Un relieur indélicat

Amis Bibliophiles bonsoir,
Je manque d’énergie ce soir… je vous propose de retrouver un message posté il y a fort longtemps sur le blog, à propos d’un relieur indélicat…
L’un des principaux atouts que peut présenter un livre ancien est la provenance… Et ce relieur-restaurateur parisien l’avait bien compris. Longtemps restaurateur attitré de grands libraires, son talent était tel que ses pastiches de reliures anciennes étaient vraiment très difficiles à identifier, même pour un professionnel. Il abusa même un expert en signant une reliure mise aux enchères, et que l’expert qualifia bien d’ancienne, tout en avouant ne pas connaître ce relieur…
Notre ami aurait pu s’en tenir à cela d’ailleurs, mais comme souvent, c’est l’occasion qui fît le larron et lorsque les conditions furent réunies il passa à un stade supérieur. Il avait en effet réussi à se procurer le fer de Mme de Pompadour et celui de Napoléon. Une fois récupérés les catalogues de leur bibliothèques, il ne lui restait plus qu’à trouver les ouvrages des dits catalogues dans des conditions plus modestes, puis à y frapper les armes des deux personnages historiques… quitte à réemboiter les textes dans des maroquins… La valeur des ouvrages était alors décuplée, voire plus.

Et c’est semble-t-il bien ce qu’il fît. Je dis « semble-t-il » car dans l’univers feutré des livres anciens de luxe, les scandales se nouent rarement au grand jour. En fait, c’est une vente à Drouot qui attira l’attention des amateurs et des professionels. Celle-ci proposait en effet un (trop) grand nombre de reliures de grande provenance, notamment des reliures aux armes de l’Empereur et de la Pompadour. Tous furent stupéfaits de la richesse de la collection et d’autant plus sceptiques. Rapidement, certains firent le lien entre les volumes présentés, un libraire s’étant retiré, et notre fameux relieur-restaurateur… La vente devînt alors suspecte et les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances.
Il est clair que les bibliothèques de Napoléon et Madame de Pompadour (on cite aussi celles de la Comtesse du Barry, ou de Marie-Antoinette) n’ont fait que s’accroître depuis la disparition de leur propriétaires… ce qui n’est pas courant.

La vigilance est donc de mise quand on vous propose une mariée trop belle, à des conditions inespérées… Mieux vaut être vigilant, même si les experts eux-mêmes avouent qu’ils peuvent se laisser tromper par de telles reliures lorsqu’elles sont bien exécutées.Comment les identifier? Difficile, on ne peut que conseiller de se méfier des armes dont la dorure semble éclatante, et encore, cela n’écarte pas les falsifications anciennes, qui existèrent aussi. Le meilleur moyen reste peut-être de vérifier que la dorure ne recouvre pas d’accrocs ou d’épidermures. En effet, les armes étaient le plus souvent poussées juste après la reliure, alors que le maroquin ou le veau étaient encore immaculés, les dommages « normaux » liés au temps doivent donc apparaître au dessus de l’or de la dorure… et non au dessous!

H
Images : les armes de la Pompadour, et celles de Napoléon.

77 Commentaires

  1. Je tombe tartivement sur ce sujet. mais il est interessant de noter que l'honneteté de tout professionnel, quelque soit le domaine est une priorité en face de son prescripteur.
    Sinon c'est une fraude et c'est passible de condamnation. Sans parler de la perte de credibilité de toute une profession.
    T.

  2. Le célèbre faussaire belge Louis Hagué ne s'attaquait qu'aux livres rares et prestigieux qu'il habillait de reliure de provenance tout aussi prestigieuse, la vente Beres en donne un exemple étonnant avec "l'Architecture et art de bien bastir " d'Alberti de 1553 et dont la reliure est si réussie que les plus exigeants l'ont considérée comme datant du seizième siècle et provenant de la Bibliothèque royale…
    Pour la Pompadour les plus belles reliures en maroquin ont été pastichées et vendues à prix de platine à de célebres bibliothèques mais je ne connais pas de faux en reliure en veau !!

  3. Bonjour Morgane. Je crois qu'il préparait des volumes déjà reliés au XVIIIe et XIXe à recevoir le fer et, semble-t-il dans ce billet, qu'il pratiquait aussi le réemboitage.

    Ceci-dit, j'ai vu des travaux de vieillissement du cuir très au point dans l'atelier d'une relieuse de génie qui le fait pour des clients dont l'aspect "authentiquement vieux" est aussi important que la réversibilité des restaurations.

    Je me souviens bien de cette affaire de fausse attribution, et là encore l'absence de provenance tangible avait activé la suspicion.

  4. Mais comment faisait-il pour vieillir les cuirs alors?
    Je veux bien que des livres censés appartenir à des noms si prestigieux soient quasiment nickel, mais tout de même, cela ne change pas le fait que le cuir se dégrade "de l'intérieur".
    Je ne vois pas comment il ferait s'il changeait la reliure de l'ouvrage par un maroquin.

    Cordialement,

    Morgane, Etudiante restauratrice de livres anciens perplexe.

  5. Rappelons la célèbre boutade – qui n'en est pas une : Corot aurait peint 2500 tableaux dont plus de 20.000 se trouvent aux Etats-Unis !

    René de B l C

Les commentaires sont fermés.