Comme vous le savez, je pars demain pour deux semaines… ça tombe bien, l’excellent Bertrand m’a transmis ce texte destiné au blig, et qui est fort intéressant…
Nous sommes le 29 juin… voyez ce qui se passa le 29 juin 1865, et prions tous (en vain, je le crains), pour que cela ne se reproduise plus.
Les livres brûlés à Londres du libraire Téchener :
Ce message du jour est tout entier lié à l’annonce suivante que l’on pouvait lire au verso de la page de titre du 212è numéro du Bulletin du Bouquiniste de Auguste Aubry, libraire (15 octobre 1865) :
EN VENTE :
CATALOGUE DES LIVRES RARES ET PRECIEUX, MANUSCRITS ET ESTAMPES,
Brûlés à Londres
Le 29 juin 1865 dans la maison Leigh Sotheby, J. Wilkinson et Hodge,
auctioners, Wellington Street (Strand),
Appartenant à J. Joseph TECHENER père
Libraire à Paris.
Paris, octobre 1865, un vol. in-8 de 360 pages, rédigé par M. J.L. Téchener fils.
Prix : 6 francs.
Ce curieux catalogue comprend 2496 numéros.
Ainsi se termine l’annonce en précisant toutefois que ce catalogue forme la septième partie de la vente Téchener.
A la première lecture de cette annonce, j’avoue n’avoir pas eu connaissance de ce terrible incendie et j’aurais aimé en savoir plus sur cette affaire macabre…
C’est l’érudit Gustave Brunet qui répond très en détail à mes interrogations seulement quelques dizaines de pages plus loin dans le n°213 du 1er novembre 1865.
Inutile de paraphraser cet excellent ami des livres, je le cite in extenso :
« Il ne s’agit pas ici d’un catalogue de livres offerts en vente publique ; il n’est pas question, comme dans le Catalogue d’un amateur (M. Renouard, 1818, 4 vol. in-8), d’une réunion de livres précieux que garde un bibliophile désireux de dresser l’inventaire de ses richesses. Ce catalogue-ci est une oraison funèbre. Les livres précieux qu’il énumère n’existent plus. Envoyés à Londres pour y figurer dans une de ces auctions où les guinées britanniques se prodiguent souvent avec une intelligente libéralité, ils sont devenus victimes d’un incendie. En quelques heures, les flammes ont dévoré tous ces trésors. Quelques jours après, on retirait des décombres, on enlevait par tombereaux des livres carbonisés, des volumes informes, car l’eau avait détruit ce que le feu avait épargné.
C’est là une perte irréparable. Où retrouver ces manuscrits, ces dessins originaux, ces livres anciens qui chaque jour deviennent plus rares ? Là figuraient quelques volumes imparfaits, tellement difficiles à rencontrer que M. Téchener les possédait depuis une trentaine d’années sans avoir jamais réussi, malgré son infatigable activité, à en découvrir d’autres exemplaires, même défectueux, pour compléter les premiers. Le 29 juin 1865 restera néfaste dans les annales de la bibliophilie.
Le désastre est consommé ; une bien faible, bien imparfaite consolation nous reste, consolation qui n’est elle-même qu’une source de regrets. M. Téchener a eu l’excellente idée de dresser, d’après ses notes, l’inventaire des livres dont Vulcain a fait sa proie ; il a joint à certains articles, des annotations fort intéressantes, et de ce travail pénible, il est résulté un beau volume très-bien imprimé, qui ne renferme pas moins de 2.496 numéros.
Une semblable réunion d’ouvrages précieux en tous genres atteste l’indomptable persévérance et le dévouement absolu de M. Téchener à la cause des livres ; ce catalogue, réuni à ceux qui ont déjà paru successivement et dont nous avons eu l’occasion de parler, constitue un véritable monument, et tous les amateurs doivent s’empresser de lui réserver une place dans leur cabinet.
Les littératures italienne et espagnole occupent un rang considérable dans le catalogue en question. Bien des livres précieux du XVIè siècle attirent l’attention des connaisseurs. L’ancien théâtre italien est largement représenté, et on ne compte pas moins de cinq vieilles éditions de la très-curieuse comédie de la Célestine.
Il va sans dire que tous ces anciens volumes sont d’une conservation irréprochable, les uns sont recouverts de ces vieilles reliures que les amateurs aiment tant à rencontrer et pour lesquelles ils font parfois des folies ; les autres doivent leur habillement de somptueux maroquins, leurs élégantes dorures, aux plus habiles artistes de Paris.
Parmi les éditions du XVè siècle, nous avons remarqué la très-intéressante relation du voyage de Breydenbach à la Terre Sainte (Mayence, 1486) ; la Divina Commedia de 1491, l’Isocrate de Milan, 1493 (édition princeps) ; les Epistolae (supposés) de Phalaris, 1498 (édition princeps) ; le Procès de Bélial (Lyon), 1481 ; le Strabon et le Suétone, imprimés tous les deux en 1472 ; le Suidas de 1490, et bien d’autres ouvrages dont le temps n’a laissé subsister que bien peu d’exemplaires.
N’oublions pas une précieuse collection aldine. Nous savons que ces impressions sont moins en faveur qu’autrefois aux yeux des bibliophiles ; mais cette froideur est injuste. Des exemplaires bien conservés, sortis des presses des plus illustres typographes du XVIè siècle auront toujours le plus grand prix aux yeux des véritables connaisseurs. La plupart de ces volumes aldins sont d’ailleurs fort rares. Parmi ceux que possédait M. Téchener et qui malheureusement sont anéantis, nous distinguons l’Hypnerotomachie de Polyphile, 1499 ; l’Aristote, en 5 vol. in-fol., 1495-1498 ; les éditions princeps d’Aristophane, d’Athénée, de Démosthène (exemplaire en grand papier), d’Hippocrate, de Jamblique, de Thucydide.
La classe des beaux-arts est des plus intéressantes ; à côté des recueils d’estampes, de gravures et de portraits, at auprès de grands ouvrages à figures se trouve une réunion presque complète des livres ornés de figures gravées sur bois par Jost Ammon, Virgile Solis, Hans Sébald, et autres petits maîtres allemands du XVIè siècle. Nous mentionnerons seulement, en prenant au hasard : Un volume grand in-folio, contenant 2.000 gravures sur bois environ, depuis les premiers essais de l’art (il y a deux planches xylographiques) jusqu’aux productions contemporaines. Pour obtenir un pareil recueil, il a fallu détruire une multitude de volumes ; plusieurs anciennes éditions en différentes langues, des Icones Mortis d’Holbein ; les Caprichos de Goya, un inappréciable volume contenant 221 dessins, croquis et esquisses de costumes et de caricatures.
Des livres sur la chasse, de précieux voyages, mériteraient aussi d’être signalés, et l’histoire, on peut le croire, tient une place distinguée sur cet inventaire véritablement étonnant. Pourquoi faut-il que, faute d’espace, nous soyons obligé de n’accorder aucune mention spéciale à ces ouvrages sur l’art héraldique, si recherchés aujourd’hui ? Dans la section de l’archéologie, on distinguera sans peine quelques volumes des plus précieux, notamment un magnifique recueil de dessins originaux (au nombre de 97), faits, en 1845, par Beauvalet de Saint-Victor, d’après les originaux d’Herculanum, de Pompéi, de la Sicile et des musées d’Italie.
Observons aussi en passant que nos regards sont tombés sur les titres de quelques ouvrages qui ne figurent pas habituellement sur les catalogues des ventes faites à Paris ; mais ces livres, étant en langue française, peuvent probablement avec moins d’inconvénients être présentés à Londres aux enchères publiques, et ils auraient obtenu, nous le craignons, un prix supérieur à celui qu’on eût donné pour une collection entière des Moralistes anciens et modernes. En tous cas, ces Libri di fuoco (littéralement des Livres de feu ou destinés au feu, à être brûlés …) ont accompli leur destinée.
Il est bien dur de se trouver en face d’une réalité désolante, de se dire que ces milliers de volumes, d’une conservation parfaite au-dedans et au dehors, que ces livres dignes de figurer dans la bibliothèque d’un souverain, que tous ces ouvrages qu’on se serait disputé à coups de bank-notes, qu’on se serait arraché à prix d’or, ont péri sans retour.
Je défie tout véritable amateur de lire sans palpitations de cœur le catalogue si bien rédigé, si soigneusement classé par M. Léon Téchener, et qui, précédé d’une dédicace aux bibliophiles français, restera comme un modèle en son genre. Avec quel plaisir on en aurait noté les prix d’adjudication ! Que d’additions importantes pour une nouvelle édition du Manuel du libraire ! Mais le destin se joue de nos projets, et des livres comme des hommes, il ne reste qu’un peu de cendre que les vents dispersent.
Nous avons placé le catalogue dont nous présentons une analyse bien incomplète à côté de notre exemplaire d’un volume relatif à une autre bibliothèque qui, elle aussi, a péri dans un incendie, nous voulons parler de l’inventaire raisonné, imprimé à Paris, en 1805, de la collection nombreuse et bien choisie que le comte de Bourtoulin avait réunie à Moscou. Ce fruit de trente ans de recherches disparut dans la grande catastrophe de 1812. »
Gustave BRUNET.
Voilà avec les jolis mots de Gustave Brunet comptée l’histoire de livres qui ne sont plus. Si cet article évoque quelque chose pour vous, si vous avez eu à vivre un tel désastre, une destruction de vos livres, par l’incendie ou tout autre catastrophe, n’hésitez pas à partager avec les autres membres du blog vos impressions.
Cela rappellera à certains l’image de l’incendie du donjon d’une certaine abbaye bénédictine du nord de l’Italie. L’histoire commençait ainsi : En l’an 1327… Mais ceci est une autre histoire…
Merci beaucoup Bertrand!
Photos jointes : Londres pendant un de ses premiers grands incendies au XVIIè siècle (1666), la marque d’appartenance du libraire Téchener, tracé à la plume sur la dernière garde blanche d’un magnifique exemplaire relié par DURU (reliure datée 1850). Hypnerotomachia Poliphili. Venise: Aldus Manutius, décembre 1499. Vignette gravée sur bois (heureux ceux qui possèdent un Poliphile!).
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Promis ! Dès que les journées passent à 30 heures au lieu de 24 (complètement désuet entre nous les journées de 24 heures par les temps qui courent…)
B.
Sacré coup de vieux en effet! Les portes te sont toujours ouvertes 🙂
Hugues
ça ne me rajeunit pas le temps où j'écrivais des billets pour le blog du bibliophile !
Bertrand Bibliomane moderne