Connaissance de la reliure: les reliures en peau humaine

Amis Bibliophiles bonjour,

Cette année, j’ai eu deux fois l’occasion d’assister à une vente au cours de laquelle une reliure en peau humaine a été mise en vente. La première fois, c’était à Drouot, et le livre en question était une Danse de la Mort du 18ème, d’après Holbein (réimposée dans un volume in-4 au 19ème, de mémoire) et la seconde fois, dans une vente à Versailles, où le livre était une petite curiosité, mi curiosa, mi ouvrage pour dames, du 18ème, dans un format in-12.

Ces deux ventes m’ont amené à réfléchir sur ces reliures. Pour tout dire, lors de la première vente, je suis allé à l’exposition la veille et le matin de la vente. La première fois, je n’ai pas osé prendre le livre en main, il était d’ailleurs présenté dans une sorte de cellophane. Mais le lendemain, je l’ai pris en main. A Versailles, quelques moi plus tard, je l’ai prise en main directement.
Dans les deux cas, j’ai participé aux enchères, dans les deux cas, je n’ai pas remporté le lot (de mémoire 6000-7000 euros pour la Danse de la Mort, et 1800 euros pour le curiosa). Je collectionne les Danses de la Mort, et je suppose que c’est la raison pour laquelle j’ai finalement participé aux enchères. La seconde fois, ce fût plus pour l’objet. Je précise que je n’ai aucun goût pour les objets macabres, et que c’était plus une démarche à mi-chemin entre la bibliophilie et le cabinet de curiosité.

Finalement, j’ai effectué quelques recherches sur ce type de reliures, et je me dis aujourd’hui qu’il y a là matière, si j’ose dire, à écrire un message pour le blog.

Le 20ème siècle n’est pas loin, et si vous me lisez régulièrement, vous savez, ou vous avez compris quelle horreur m’inspire le 3ème Reich et son sinistre cortège. Ma famille en a d’ailleurs directement souffert. Je fais ce petit préambule, parce que moins de 100 ans après ce génocide atroce, il est encore dans nos mémoires et les reliures et objets en peau humaine font partie des images qui peuvent être associées aux actes impardonnables de ce régime abject. Mes lectures sur le sujet, sans fascination morbide, mais par pure curiosité bibliophilique cette fois-ci, m’ont permis de comprendre que les reliures en peau humaine ont existé bien avant 1939 et n’ont rien à voir avec le 3ème Reich.

En fait, même s’il est probable qu’elles aient existé avant, et sans doute depuis que l’homme sait tanner une peau et relier un livre, les premières reliures de ce type avérées datent du 18ème siècle, et probablement de la période de la Révolution. Et elles n’étaient pas aussi rares qu’on peut le penser. Aussi, toutes les grandes bibliothèques disposent elles de ce type de livres, qu’elles préservent le plus souvent du regard des visiteurs.

En réalité, n’en déplaise à Lovecraft qui évoque ce type de reliure pour son Necronomicon et autres ouvrages occultes, ce sont principalement des ouvrages de médecine ou des Danses de la Mort qui ont bénéficié de ce type de reliures. Ce fait mériterait d’être vérifié (Philippe, c’est vous l’historien), mais il semblerait qu’une tannerie spécialisée dans ce type de peau ait existé à Meudon sous la Terreur (sous toutes réserves)… Ce qui est certain en revanche, c’est qu’un des livres les plus connus avec ce type de reliure est un exemplaire de la Constitution de 1793. Cet exemplaire, qui a eu plusieurs possesseurs, dont le marquis de Turgot et Villenave, a été acheté en 1889 par la bibliothèque Carnavalet.

C’est au 19ème siècle semble-t-il qu’on relié le plus « fréquemment » des livres avec de la peau humaine… Je précise que la peau était prélevée sur des cadavres, généralement eux-mêmes confiés aux Facultés de Médecine. Dans l’exemplaire qui fût mis en vente à Drouot, il était précisé des conditions dans lesquelles la peau avait été prélevée, sur un corps « à l’étude », à la Faculté (il y avait même le nom de la personne).

C’est sans doute pour cela que les livres reliés en peau humaine appartinrent le plus souvent à des médecins (sans doute « immunisés ») et recouvrirent le plus souvent des ouvrages de médecine. On connaît ainsi un Vesalius relié en peau humaine, conservé dans une bibliothèque américaine (… c’est un in-folio… je vous laisse imagine la surface… Bon ok, un peu d’humour, ça détend l’atmosphère, non?). En dehors de ces livres d’anatomie, et encore plus souvent de dermatologie, le 19ème siècle verra quelques amateurs confier des Danses macabres à des relieurs pour qu’ils les relient ainsi. L’approche est alors plus ironique.

Quelques livres cependant ont une histoire particulière : ainsi les confessions de George Walton (Narrative of the Life of James Allen alais George Walton), dont l’auteur exigea qu’un exemplaire fût relié avec son épiderme après sa mort. Cet exemplaire porte d’ailleurs l’insription « HIC LIBER WALTONIS CUTE COMPACTUS EST » sur le 1er plat, ce qui signifie, ce livre a été écrit par Robert Walton et relié dans sa propre peau.On connaît également l’histoire du livre ayant appartenu à l’astronome français Camille Flammarion (conservé à la bibliothèque de l’observatoire de Juvisy), relié en peau humaine, et qui aurait été relié avec la peau d’une connaissance de Flammarion, après le décès de celle-ci. Si l’exemplaire est bien réel, diverses versions existent sur la provenance de la peau.
D’autres exemples : La bibliothèque de Cleveland possède un Coran, relié avec la peau d’un croyant, à sa demande, après sa mort. On connaît aussi une traduction des Georgiques de Jacques Delille, reliée avec un morceau de sa peau, qui aurait été volé sur son corps après son décès. Enfin, la bibliothèque de Harvard possède un exemplaire de la Danse des Morts de 1816, qui fût reliée en peau humaine par le grand relieur londonien Joseph Zaehnsdorf en 1893. Pour la petite histoire, Zaehnsdorf envoya un courrier à son client pour lui dire qu’il n’avait pas assez de matériau et qu’il allait donc devoir répartir la peau.

Pour tout vous dire, pour avoir eu deux exemplaires entre les mains, il est difficile de faire la différence avec un vélin, c’est peut-être plus sombre, mais je pense que c’est lié à la méthode utilisée. Le toucher… et bien… aisé à imaginer. C’est la sensation qui est étrange. D’ailleurs, les bibliothèques précisent en général que ces reliures sont de grande qualité et ne nécessitent aucun entretien particulier.

Ce message ne traite bien entendu que des reliures réalisées ainsi avant le début du 20ème siècle, l’évolution des moeurs ayant fait disparaître cette pratique par la suite. Je m’abstiendrai de juger, je pense qu’il faut considérer cela comme une curiosité (comme les têtes Jivaro, les reliques, etc.). On peut simplement émettre une réserve sur le fait que les personnes décédées n’avaient pas toujours donné leur accord pour ce type de prélèvement en confiant leur corps à la science (quand ce fût le cas). Pour les autres, qui furent volontaires et organisèrent le prélèvement sur leur propre peau après leur trépas… finalement, ils ne firent de mal à personne.

Nulle fascination, mais de la curiosité, qui n’est pas morbide, je le rappelle. Pour vous le prouver, je prépare un message sur les reliures en porcelaine, comme quoi!

Je rappelle que si vous avez envie d’ajouter des images de reliures dans l’expo virtuelle que je vais faire sur le blog, vous pouvez m’envoyer des images. Elles seront bienvenues.

H

Images : des reliures en peau humaine, justement.

11 Commentaires

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  3. Pour les curiosa, faire comme Henkey : de la peau prélevée sur une jeune fille vivante !(dixit les Goncourt)

    Voir les nombreux compmentaire au même message publié sur un autre blog de bibliomanes….

    Info : le sein sur la couverture du catalogue surréaliste c'est de la mousse pas de la vraie peau…

  4. Article intéressant! J'ai moi aussi eu l'occasion d'avoir une reliure en peau humaine entre les mains (un recueil de poèmes) et pour l'anecdote, visuellement et au toucher elle se rapproche fortement de la peau de cochon! Par contre ce n'est pas une peau de qualité pour les reliures (bien que suivant la partie utilisé cela diffère un peu). J'imagine que si tel avait été le cas il existerait bien plus de reliures en peau humaine.

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