Un Livre à l’honneur: Le Manuel des inquisiteurs ou Directorium Inquisitorum

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Je vous présente aujourd’hui une acquisition récente, Le Manuel des Inquisiteurs à l’usage des Inquisitions d’Espagne et de Portugal ou Abrégé de l’Ouvrage intitulé: Directorium Inquisitorum, composé vers 1358 par Nicolas Eymeric, Grand Inquisiteur dans le Royaume d’Aragon. On y a joint une courte Histoire de dans le Royaume de Portugal tirée du latin de l’établissement de l’Inquisition dans le Royaume de Portugal tirée du latin de Louis à Paramo. Imprimé à Lisbonne (Paris, en fait), en 1762.
Vous connaissez peut-être le « Directorium Inquisitorum« , un des ouvrages les plus anciens sur le Tribunal du Saint-Office, imrpimé pour la première fois en latin à Barcelone en 1503 et qui est l’œuvre de Nicolas Eymeric, ou Aymerich (1320 – 1399), grand inquisiteur de la province d’Aragon et de Catalogne. C’est en fait en 1376 qu’Eymeric rédigea le « Directorium Inquisitorum« , code de procédure qui explique par le menu l’activité du tribunal et les moyens qu’il appliquait pour poursuivre les hérétiques.

Le petit in-12 que j’ai entre les mains est la première édition de cette version française abrégée, elle fût éditée et traduite par André Morellet. Le « Directorium Inquisitorum » fût écrit par Eymeric lors de son séjour à la cour papale d’Avignon , où il exerça les fonctions de chapelain.
Le Manuel des inquisiteurs s’inscrit dans la continuité, sobre mais bien établie depuis le XIIIe siècle, des recueils de textes inquisitoriaux mêlés à des indications procédurières ou jurisprudentielles, à des récits de tel ou tel procès particulier choisis selon l’arbitraire de chaque compilateur et les besoins d’une région ou d’une saison.

Pour autant, ce qui est intéressant dans cet ouvrage et dans la version française, et qui le différencie des autres, c’est que Eymeric met en exergue la technicité pratique et procédurière (ce qui le distingue par exemple du Manuel de l’inquisiteur de Bernard Gui), et livre au final une somme sur l’Inquisition et l’hérésie. On y trouve ainsi tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce domaine, le procès inquisitorial, situé au carrefour du droit canon et de la procédure pénale.
L’ouvrage a été rédigé en deux périodes : après Eymeric qui détaille l’Inquisition médiévale, essentiellement espagnole et dont on a envie de dire qu’elle est une machine bien rôdée, le Saint-Siège demanda en 1578 au juriste Pena(1540-1612) d’établir une édition enrichie de l’ouvrage d’Eymeric. Cette version (In Directorium Inquisitorum a Nicolao Eimerico conscriptum commentaria), sera rééditée quatre fois jusqu’en 1607, et aura une diffusion considérable à travers l’Europe. Le Directorium (littéralement, « le chemin ») permet de s’orienter dans la procédure inquisitoire, de la comprendre, et de l’enseigner. Le Manuel est véritablement un ouvrage didactique, destiné aux inquisiteurs. Ce n’est pas un ouvrage théorique, et c’est aussi ce qui rend la lecture intéressante. Ainsi le ton est parfois cynique, et très souvent pragmatique avec des passages du type « Eh bien ! on fera traîner les choses avec eux ! Pas question, bien entendu, d’accéder à leurs voeux insensés : on les gardera dans une prison horrible et obscure, car les calamités de la prison et les vexations constantes éveillent fréquemment l’intelligence ».
Pragmatisme et cynisme se confondent souvent d’ailleurs : ainsi on autorise le fait de jouer avec le sens de la grâce, en faisant confondre « grâce » juridique et « grâce » divine, afin de tromper le suspect d’hérésie. Un autre exemple : quand on se demande s’il faut châtier les fous, Peña rappelle que « la finalité première du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de procurer le bien public et de terroriser le peuple. Or le bien public doit être placé bien plus haut que toute considération charitable pour le bien d’un individu.». Je crois que tout est dit. Si on complète cette vision par la définition de l’hérésie qui est donnée « compréhension ou interprétation de l’Evangile, non conforme à la compréhension et à l’interprétation traditionnellement défendues par l’Eglise catholique », la boucle est bouclée et les possibilités offertes à l’inquisiteur deviennent infinies, d’autant plus que de Peña durcit encore la définition : « Seront légitimement hérétiques ceux qui rendent visite aux hérétiques, ou qui les maintiennent, ou assistent, ou accompagnent. Les suspicions sont, dans ces cas, suffisamment fortes pour justifier à elles seules des procès en hérésie
Une grande partie de l’ouvrage est consacrée à la torture, « Il n’y a pas de règles précises pour déterminer dans quels cas on peut procéder à la torture. » Dans les faits et la jurisprudence, « le diffamé ayant contre lui ne serait-ce qu’un seul témoin, sera torturé ». Bref on torture systématiquement un suspect d’hérésie qui refuse d’avouer, c’est-à-dire quand « l’accusé, qui, dénoncé, n’avoue pas en cours d’interrogatoire ». Le Manuel est d’ailleurs explicitement en faveur de la torture : « je loue l’habitude de torturer les accusés, notamment de nos jours où les mécréants se montrent plus éhontés que jamais. »

L’édition française est intéressante à plus d’un titre : déjà elle est compréhensible pour tous ceux qui ne sont pas latinistes, ce qui n’est pas le moindre de ses défauts, mais elle est également remarquablement bien organisée en 14 chapitres qui constituent un véritable vade-mecum du petit inquisiteur en herbe… et tempérée par le post-scriptum de l’éditeur :
« il se trouvera peut-être des personnes honnêtes et des âmes sensibles qui nous blâmeront d’avoir mis sous leurs yeux les tableaux affreux que nous venons de présenter ; elles demanderont quel avantage ou quel plaisir on peut trouver à arrêter ses regards sur des objets aussi révoltants. Pour repousser ces reproches, il nous suffira de remarquer que c’est précisément parce que ces travaux sont révoltants qu’il est nécessaire de les montrer pour en inspirer l’horreur : qu’après tout, ces cruautés ont été applaudies pendant plusieurs siècles par des nations que nous appelons polies, et qui prétendaient avoir une morale : que, dans plusieurs pays de l’Europe, ces maximes horribles sont encore regardées comme sacrées ; que dans d’autres, ce n’est que depuis peu de temps – et encore à peine – qu’il est permis d’en rire et de s’en indigner; enfin et ce trait seul nous justifiera, on a imprimé à Paris en 1758 l’Apologie de la Saint-Barthelemy ; il est donc encore utile d’écrire sur l’Inquisition», André Morellet.
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