grande qualité aura tendance à le supplanter.
Maroquin à gros grainChèvre à grain long, (en chagrin ou maroquin aminci, passé au laminoir et présentant un grain allongé artificiel) réservé à la reliure de luxe.
Chevreau, plus fine que le Maroquin et à grains peu marqués. Elle convient à des plats auxquels on veut donner une certaine souplesse.
Oasis, chèvre du Niger à grains irréguliers, à l’épiderme élastique.

Le veau.
Peau solide, à fleur très lisse et mate, légèrement satinée, souvent veinée; On peut la rendre polie et brillante, beaucoup plus fine que celle du mouton; Elle sert aux reliures de qualités et est assez délicate à travailler. Il existe plusieurs formes de veau en reliure :
Le box, peau de veau tannée au chrome (et non selon le procédé du tannage végétal pratiqué avant 1890). Le box offre une surface lisse, souple et brillante qui convient à la confection de reliure de luxe. C’est le seul cuir imperméable.
Un boxLe veau glacé, aspect lisse et luisant obtenu par pressage.
Un veau racinéLe veau granité, la surface est criblée de très petites tâches noires rapprochées. La basane et le vélin pouvaient, particulièrement, au XVIIe siècle, recevoir le même traitement.
Chagrin écraséLe veau velours : peau chamoisée, extrêmement souple, très en vogue actuellement pour doubler les reliures de luxe.
Le veau porphyre, peau à l’image du marbre de même nom, a été semée de fines tâches de diverses couleurs.
Le veau raciné, peau ornée de veinures rappelant en principe des racines, mais ressemblant plus souvent à des planches de bois sciées dans le sens des fibres. La marbrure est obtenue selon différentes recettes utilisant des teintures et des produits chimiques souvent corrosifs.


Un veau estampé à froidLe veau jaspé, a l’apparence du jaspe qui est une pierre colorée en brun, rouge ou vert.
Un veau jaspéLe Parchemin.
Il provient ordinairement du mouton (de chèvre ou de veau). L’origine du mot est « Pergame », ville d’Asie mineure renommée dans l’antiquité pour la préparation spéciale des peaux destinées à l’écriture. Il a un aspect blanc et translucide. On l’a utilisé à toutes les époques pour recouvrir les livres.
Côté chair il ressemble à du papier, côté fleur on distingue les pores et des veines de la peau. Pour la reliure on préfère les plus minces. Se méfier des peaux plastifiées dans lesquelles sont imprimés de faux grain.
Mais le parchemin n’est pas à proprement dit un cuir, puisqu’aucune espèce de tannage ne fait partie de sa préparation. On appelle ainsi toute peau qui a été simplement nettoyée, épilée, débarrassée des parties inutiles, enfin étendue, égalisée et desséchée.

Le Vélin.
Il se présente comme un parchemin de belle qualité. Le vélin provient du veau (très jeune, ou mort-né) ou de la chèvre. Dans le parchemin et le vélin, le coté chair est plus lisse que le coté fleur; ce dernier plus dégraissé, se prête mieux à la décoration (peinture, enluminure, dorure ou mosaïque).
Un vélinLe vélin souple, répandu au XVII et XVIIIe siècle en Europe occidentale et particulièrement en Italie. La peau de vélin n’était pas collée sur carton, elle était fixée au dos et seulement doublée de papier sur les plats.

La peau de truie.
Peau de porc, elle n’est pas tannée par les moyens ordinaires qui la fragiliseraient, mais préparée à l’alun, substance qui lui conserve sa résistance naturelle. Elle offre une surface raboteuse et inégale, très élastique, on peut l’utiliser côté chair en « daim ».
Elle ne met pas la dorure en valeur; en revanche elle s’accommode très bien des frappes de motifs ou de plaques à froid.
Les pays de culture germanique l’ont privilégiée, particulièrement au XV et XVIe siècle pour les reliures monastiques.

Le cuir de Russie.
Le cuir de Russie se prépare avec de la peau de cheval, de veau et de chèvre. Pour la reliure, on emploie seulement les veaux minces et les chèvres. Pour matière tannante, on fait usage d’écorce de saule, de pin ou de bouleau, ou d’un mélange de ces trois écorces qui l’immunise contre les moisissures et les insectes. Quant à l’odeur qui le caractérise, on la lui communique en l’imprégnant, du côté de la chair, d’une huile empyreumatique provenant de la distillation de l’écorce de bouleau. Cette huile, qu’on appelle vulgairement huile de Russie, doit elle-même sa propriété aromatique à un principe particulier qui à reçu le nom de bétuline.
Enfin, la couleur roussâtre se donne avec une décoction de santal rouge et de bois de Brésil dans l’eau de chaux. Depuis plusieurs années, on imite à Paris, à Vienne et à Londres, le cuir de Russie, et les imitations sont quelquefois aussi belles et aussi durables que les produits d’origine russe, dont elles ont d’ailleurs les autres propriétés (selon Roret). C’est une matière de luxe.

Le galuchat.
C’est une peau de poisson, requin ou raie qui servait au XVIIIe siècle pour les reliures d’almanachs. Il redevint à la mode en 1925.

La Peau humaine. Introuvable en peausserie…et comme il n’y à plus de bourreau… pourtant la matière première ne manque pas et court les rues!
Les plus anciens livres connus reliés en peaux humaine ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle. L’Angleterre et l’Amérique sont également riches en spécimens de cette nature, mais c’est en Grande-Bretagne que se rencontrent les plus anciens, datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La B.N possède une bible du XVIIIe (fond de la Sorbonne), des manuscrits sur peaux de femmes et une Danse de la Mort d’Holbein relié primitivement par Mr Firmin-Didot avec la peau d’un matelot tatoué d’étranges histoires d’amour et des portraits de ses officiers, les coins recouverts avec ses deux seins et les plats avec la peau de sa poitrine.
Bref, de Crauzat consacre quinze pages à ce genre de reliures.

La peau humaine est proche de celle du cochon : le pore du porc (!) est triangulaire, tandis que celui de l’humain forme un quadrilatère, un examen à l’aide d’une loupe permet de les différencier. (Hugues : cette distinction a été apportée par Christian Galantaris lors d’une vente à laquelle j’ai assisté)
Un exemplaire relié en peau humaine est passé en vente en aout 2007, lors des quatre jours de vente à Montignac (je n’ai pas le résultat pour ce lot, l’estimation était de 2500e). (Hugues : j’ai enchéri deux fois sur ce lot, la première fois où il est passé en vente à Versailles et a été remporté par un libraire parisien, pour 1500 euros, la seconde fois lorsque le libraire l’a remis en vente à Montignac, mais je n’ai plus le montant d’ajudication).
Il s’agissait d’un manuscrit in-12 de 56 ff., relié type cuir de Russie havane, dos à nerfs orné, coupe filetés, dentelle intérieure, reliure de l’époque, 56 sentences contrecollés tirées pour la plupart de Sénèque, ou de l’imitation de Jésus-Christ, une étiquette manuscrite de l’époque indique que la reliure serait en peau humaine (Hugues : ayant l’ouvrage entre les mains, je précise que les sentences étaient sur les femmes, et qu’il était précisé très exactement : « reliure en peau de femme »… l’exemplaire parfait, si on ose dire).
A relire également sur le blog : http://bibliophilie.blogspot.com/2007/06/les-reliures-en-peau-brrr-humaine.html

Le chagrin.
C’est une peau de cheval, d’âne sauvage ou de mulet. Pour matière tannante, on se sert de tan de chêne ou d’alun. Enfin, on produit le grain d’une façon assez bizarre. Après avoir ramolli la peau, on l’étend dans un châssis, puis on répand, sur le côté de la chair ; la semence dure et noire de l’Arroche sauvage (Chenopodium album des botanistes), après quoi on la piétine pour y faire bien pénétrer les graines, et l’on fait sécher. Quand la peau est devenue sèche, on la secoue pour en faire tomber les semences ; elle paraît alors criblée de petites cavités produites par la pression des semences. Plus tard, à la suite de certaines manipulations, toutes ces parties déprimées augmentent de volume et, en se soulevant, donnent naissance aux tubercules que l’on veut produire.Un chagrinUn autre chagrinLa fabrication du chagrin existe en Europe, notamment en France, depuis une cinquantaine d’années au moins, mais elle n’y a pris quelque importance qu’après 1830. Elle n’emploie, du moins pour la reliure, que des maroquins ou des moutons maroquinés.

Autre chagrinEnfin, il convient de rappeler que le veau est certainement le plus employé de tous les cuirs. Selon sa qualité, il a revêtu différentes apparences, du veau jaspé dont les tâches masquaient les imperfections au superbe veau de couleur de l’époque romantique, en passant par le veau blond, si prisé au XVIIIe siècle.

Des peaux exotiques peuvent êtres employées pour couvrir les livres : telles celle de serpent, de requin, autruche, lézard, phoque, saumon, esturgeon, buffle, caïman, perche du Nil, Julienne, …
Reliure en peau de serpentLe stockage des peaux se fait dans du papier, dans un local ni trop chaud ni…trop humide, les peaux grainées roulées côté fleur vers l’intérieur, les peaux lisses côté fleur vers l’extérieur, ou bien dans des tiroirs à plats.

Où acheter des peaux aujourd’hui? Chez des peaussiers, tanneurs, notamment Jullien (42, rue St Jacques, Paris) et Relma qui vend aussi du matériel de reliure (6, rue Danton, Paris)

Sources consultées :
Mme Wolf-Lefranc, Ch. Vermuyse (professeurs à l’école Estienne)-La reliure, J.B Baillière 1979, 3éme édition (il existe une 4éme édition)
Chistian Galantaris-Manuel de bibliophilie, partie dictionnaire, Ed. des Cendres, 1998
Henri Desmars-Histoire et commerce du livre, G.I.P.P.E, 1998
Annie Persuy et Sün Evrard-La reliure, Denoël, 1983
Et aussi, http://www.moulinduverger.com (manuel Roret en ligne)
Pour les reliures en peaux humaines : E.de Crauzat-La reliure Française de 1900 à 1925, 2 volumesMerci Xavier,H

2 Commentaires

  1. Très instructif, merci beaucoup! On pourrait ajouter que le veau ou la basane, employés dans leur couleur naturelle sont appelés veau ou basane fauve. (Manuel pratique de l'ouvrier relieur, Chanat, 1927). Bonne journée!

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