Portrait de Bibliophile : Frédérick, disciple de Dorbon

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Je vous propose ce soir un nouveau portrait de bibliophile, Frédérick, fidèle lecteur du blog, et qui était présent à notre dernier déjeuner, l’occasion du Salon du Grand Palais. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un jeu de questions/réponses, mais un autoportrait, ou presque. Je laisse la parole à Frédérick. Je me permets également une petite remarque en préambule, je ne pense pas qu’il soit absolument nécessaire d’avoir des moyens financiers importants pour être un grand bibliophile, même si cela peut aider (étudiants bibliophiles, ne soyez pas découragés! Sourire). La bibliophilie est une affaire de connaissance, plus que de possession, et je connais de jeunes bibliophiles plus compétents que d’autres, plus riches, plus gâtés, et plus âgés. Ce n’est pas le cas ici, puisque Frédérick a réussi à accumuler des livres très précieux, tout en développant une connaissance de fond sur le domaine qui l’attire. Il sait vraiment de quoi il parle. Dans le même temps, ce qui ressort de son portrait je trouve, et c’est à mon sens la plus belle leçon à en tirer pour d’autres, c’est l’exigence. C’est ainsi finalement que se construit un bibliophile. Non?

« Voici un peu de lecture, une histoire entre ma bibliothèque et le jeune bibliophile de 34 ans que je suis à travers laquelle, je l’espère, d’autres passionnés de livres y trouveront une partie de leur propre histoire passée ou à venir…Aussi loin que je puisse remonter dans ma jeunesse y chercher la genèse de cette curieuse passion, une image unique revient toujours. J’avais une douzaine d’années et les illustrations du « musée des sorciers » de Grillot de Givry me fascinaient. Le désir ardent de posséder les livres représentés dans cette ouvrage ne déclina plus. Il faut bien l’avouer, cette passion était issue du rêve, du désir, rien d’autre. La frustration de ne pouvoir acheter ces livres, l’attente d’avoir suffisamment d’argent eut le mérite de me pousser à en gagner suffisamment pour assouvir ma passion, car c’est une passion onéreuse, surtout lorsque l’on ne rentre que des ouvrages en parfait état, sur un thème aussi prisé aujourd’hui que l’ésotérisme.

Quels sont vos domaines de prédilection?

La magie, l’alchimie, la sorcellerie, matières souvent dédaignées des positivistes, offrent pourtant un vaste et passionnant champ d’étude : celui de l’histoire des idées. Du rêve de ma jeunese à aujourd’hui, ma connaissance de la bibliophilie et plus particulièrement l’étude de ces matières changea fondamentalement ma vie. Je m’étais fixé un but à atteindre, celui de parvenir à avoir l’une des plus belle bibliothèque sur le sujet. A ceux qui pensent que la lecture de ces matières est ridicule, vaine ou même dangereuse, Je ne crains pas de dire que rien n’est certain en ce monde, que la quête mérite de dépoussiérer les livres oubliés, et que je ne crois pas que ces sujets n’ébranle trop ma foi, qui est tout ce qu’il y a de plus orthodoxe.De gauche à droire : grimoire d’honorius, les sorcelleries de Henry de Valois (1589), et les jugements astronomiques de Ferrier (1550) ex. Guaita.De gauche à droite, le Khunrath (1609) en plein mar. et le J Wier « de l’imposture des diables » (1579) en peau humaine.

Une rencontre majeure façonna ma manière d’aborder la bibliophilie. J’avais osé écrire à Guy Bechtel, grand collectionneur de livres, qui me conseilla avec patience à une époque où l’on a besoin d’un guide. Au départ, on rentre des incomplets, des livres mal reliés. Ces déchets sont les plus onéreux. On les fait restaurer, et on fini par mal les revendre pour de plus beaux… mauvaise affaire à tous égards.

Planche dépliante de Ziarnko qui n’est présente que dans quelques exemplaires du De Lancre « des sorciers ».

A mon avis, la bibliophilie est un mélange raisonné de passion et de rigueur. J’étais persuadé au début de ma collection ne jamais revendre un seul de mes livres, trop attaché à l’histoire et au lien étroit qui se créé entre l’objet et l’humain. Et pourtant, le temps passe et le livre que l’on croyait essentiel à sa bibliothèque devient moins nécessaire, puis il passe au second plan. Je crois qu’il est important de savoir se défaire d’un livre pour acheter un meilleur exemplaire ou un livre plus rare. Dans cette logique, il est alors impératif d’être bon gestionnaire afin de ne pas perdre d’argent à la revente et même en gagner le plus possible. J’espère n’en choquer aucun en soutenant que le livre est indissociable de sa valeur, et même si sa valeur est inconnue, incertaine, ou même spéculative. Je veux dire par là que le bonheur passe aussi par la bonne affaire. L’important, me semble-t-il, est de pouvoir toujours racheter un livre ! Alors, ne dilapidons pas ce qui est si dur à gagner.

Manuscrit sur le procès de Gilles de Rays

Où achetez-vous vos livres?

J’ai commencé par acheter en brocante, puis en vente aux enchères. C’est là où l’on trouve des livres à des prix abordables, car c’est l’une des sources d’approvisionement des libraires. Puis j’ai avec acharnement poussé chacune des portes des libraires, qui malgré mon jeune âge, ne me rejetèrent pas tous. La grande majorité ouvrent leur porte aux jeunes bibliophiles. Les plus connus sont tout de même assez intimidants. On a toujours peur de ne pas être à sa place en passant le seuil de ces antres mystérieuses qui semblent absolument impénétrables, et dont les prix des livres font immédiatement fuir. Ne soyons pas trop dur avec les libraires parce que l’on ose pas entrer. C’est une affaire de volonté dans la majorité des cas, et puis il faut ne pas être trop mal habillé, c’est comme ça. De plus, les libraires intelligents savent que leurs clients les meilleurs ne sont plus de toute première jeunesse. Ils ont interêt à bien acceuillir la nouvelle génération qui sera cliente à un moment ou un autre. Bref, j’achète partout ou l’on connaît le mot « livre », et j’en respecte les codes. La brocante, même si elle ne produit plus vraiment de bonnes surprises bibliophiliques, garde encore son charme. Les ventes aux enchères provoquent le grand frisson; A tester absolument, et même pour une bricole convoitée, les sensations sont incroyables, que l’on ai remporté l’enchère ou non). Mais je préfère tout de même la librairie. Il y a un vrai contact et de bons conseils (souvent mais pas toujours, car le libraire est un commercant avec un stock à écouler).
Licetus, De Monstris, 1665

J’ai la chance d’avoir déjà la plupart des livres qui me firent rêver il y a quelques années. Curieusement, mon premier gros achat se trouva être le « Compendium Maleficarum’, l’édition de 1626, livre qui plus que les autres, me faisait rêver. Il possède de nombreuses et extraordinaires gravures de diables. C’était en plus l’exemplaire de Maître Maurice Garçon, célèbre avocat et grand collectionneur de livres de démonologie. Son ex-libris est d’ailleurs tout à fait amusant : un petit diable tenant en l’air les initiales M.G. Les grands classiques de la sorcellerie de ma bibliothèque proviennent pour la plupart de la collection Frédéric et Anne Max, et notament un Jean Wier, « l’imposture des diables » relié en peau humaine (reliure dont les pores de la peau sont par groupe de trois, caractéristique de la peau humaine, alors que la peau de truie se singularise par une disposition de ses pores par groupe de quatre). Ce livre n’apparaît pas au catalogue de la vente. Il y aurait tellement de livres passionnants à vous décrire, et même des manuscrits dont celui-ci, du 18ème siècle, procès de Gilles de Rais copié sur l’original. Des curiosités sur la lycanthropie (Nynauld, 1615), la mandragore (Deusing, 1659), des grimoires tel « le véritable gremoire » ayant appartenu à Eliphas Levi, le »grimoire du pape Honorius » en somptueuse reliure et véritable édition ancienne (1670) ou bien « l’enchiridion » édition de 1633 en plein maroquin olive d’époque. Je viens de rentrer le Khunrath, bien complet de toutes ses planches, en plein maroquin 18 ème.Quelques illustrations du compendium maleficarum de Gaccius, 1626.

Des livres d’alchimie, le Barlet  » la theotechnie ergocosmique » en édition inconnue : l’édition dite originale est de 1653, la mienne est de 1651. Mais surtout, le Mutus Liber en édition originale, complet du feuillet de privilège, ainsi qu’un mutus liber manuscrit. Dans les manuscrits, un 17ème du « traité de la quinte essence  » de Roquetaillade. Des livres annotés par Julien Champagne, illustrateur de l’oeuvre de Fulcanelli (dont je possède également un dessin original). J’ai une attirance toute particulière pour Stanislas de Guaita, dont je possède de nombreux livres de sa bibliothèque, ainsi que des correspondances originales et inédites.EO sur papier japon, en plein mar. du Caillet (photo de la dédicace de Caillet à Dorbon).

Sans parler des livres du 19ème, toujours avec provenance. Enfin, la bibliographie, que j’adore. Le Caillet, en plein maroquin, exemplaire sur japon offert par l’auteur à Dorbon. Le Yve-Plessis ex.N°7 de Dorbon, etc.

Auriez-vous une anecdote à nous raconter?

Le parcours du bibliophile est jonché d’anecdotes et d’aventures. J’en aurais des dizaines à raconter, car le sujet qui m’occupe est un milieu de charlatans, d’illuminés, mais il y a des gens sincères, passionnants, qui cherchent la vérité… ou plutôt un certain équilibre. J’ai rencontré des gens extraordinaires, mais l’anecdote qui me vient à l’esprit est purement bibliophilique. Il y a quelques mois, j’avais remarqué une vente aux enchères dans le sud de la France. Dans ces contrées chaudes et sèches, on imagine toujours quelque château de vieilles pierres dont les héritiers ignares dispersent aux gré d’une vente la précieuse bibliothèque.Page de titre de l’édition originale du mutus liberPage de titre de mon mutus liber manuscrit (reliure pl. mar vert)

J’ai toujours la flamme en parcourant les catalogues de ces petites ventes de province. Ils sont souvent mal rédigés avec des notices sommaires. C’est pourtant l’une des forces de ces catalogues, car j’ai l’impression qu’il est possible d’y faire une découverte. A cette vente, un lot de 60 gravures de sorcellerie. Le grand frisson, pas de description, la découverte totale. Même un coup de téléphone à l’expert ne m’apporta pas grand chose. Il me donna tout de même un bon indice en décrivant – aussi bien qu’il le pouvait – quelques planches alchimiques « assez anciennes ». Je demandais de pouvoir surenchérir par téléphone, afin de ne pas rater le lot pour quelques dizaines d’Euros. Je remportais le tout pour 200 Euros, prix plus que raisonnable me semble-t-il. Il serait toujours possible de revendre les planches les moins bonnes. La description par l’expert des gravures me faisait rêver. – pourquoi pas après tout, trouver un « mutus liber » inconnu ? J’avais tellement eu de chance avec ce livre; j’avais pu en acquérir deux (un original et un manuscrit), alors qu’ils sont absolument introuvables. Le précieux paquet arriva par la poste après de trops longues journées d’attente. Me remémorant mes espoirs de découverte, je faisais défiler les une après les autres des gravures amusantes, mais aucune n’illuminait le lot. Jusqu’à ce que j’arrive à un planche incroyable, inconnue, numérotée 2, puis une troisième, une quatrième…. douze d’une même suite. Je connais assez bien ce qui existe en gravure alchimique, mais là, le mystère totale. Un personnage, sans un mot de texte, cherche le secret de la pierre philosophale à la manière du « mutus liber ». Pas beaucoup d’indices 10 planches sur 12 semble-t-il, pas de page de titre. J’avais décidé d’offir une reliure somptueuse à ces planches exceptionnelles, en laissant des feuillets vierges montés sur onglet à la place des deux manques. Il y a quelques jours, un ami érudit me donna la clé de l’énigme. Ses recherches, qu’il avait poussé plus que les miennes, l’emmenèrent vers un manuscrit de la bibliothèque de Lyon, « Opération et génération du grand-oeuvre », manuscrit dont parle en plusieurs endroits Fulcanelli. Mes planches seraient les représentations imprimées de ce manuscrit… qui vient d’être publié, et dont j’attends pour l’heure et avec impatience un exemplaire, qui pourrait confirmer ou infirmer cette piste.
EO de « l’ombre idéale de la sagesse universelle » (1679). Les ex. existants ont deux parties (latin + français). A l’origine, c’était une grande planchein folio, qui a été coupée, puis montée sur onglet, ce qui explique la grande rareté des ex. qui ont subsisté.

Qu’attendez-vous du blog?

Le monde de la bibliophilie est rempli de ce genre d’anecdotes. J’aimerais que vous, lecteurs du blog, me racontiez plus souvent vos aventures. Faites-nous rêver. C’est le privilège du bibliophile, le don d’aimer le beau et de s’évader un moment d’un monde sans saveur, d’où le rêve et le fantastique ont disparu. Si vous ne me croyez pas, regardez autour de vous. Moi, je retourne lire un livre sur la mandragore. Je vais au pays des chimères., c’était le notre, mais plus personne n’y croit.Manuscrit intitulé « election d’aller à la guerre ». Il donne les dates favorables aux guerres terrestres, maritimes…

Merci Frédérick,

H

8 Commentaires

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