Par Gabriel Varennes, courtier en livres rares.
Amis bibliophiles bonjour,
Vous avez tous lu la nouvelle, je pense, ces manchettes qui s’enflamment pour un miracle bibliophilique : « Considéré comme perdu, un rarissime manuscrit refait surface » (ActuaLitté, 19 septembre 2025).

La presse a parlé d’un grenier français, d’un hasard heureux, d’un trésor qui revient à la lumière. Le livre en question, Les Enseignements d’Anne de France à sa fille Suzanne de Bourbon, n’est pas seulement un joyau pour historiens : c’est une pièce de pouvoir, un objet qui n’aurait jamais dû disparaître.
La vérité est plus sombre. Rien ne refait surface tout seul. Ce qui respire encore, il faut parfois l’arracher à la glace et au silence….
… La Neva ressemblait à une cicatrice de glace, figée entre deux rives grises. J’avais froid jusqu’aux os, malgré le manteau que Corso m’avait forcé à acheter au marché de Sadovaya. Un de ces manteaux soviétiques, lourds comme des cercueils et qui sentent la naphtalène. On avait atterri la veille à Pulkovo sous un ciel bas, et déjà je regrettais l’air vicié de Paris. Ici, même la vodka avait un goût de métal.
Corso marchait deux pas derrière moi, les épaules rentrées, son éternel sourire en coin vissé au visage. Il avait cette allure d’homme qu’aucune température ne surprend, comme s’il portait en lui un hiver permanent.
— Tu sais pourquoi j’ai accepté de venir ? demanda-t-il.
— Parce que tu n’as rien de mieux à faire.
— Exactement. Et parce qu’un manuscrit qui refait surface à Saint-Pétersbourg, c’est plus excitant qu’un grimoire de cabale imprimé à Bâle.
Je n’ai pas répondu. La vérité, c’est que j’avais moi-même hésité. Les rumeurs circulaient depuis des mois : un volume rescapé des ventes soviétiques des années trente, oublié dans une caisse au sous-sol d’une datcha, venait de réapparaître. Mais on n’avait pas parlé de n’importe quel volume. Le nom d’Anne de France avait glissé de bouche en bouche, comme un mot de passe. Et moi, je savais que ce genre de bruit n’arrivait jamais par hasard.
On nous avait conduits hors de la ville, vers un ancien domaine au bord de la Neva gelée. La route était mauvaise, pleine de nids-de-poule, et notre chauffeur, un type qui ne parlait que par grognements, conduisait comme s’il fuyait la police. Les bouleaux se dressaient de part et d’autre, silhouettes noires sur la neige sale.
La datcha, quand on y arriva, ressemblait à un vieil ours endormi : murs de bois sombre, fenêtres opaques, cheminée qui fume à peine. Un vieil homme nous attendait, manteau militaire usé, regard glacé. Il nous fit entrer sans un mot.
L’intérieur sentait la poussière, la cire et le charbon humide. Une grande pièce, avec une table encombrée de piles de livres en russe, tous reliés de toile fatiguée. Rien qui vaille plus que quelques roubles. Mais dans un coin, une caisse, massive, barrée d’un sceau effacé.
Le vieil homme l’ouvrit. Dedans, sous des papiers journaux de 1932, reposait le manuscrit.
J’ai reconnu tout de suite la reliure : veau brun, dorures fines, initiales à demi effacées, mais encore visibles. Les armes des Bourbons, stylisées. L’objet semblait respirer malgré la pénombre.
— Cent douze feuillets, dis-je, comme pour moi-même.
— Vingt miniatures, dont trois pleines pages, ajouta Corso d’une voix basse.
Il avait toujours ce talent pour réciter les détails comme s’il les inventait sur place, alors qu’il savait parfaitement ce qu’il avait en face de lui.
Mais ce n’était pas tout. Coincé contre la paroi de la caisse, un feuillet jauni, presque collé au bois par l’humidité. Quelques chiffres, une adresse griffonnée en cyrillique maladroit, et, en bas, deux initiales françaises : A.F.
— Un commis a laissé ça, dit Corso. Un signe, ou un hasard.
— Les hasards écrivent rarement des initiales, répondis-je.
Le vieil homme nous regardait sans comprendre. Pour lui, ce n’était qu’un livre ancien parmi d’autres, mais il savait qu’il valait de l’or.
Une autre silhouette se détacha de l’ombre, accoudée à la cheminée : Pereira. Son rire sec fit trembler la flamme.
— Je vous avais dit que je le trouverais le premier, susurra-t-il.
Puis il sortit, sans un mot de plus, comme un spectre venu uniquement pour rappeler qu’il existait.
L’homme de la datcha demanda des dollars, des liasses fraîches, empilées sur la table. Pas de virement, pas de promesse. De l’argent qu’il puisse sentir entre ses doigts.
Corso sourit, posa sa valise à portée de main.
— Vous savez que ce livre ne peut pas quitter la Russie.
Le vieil homme haussa les épaules. Il s’en moquait. L’argent parlait plus fort que la loi.
Je regardai les murs de bois, les rideaux élimés. Tout ici respirait la décrépitude, la fin d’un monde. Le manuscrit, lui, brillait d’une autre époque, d’un autre pouvoir. On aurait dit qu’il attendait depuis cinq siècles qu’on vienne le chercher.
Corso se pencha, bas, presque pour lui-même :
— On disait qu’il y avait cinq volumes. Celui-ci n’est pas seul.
— Tu crois qu’ils existent encore ?
— Je ne crois rien. Mais je sais que les livres n’aiment pas mourir isolés.
Nous avons payé. Le vieil homme referma la caisse, la poussa vers nous. Ses doigts tremblaient un peu. Pas d’émotion, juste le froid.
Sortir ce livre de Russie légalement était impossible. Les douanes le confisqueraient en un instant. Pereira avait raison sur un point : d’autres acheteurs rôdaient, et chacun savait que ce manuscrit ne devait pas franchir les frontières.
J’ai eu l’idée en observant un diplomate français, rencontré la veille lors d’une réception miteuse à l’ambassade. Un homme insignifiant, qui parlait trop et buvait encore plus. Il repartait pour Paris dans deux jours avec une valise diplomatique scellée, pleine de rapports sans intérêt.
La solution était simple, brutale : glisser le manuscrit dans sa valise, à son insu. La valise passerait sans contrôle, protégée par l’immunité. Lui ne saurait rien, nous récupérerions le colis à l’arrivée.
Corso m’a regardé, sceptique.
— Et s’il l’ouvre ?
— Il n’ouvrira pas. Ces types ne lisent jamais leurs propres dossiers.
— Давай, fit-il, en allumant une cigarette. Allons-y.
Deux jours plus tard, nous étions à l’aéroport de Pulkovo. Le diplomate avançait avec sa valise scellée, l’air empâté, convaincu de sa propre importance. Nous avions organisé la substitution la nuit précédente, profitant d’un moment d’ivresse. Le manuscrit dormait maintenant parmi des rapports insignifiants sur le commerce bilatéral.
Corso gardait une main sur sa valise de faux papiers. Moi, je regardais les vitres embuées. Dans la foule, j’ai cru revoir Pereira, silhouette voûtée, canne courte. Mais peut-être n’était-ce qu’une illusion.
L’avion décolla dans le gris.
Charles de Gaulle, l’aéroport, pas le Grand, avait cette lumière maladive des matins sans sommeil. Le diplomate avançait le menton haut, sa valise scellée au poignet comme un bracelet d’orgueil. On l’avait suivi depuis la passerelle, l’air de rien, noyés dans les familles qui retrouvaient des enfants grandis trop vite et des chiens qui n’aiment pas les aéroports.
Il y a des affaires qui se gagnent de loin, et d’autres qui se gagnent à l’épaule. Celle-ci se gagnait à la distance exacte où l’on peut sentir l’odeur de l’après-rasage bon marché et du café renversé sur une cravate. On tenait le juste recul.
L’échange
À Roissy, le diplomate, un peu empâté par les heures de vol, traîne sa valise scellée jusqu’aux toilettes, escortée seulement par son importance. Il la pose près du lavabo, le temps de rajuster sa cravate et de se passer de l’eau sur le visage.
Corso attend déjà dans une cabine, la jumelle ouverte à ses pieds. Moi, je garde la porte entrouverte et fais mine de vérifier mon téléphone.
Le diplomate s’éponge, souffle, ne regarde pas derrière lui. Dans le bruit de l’eau et des sèche-mains, Corso sort, l’air de rien, échange les deux valises d’un geste calme. L’une prend la place de l’autre, même cuir, mêmes ferrures, même poids approximatif.
Le diplomate reprend sa valise sans un regard. Il sort, persuadé de repartir avec la sienne. Nous, nous gardons l’autre. La bonne.
À la datcha, l’homme n’avait pas beaucoup parlé. Mais nous avions trouvé, au fond de la caisse, une feuille battue, presque collée au bois, avec l’humidité. En cyrillique maladroit : Gosudarstvenny Antikvariat, Leningrad, 1933. Un numéro de lot, un tampon bleu passé. L’homme avait seulement dit : « Mon grand-père emballait, pas pour lui. » Il avait tapé son doigt sur la planche. « À la fin de la semaine, il restait ça. On leur a dit de brûler. Il a mis de côté. »
Les années trente avaient été ce qu’elles sont, même pour les livres. On a vendu ce qui brille, on a oublié ce qui n’a pas de titre doré à première vue, on a pillé comme on gère une inondation : à la pelle. Un manuscrit français, reliure brune, devise étrangère, avait glissé hors de la comptabilité. Un commis l’avait sauvé par paresse, par superstition, par amour — allez savoir. Le grand-père l’avait posé au sec, puis l’avait oublié au profit de choses plus lourdes, plus chères, plus dangereuses. Les générations avaient passé. Les hivers avaient été longs. Le livre avait pris racine dans le bois. Parfois, à défaut de destin, il suffit d’une caisse.
Je repensais à tout cela maintenant que la voiture descendait vers la Seine. Corso se taisait. Il avait le silence des gens qui ne rangent pas les vérités : il les laisse dans un coin jusqu’à ce qu’elles s’empoussièrent et deviennent moins agressives.
— Tu as vu ses mains ? me demanda-t-il soudain.
— Celles du vieux ?
— Oui. Pas des mains de voleur. Des mains de larbin.
— Ce sont souvent les meilleures mains pour garder un secret.
Il hocha la tête. On mit le clignotant à Invalides, pour la forme. La pluie redoubla. On ne parlait plus du manuscrit. Il n’y avait rien à en dire. L’objet avait sa propre gravité. On le transporte comme on déplace une pierre tombale : on ne commente pas la sculpture.
On gardait un endroit pour les choses qui doivent cesser d’exister pendant un temps. Une bibliothèque privée, derrière les façades propres du septième, au troisième étage d’un immeuble qui ne sert qu’à ça : exister sans être vu. Une collection privée, une de celles qui ne figurent sur aucune brochure. La concierge avait les yeux d’une sainte orthodoxe qui a perdu la foi mais conserve les icônes. Elle nous salua comme des petits-fils qui rentrent tard.
Dans le salon, le propriétaire n’était pas là. Ça valait mieux. Il payait pour ne pas tout savoir. Corso posa la caisse sur un tapis épais qui avala le bruit. J’ouvris. Le cuir brun eut un bref éclat, discret, presque honteux. On n’était pas venus pour célébrer. Nous retirâmes la poussière de Saint-Pétersbourg du dos du livre avec un chiffon qui avait déjà servi à d’autres silences.
— On laisse la reliure respirer, dit Corso.
— On la laisse se taire, dis-je.
C’est à ce moment-là qu’il me vint que nous n’avions pas encore ouvert vraiment, pas comme il faut, pas avec la lenteur d’un prêtre qui découvre un reliquaire. Je me suis dit qu’il vaudrait mieux ne pas le faire. Qu’on n’ouvre pas un livre qui n’est pas pour nous. Et puis j’ai cédé un centimètre. La première miniature, celle qui éclaire un chapitre entier d’un seul geste — une femme offre un livre à une autre, le geste est grave, simple, et dans la marge un motif lyonnais qui a traversé cinq siècles sans demander son reste. Cela suffit. J’ai refermé. À quoi bon compter les feuillets quand on connaît la musique.
— Ça va ? me demanda Corso.
— Rien à dire.
— Parfait, dit-il. On referme, on scelle, on dort.
On enferma le manuscrit dans un compartiment qui n’ouvrait qu’avec deux clefs et un bout de mémoire. La concierge leva les yeux au ciel comme si on y avait rangé un fusil.
— Combien de temps ? demanda-t-elle.
— Le temps que le bruit baisse, répondis-je.
— Le bruit ne baisse jamais, dit-elle. Il change d’étage.
Les affaires n’ont pas d’odeur mais elles ont des courbes : après l’angle vif vient toujours l’ennui. On ne gère pas l’ennui, on le traverse. Corso disparut dans ses habitudes : lire des catalogues qui puent la colle, traîner dans des cafés où les chaises ont plus de mémoire que les serveurs, dormir par tranches comme un chat. Moi, je fis ce que font les gens de mon espèce quand ils ont touché à quelque chose de trop grand : je me fis oublier.
Parfois, le soir, je repensais à la datcha. Au vieux. À la stupidité pratique grâce à laquelle des trésors arrivent jusqu’à nous. Les hommes sérieux aiment les théories et les plans ; les choses, elles, aiment les erreurs. Je me souvenais aussi d’une carte postale collée dans la caisse, une photo de Saint-Pétersbourg couverte d’un givre argenté, griffonnée d’un « 1961 » au crayon. J’imaginais le livre survivant au dégel, aux rumeurs, aux mains trop lourdes. Puis je cessais d’imaginer : ce n’est pas bon pour la santé.
Pereira apparut une seule fois, comme une faute de frappe dans une phrase bien polie. Sur le trottoir de la rue du Bac, à l’heure où l’on ne voit plus les vitres, il boita jusqu’à notre hauteur, canne courte, hiver éternel sur le dos. Il ne regarda pas la façade ; il n’avait pas besoin. Son rire sec fendit l’air comme une agrafe.
— Vous savez garder, Gabriel, dit-il. Mais savez-vous attendre ?
Je ne répondis pas. Corso leva les yeux vers une fenêtre sans lumière.
— Les livres attendent mieux que nous, dit-il.
Pereira inclina la tête, amusé par un jeu dont il connaissait les règles par cœur, puis s’éclipsa. On aurait dit un point final qui n’avait pas été prévu et qui, pourtant, tombait au bon endroit.
Il ne revint pas. C’est sa politique : un rappel d’existence, comme un fil tendu dans le noir, pas assez serré pour entraver, juste assez pour faire trébucher si l’on court.
Les miracles ne sont pas faits pour les témoins. Ils sont faits pour ceux qui n’étaient pas là, pour ceux qui ont besoin d’un récit. Quelques mois passèrent. Le manuscrit se fit oublier comme tous les objets qui comprennent le monde : en changeant simplement de pièce. Un soir, la concierge me dit que le propriétaire avait ajouté deux cadenas au coffre. Je haussai les épaules. Vous pouvez empiler les serrures, ça n’empêchera jamais un homme décidé ; mais ça rassure ceux qui payent, et ce n’est pas rien.
Un matin, en descendant chercher des cigarettes, je vis la manchette d’un journal sur un kiosque : « Considéré comme perdu, un rarissime manuscrit refait surface. » J’achetai deux exemplaires. Le papier était plus lourd que d’habitude, peut-être à cause de la pluie. Je rentrai au bar de Montparnasse où Corso occupait sa place de naufragé titulaire. Il avait cette façon particulière de tenir la tasse : comme une information qu’on attend de voir tomber.
Je posai le journal. Il lut. Son sourire ne bougea pas ; c’est sa manière d’applaudir.
— Officiellement, il est ressorti tout seul d’un grenier français, dit-il.
— Officiellement, oui.
Je commandai deux vodkas qui n’avaient pas le goût de métal — on fait ce qu’on peut. On but sans trinquer. L’alcool a ses rites, et celui-là consiste à ne rien célébrer quand on a tout déplacé.
— Tu sais, dit Corso, ce qui me plaît dans cette histoire ?
— Dis.
— Qu’elle soit mal racontée.
Je haussai les épaules. Il avait raison. Les journaux ont besoin d’une version qui tienne en trois colonnes et deux adjectifs. La vérité, elle, tient à peine dans une pièce de sept mètres sur cinq où l’on pose un livre sur un tapis en essayant de ne pas respirer trop fort.
— Les livres, mon cher, ne refont surface que si on les aide à respirer, dis-je.
Il inclina la tête, accepta la phrase comme on accepte une addition.
Coda
La nuit suivante, je rêvai de la Neva. Pas de la vraie — de celle qu’on porte avec soi. La glace y était transparente comme du sucre ; sous la surface, on voyait passer des silhouettes lentes, des choses qui ne savent pas nager, des chapitres qui n’ont pas été écrits. Parfois, je croyais reconnaître des lettres dorées qui tournaient comme des poissons. Je me réveillai avec la sensation d’avoir tenu dans les mains quelque chose de plus lourd que mes mains.
Je ne revis pas le diplomate. Je le croisai peut-être au détour d’un couloir officiel, un jour de pluie, incapable de me souvenir si je l’avais déjà vu ou si j’avais simplement entendu son rire là où se racontent les histoires qui ne se signent pas. J’imaginais parfois sa valise, vide, propre, posée contre un bureau en acajou. On avait remis des rapports dedans. Le monde était revenu à son poids normal.
Le vieux de la datcha, je l’oubliai comme on oublie les portiers des drames : ils sont là pour ouvrir la porte, ils disparaissent quand la lumière baisse. Il avait eu sa part : l’argent sur la table, la chaleur d’un fourneau qui tient une nuit de plus. Et peut-être, un jour, il dira à un petit-fils qu’un livre français a quitté la maison par un hiver clair. Le petit-fils haussera les épaules. Il aura tort.
Quant au manuscrit, je n’ai pas besoin de le voir pour savoir où il est. Les livres de cette sorte ne bougent pas comme les autres. Ils se déplacent d’une respiration. Ils attendent. Ils donnent au temps la sensation d’être lu à voix basse. Ils appartiennent à ceux qui savent jouer avec l’ombre.
Corso, lui, eut une période de six semaines où il ne parla presque pas. Il avait cette manière de se taire qui ressemblait à un commentaire. Puis il revint avec un sac de toile et un carnet de notes qui sentait la pluie. Il me dit :
— Je pars quelques jours.
— Où ?
— Là où l’on gardait autrefois les clefs.
— Tu trouveras ?
— On trouve toujours ce qu’on ne cherche pas.
Il s’éloigna avec la démarche d’un homme qui ne s’excuse pas d’avoir survécu. Je restai au bar, à écouter la radio crachoter des bulletins sans importance. Un type à la table d’à côté expliquait à une femme que les miracles n’existent pas. Je pensais à la datcha, au vieux, à la cire qui craque, au ruban qui cède sans bruit, aux scellés qu’on refait avec un morceau de mémoire et un peu de chaleur humaine. Je souris. Les miracles existent. Ils demandent juste plus de mains que prévu.
La concierge, le lendemain, me tendit une enveloppe sans timbre. À l’intérieur, un bout de ruban rouge, coupé net, et un mot : « Rien n’est jamais scellé pour toujours. — C. » J’aurais pu y voir une coquetterie. J’y vis un rappel d’hygiène. On nettoie la poussière, on coupe les scellés, on remet des rubans ; la vie tient debout sur des gestes minimes et des mensonges élégants.
Je remontai l’escalier en comptant les marches. À chaque palier, je me disais que tout cela tenait à la seconde où la valise avait changé de main dans les toilettes de Roissy. La mécanique était trop belle pour être décente. C’est pour ça qu’elle avait fonctionné.
Dans la pièce au coffre, l’air sentait la laine et le papier chaud. J’ouvris, par réflexe, pour vérifier ce que je savais déjà. Le livre n’avait pas bougé. Il avait la tranquillité des choses qui ont compris que nous passons. Je posai la main sur le cuir, plus tiède que la première fois. Il n’avait pas besoin de moi. J’eus la décence de refermer sans soupirer.
En ressortant, j’eus l’impression de croiser un parfum de neige, un écho de la Neva, quelque chose qui ne se décide pas. Je souris à la concierge. Elle me rendit mon sourire avec la gravité d’un sergent. Dehors, il faisait un temps à attendre des nouvelles qui n’arrivent pas. J’achetai un journal. Je ne l’ouvris pas. J’avais déjà lu la fin.
Sympa ! Si Corso pouvait m’aider à récupérer un manuscrit qui est dans une bibliothèque qui, il est vrai n’est pas la mienne mais bon…