Amis Bibliophiles bonsoir,
Voici la page du blog qui a été la plus lue ce mois-ci. J’avoue que je l’avais complètement oubliée.
« Bibliophiles comme amis libraires (même les meilleurs amis), nous nous trouvons tous un jour dans la situation de vendre un livre et donc de le décrire. Pour vous aider face cette situation délicate, qui est loin d’être évidente, je vous propose de suivre les conseils suivants. Ils sont inspirés de ma longue pratique en tant que lecteur de notices proposées par de nombreux vendeurs, « professionnels emphatiques » ou amateurs, et de la lecture de « A Course in Correct Cataloguing, or Notes to the Neophyte; and A Second Course in Correct Cataloguing, Compiled and arranged by David Magee (1905-77) », que m’a indiqué l’ami Martin, et que j’ai augmenté et adapté.
A prendre bien sûr avec humour et ironie, même si c’est très souvent justifié et vérifiable!
Attribuable à : si votre maroquin n’est pas signé, pas de panique cela ne peut qu’être lié à l’oubli d’un apprenti dans un atelier renommé. A ne pas oublier, si la reliure est ancienne, ne pas hésiter à l’attribuer à Boyet ou à Le Gascon, si elle est 19ème, elle est forcément de Capé, Duru ou Trautz.
Bibliographies : utiles et toujours impressionnantes dans une description, elles sont souvent très profitables. Si elles ne vous profitent pas, ne pas hésiter à dénigrer les bibliographes, qui se trompent souvent ! Si votre édition est inconnue des bibliographies, c’est le jackpot.
Absent des bibliographies : « pas dans Dorbon, Brunet ou Caillet » est une affirmation qui rend votre livre rare et qui sous-entend qui vous avez de vastes références bibliographiques. Ou google à la maison.
Cachets de Bibliothèque: toujours discrets, surtout si vous avez essayé de les effacer.
Coloriés à la main : les illustrations coloriées à la main sont toujours « exquises » et « délicates ».
Craquant : adjectif charmant qui s’utilise en général pour les feuilles de laitue.
Défauts : ils sont toujours « minimes » ou « d‘usage » voire « habituels ». Ils sont bien sûr liés aux outrages du temps, mais jamais aux rats, souris, enfants indélicats ou abrutis patentés.
Dorure : elle est toujours « exquise » et très « fine ».
Dos : pour un livre 18ème il est toujours « richement orné ».
Dubuisson : cf « attribuable à », toute reliure à plaque du 18ème est de Dubuisson… ou presque.
Dürer : toutes les gravures non signées du 16ème siècle peuvent lui être attribuées. Il peut être pertinent de vérifier que votre ouvrage est paru à peu près pendant sa vie.
Premier tirage : si votre copie possède un élément qui tend à montrer qu’elle est de premier tirage, soulignez-le avec force. Et n’oubliez pas de doubler le prix.
Edition Originale : à utiliser sans modération, ne jamais oublier qu’une édition revue, augmentée et/ou corrigée peut aisément être qualifiée d’originale. Ou presque. Et n’oubliez pas de doubler le prix.
Edition (troisième et suivante) : plus difficiles à vendre. Mais vous pouvez sans doute découvrir une préface inédite de trois lignes ou quelques corrections qui vous permettront un efficace « troisième (et meilleure) édition ».
Epave : on préférera « exemplaire de travail ».
Exemplaire/Seul exemplaire connu : n’oubliez pas d’ajouter « excessivement rare », les gens sont tellement stupides.
Exemplaire de travail : tout livre qui est déchiré, sans reliure, roussi, brûlé, dévoré par les vers ou les rats, etc.
Faux-titres : très important si votre exemplaire en possède.
Frotté : doit toujours être accompagné de « légèrement ». Vous pouvez même ajouter « signes de l’amour que lui porta son ancien propriétaire ».
Illustrations : toujours « superbes », « célèbres » ou au moins « curieuses ».
Jamais ouvert/à l’état de neuf : indique en général un livre que personne n’a jamais eu envie d’ouvrir. N’oubliez pas de doubler le prix.
Noms manuscrits sur les faux-titres ou la page de titre : ce petit défaut peut être aisément changé en qualité en consultant google ou un dictionnaire biographique. Ainsi un « Bougremont » maladroitement calligraphié vous conduira à : de Bougremont, Jean (1649 – 1720) : écuyer du Connétable de Bourgogne et seigneur de Bougremont, célèbre pour sa collection de hiboux empaillés. A vous de rédiger votre notice : « charmant ouvrage ayant sans doute appartenu à Jean de Bougremont, célèbre aristocrate du 17ème siècle, ornithologue et grand cavalier. Rare provenance ».
Octavo : un format pratique quand vous n’êtes pas très sûr de vous.
Provenance : un élément clef. Il est toujours plaisant (et souvent profitable) de cataloguer un exemplaire La Bédoyère – Hoe – Adams, mais si votre ouvrage contient l’ex-libris d’un illustre inconnu comme le marquis de Bougremont, alors vous devez simplement écrire « exemplaire Bougremont ». Certaines personnes trouveront cela étrange mais vous serez surpris de voir combien cela fonctionne.
Rare : s’applique pour tout livre que vous croisez de temps en temps. Et n’oubliez pas de doubler le prix.
Recherché : s’applique pour tout livre rare. Et n’oubliez pas de tripler le prix.
Restauration : toujours « habile » et « ancienne »
Rousseurs : toujours « légères », voire « minimes ».
Tranches peintes : elles sont toujours « superbes » et « exquises », même si c’est votre arrière grande tante Simone qui les a peintes un dimanche pluvieux.
Trou de ver : toujours « minuscules ». Toujours dans les marges. Il est communément admis que les vers n’aiment ni la lecture, ni l’encre.
Unique : un mot dangereux, mais qui sonne bien.
A vous de jouer! »
H
J'ai rencontré des collections de pages de titre et des collections de vignettes d'imprimeurs, il y a eu des périodes où des livres recherchés aujourd'hui ne l'étaient pas.(pendant la Révolution par exemple). A cette même période la destruction hargneuse des armoiries a pu être fatale à quelques pages de titre.(je possède un bréviaire où les armes imprimées de l'évêque ont été brûlées sur le titre). Page de titre qui subit d'ailleurs en premier tous les outrages faits au livre.
Lauverjat
Dans 99 % des cas, livre sans page de titre = livre volé (cachet de bibliothèque ineffaçable).
De toutes façons, un livre sans page de titre peut être un ouvrage de bibliothèque de travail, mais pas de bibliophile.
Comment se peut-il qu'il y ait autant de livres sans page de titre? Y a t-il beaucoup de personnes qui les déchirent pour les mettre dans des cadres en verre en guise de décoration pour leurs murs?
Une autre explication?
Et ça, c'est pas mal non plus, pour un incomplet : "page de titre absente.Bon exemplaire néanmoins."
Lu ce matin :
"…Paris, s.d., ….Demi-basane… (reliure de l'époque)." Même si le titre est évocateur d'une période historique, voici une précision nécessaire et jubilatoire.
Lauverjat
Bravo pour ce joyeux travail. Je me sens en fraternité d'esprit avec vous.
Je reviens, avec une anecdote, toutefois sur l'une de vos explications :
Trou de ver : toujours "minuscules". Toujours dans les marges. Il est communément admis que les vers n’aiment ni la lecture, ni l’encre.
Le trou de ver étant adapté au diamètre de l'individu, je ne reviens pas sur le qualificatif. Il est effectivement "minuscule" à l'échelle du diamètre moyen d'un humain normalement constitué (il serait "énorme" à celle d'un microbe voire d'un virus).
L'anecdote se passe, voici quelques lustres, chez un poète de Basse-Normandie où j'étais invité pour la soirée. Un livre de la bibliothèque de notre hôte est sorti et feuilleté. Un 17e ou un 18e siècle en veau, reliure quelconque et fort abîmée cachant un ouvrage dont je ne me souviens pas du titre. Son intérêt ? Les trous de vers. Ou plus exactement d'un ver. Un ver lecteur car le trou, au beau milieu du texte, commence dès les premières pages et s'enfonce hardiment de page en page. Et puis, et puis, progressivement s'arrête, au beau milieu de la lecture. Que dire de cela. Que les vers sont plus inconstants ou moins attentifs à la lecture que leurs frères humains ? Probablement, certes, mais ce soir là, l'assemblée des humains qui faisaient cercle autour de l'ouvrage trouva une explication plus "satisfaisante". Notre ver ayant dévoré trop de mots, et trop de l'encre d'imprimerie qui les composait, s'était vu mourir, empoisonné par l'encre.
Ce ver n'avait certainement pas écouté ses aînés qui n'avaient pas manqué de le prévenir d'un tel danger. Nos vers contemporains, plus obéissants, savent se contenter des marges pour éviter un tel danger et se nourrir impunément de fibres de cellulose qui vont les faire devenir gros et gras.
Lu ce matin dans une description : coiffes envolées. Plus poétique que manquantes ou arrachées.
René de BlC
Ou pourquoi pas sous une couv. de papier dominoté éditeur inconnue, cahiers intérieurs sur Chine, avec un graffiti d'Isidarre Ducosse sur le premier plat ? Et la bonne date bien sûr, pas cet affreux 1874… 😉 Je rêve, ne vous moquez pas SVP.
@ Olivier : tu as raison… Mais j'ai répondu spontanément en souhaitant promouvoir la terminologie idoine, celle qui sied à ces lieux, c'est tout 😉 tu as raison ! Petit à petit, je me galantarise (et quand tous les petits pots de beurre se galantariseront, je me dégalantariserai… etc 😉
A bientôt !
Ps : @martin et @Olivier : +1, comme disent les jeunes. Mon rêve, après en avoir vécu un du même ordre (Adolphe, de Constant), c'est de trouver l'E.O. des Chants de Maldoror sous "couverture d'attente", c'est à dire originale !
Je suis d'accord Martin.
Olivier
"Tel que paru = jamais relié"
Exact. Et alors?
Rien de plus désirable.
Benoit,
C'est prêter à Annaud un état (une qualité?) de bibliophile dont je ne sais rien. Et pour tout dire, au moment où apparait cette délicatesse dans le film, je parlerais plutôt de faux-titre, d'épitre dédicatoire, de dédicace, pas d'incipit.
L'entame est générique elle va du boucher au cinéaste.
Pour ajouter au glossaire :
"Très pur = très simple reliure"
"Tel que paru = jamais relié"
Olivier
ce message s'adresse aux lecteurs de catalogues, pas aux rédacteurs, qui visiblement connaissent bien cette façon optimiste de présenter les choses.
Quand on a une description neutre, alors il faut s'attendre au pire : le rédacteur n'a rien trouvé à mettre en avant ! le livre doit vraiment être lamentable.
Très cher, si on est bibliophile jusqu'au bout des ongles, on dit "réalisateur qui indique à l'incipit qu'il s'agit d'un palimpseste" 😉
Moi je ne suis pas étonné…
La double lecture du paratexte biblio/graphique/philique/commerçant est un des plaisirs (impossibles à partager) du bibliophile.
A vrai dire le simple fait de lire (avec plaisir) des catalogues me semble réserver aux bibliophiles.
C'est un jeu (un peu vain?) mais qui me semble faire partie du folklore (?)
Et puis si les mots ne voulaient dire que ce qu'ils veulent dire, ou s'ils ne voulaient dire qu'une seule et même chose pourquoi collectionner les livres…
Olivier (en même temps qu'il regarde une énième fois Le nom de la Rose [mais remarque pour la première fois l'élégance du réalisateur qui indique à l'entame qu'il s'agit d'un palimpseste du roman de Eco])