Un bibliophile sur le Titanic, ou le destin de Harry Elkins Widener

Amis bibliophiles bonsoir,

La nuit du 14 au 15 avril 1912 fût fatale pour environ 1500 passagers qui avaient pris place à bord du Titanic… ainsi qu’à un nombre inconnu d’ouvrages anciens dont on peut présumer qu’ils étaient précieux. Ceux-ci voyageaient en effet avec le jeune Harry Elkins Widener, 27 ans, qui était l’un des jeunes bibliophiles les plus gâtés et les plus prometteurs des débuts du XXe siècle. 

Né en 1885, Harry Elkins Widener a développé très tôt un goût pour la bibliophilie, qu’il a cultivé après son passage à Harvard en 1907, et que l’immense fortune de ses parents lui a permis de développer très rapidement malgré son jeune âge Ainsi, a seulement 27 ans, il possédait (presque)… une bible de Gutenberg, comme nous le verrons ci-dessous.


Ses goûts étaient assez larges, et le portaient plutôt vers les auteurs anglo-saxons du 19ème en édition originale (Dickens, Stevenson, Brontë, etc.) sans pour autant dédaigner les grands classiques puisqu’il avait hérité d’une Bible de Gutenberg qui fait aujourd’hui la fierté de la Bibliothèque de Harvard: c’est de plus un exemplaire bien connu, qui a successivement appartenu à Pierre Henri Larcher (Paris, 1814), Lord Ashburnham (1840), dont le fils le revendît à Bernard Quaritch (1896). Peu de temps c’est Robert Hoe qui en devînt l’heureux propriétaire (il la rangeait d’ailleurs juste à côté de mon exemplaire Hoe qui porte donc des poussières de Bible de Gutenberg, sourire), puis à nouveau Quaritch avant que le grand-père de Harry Elkins Widener ne l’achète. L’exemplaire fût remis à la bibliothèque en 1944.

Il a particulièrement marqué le jeune Harry qui évoque la Bible dans une lettre adressée à son ami Luther Livingston, libraire à Philadelphie le 10 mars 1912, un mois avant la tragédie, dans laquelle il lui écrit qu’il va effectuer un voyage rapide vers Angleterre, à bord du Mauretania, avant de revenir avec le voyage inaugural du Titanic. Il termine sa lettre par les mots suivants: « un secret,… grand-père a acheté l’exemplaire Hoe. N’est-ce pas merveilleux? J’espérais que ce soit pour moi, mais ce n’est pas le cas! ».

La bibliophilie et l’acquisition de nouveaux ouvrages anciens était d’ailleurs l’une des raisons de son voyage en Europe. Il voyageait avec ses parents et on sait qu’il fit notamment l’acquisition d’une seconde édition des Essais de Bacon (1598). Après l’Angleterre, la famille visita la France avant de ré-embarquer pour les Etats-Unis via Cherbourg et le nouveau flambeau de la White Star Line, le Titanic.Le célèbre paquebot fit en effet escale à Cherbourg: parti de Southampton le mercredi 10 avril 1912 à midi, le nouveau palace flottant devait, quelques heures plus tard, toucher le port de Cherbourg et faire son entrée par la passe de l’ouest à 18h30. Au delà du prestige, cette escale permettait d’embarquer 274 passagers supplémentaires dont les Widener.
La famille et les domestiques occupaient les cabines de première classe C-80-82 (numéro de billet 13503, prix 211 Livres Sterling). Et le soir du drame la famille Widener participait d’ailleurs à un dîner donné par le capitaine en compagnie des passagers les plus riches.
A 23h40 le Titanic percuta un iceberg sur le flanc tribord avant de sombrer à 2h20 au large de Terre-Neuve. Entre 1 491 et 1 513 personnes périrent.
Les témoignages rapportent que Harry Widener aida sa mère à embarquer sur le canot n°4 avant de rebrousser chemin dans l’attente du départ du canot principal, ce qui décida malheureusement de son destin puisqu’il disparu avec le paquebot. L’épave fut localisée en 1985. Elle git à 3 843 mètres de profondeur à 650 km au sud-est de Terre-Neuve et fait actuellement l’objet de fouilles.


Une anecdote que Madame Widener ne confirma jamais prétend que Harry rebroussa chemin pour aller récupérer son Bacon. 


Ce qui est certain en revanche, c’est que Madame Widener fît un don de 2 millions de dollars pour construire dans l’enceinte de Harvard une bibliothèque qui abriterait la collection de son fils et servirait de mémorial. Cette bibliothèque ouvrît ses portes en 1915 et existe toujours et fût conçue pour abriter 3 millions d’ouvrages sur plusieurs dizaines de kilomètres de rayonnages.
H

16 Commentaires

  1. A fascinating discussion is definitely worth comment. There’s no doubt that that you ought to write more on this issue, it may not be a taboo matter but usually people don’t talk about these topics. To the next! Cheers!!|

  2. il ne faut pas conclure trop vite… l'Olympic a eu une carrière glorieuse : sa collision, c'était avec un navire de guerre, qui a été beaucoup plus endommagé que le paquebot. Et pendant la guerre, il a servi de transport de troupes, et a donc été chassé. C'est le seul navire civil a avoir coulé un bateau de guerre : un sous-marin allemand.

  3. Je ne savais pas pour l'Olympic et le Britannic, Calamar. Apparemment les noms en "ic" ne portent pas bonheur.

    Saviez-vous, de votre côté, que Bacon serait l'auteur de toutes les pièces de Shakespeare comme Corneille l'aurait été de celles de Molière ? C'est pathétic… Pierre

  4. Oui, c'est une meilleure option que l'habituel 'mouillures claires marginales loin du texte' ! On pourrait ajouter 'Reliure épidermée par un iceberg, rare dans cette condition'
    T

  5. Bonne mémoire Jean-Paul, mais pas tout à fait en fait, je suis en voyage à l'étranger, loin de toute documentation, et j'ai reposté ue version améliorée de cet a,Coen message, avec notamment une meilleure image de Widener.
    Et non. Je ne suis pas parti renflouer le Titanic, hélas, ce qui aurait plus de sens que le Concordia pourtant.
    Vous en conviendrez.
    Hugues

  6. Je propose que les lecteurs de ce blog réunissent des fonds pour monter une expédition destinée à repêcher le Bacon, que nous pourrions ensuite offrir à la Harvard Library.
    Textor

  7. on parle toujours du Titanic… mais il n'était pas si unique que çà, et même pas le plus grand paquebot de son époque : il faisait partie d'une série de 3 paquebots quasi identiques, avec l'Olympic et le Britannic.
    L'Olympic a connu une carrière commerciale sans trop d'histoire, après avoir survécu à une collision avec un navire de guerre, puis à la première guerre mondiale.
    Le Britannic a eu moins de chance : pendant cette guerre, il a heurté une mine et a coulé encore plus vite que le Titanic.
    La réputation d'insubmersibilité était donc largement surestimée.
    Plusieurs membres d'équipage ont survécu aux trois accidents, dont deux naufrages, de cette série. Des veinards, ou des porte-poisse ?

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