Lettre d’un candidat ou l’entrée à Bibliopolis, ou l’histoire de la bibliophilie en une centaine de vers par A. Girard.

Amis Bibliophiles bonjour,

Comment écrire l’histoire de la bibliophilie en une centaine de vers? Voici la lettre d’entrée d’un candidat à l’entrée à Bibliopolis, celle d’A. Girard. J’ai réalisé que ce texte n’était pas disponible sur internet, le voici.



Lettre d’un candidat ou l’entrée à Bibliopolis

L’aurore bien des fois a de ses doigts rosés
Rouvert ses portes d’or dans les cieux embrasés,
Depuis que je languis, moi, devant cette porte,
Porte de bronze, aux clous de fer, épaisse et forte.

Là, demeure un mortel très expert, dont les mains
Voluptueusement palpent les parchemins.
Son nom est Pailletos.
                                      Il règne dans l’enceinte
De Bibliopolis et garde l’arche sainte.
Le Maître a près de lui des compagnons choisis.
Moi, qui depuis des mois et mois veille ici,
J’attends que mes accents l’émeuvent, qu’il découvre
Mon mérite, m’accueille à ses côtés, et m’ouvre
La porte de son temple aux profanes fermé!
Que faire?
                 J’ai – l’esprit de désirs consumé – 
Consulté l’autre jour la sybille delphique;
Et la sybille, dans un accès horrifique,
M’a répondu par cet oracle souverain:
« La clef d’or ouvrira cette porte d’airain. »
Mon esprit flotte, esquif en proie au dur tangage;
« La clef d’or?… »
                      Si c’était la clef d’or du langage!

INVOCATION

O muse au beau front lauré,
Qui charmes le bois sacré
De l’Hélicon, et qui joues
Du luth d’or divinement,
Au point qu’un trouble charmant 
Pâlit et rougit les joues
De qui t’écoute un moment;

O Muse, accours, viens à moi,
Fais plus touchant ton émoi,
Et prête-moi l’harmonie
Qui pénètre dans les coeurs,
Et fait taire les moqueurs;
Oui, prête-moi ton génie
Pour que j’entre ici vainqueur.


LA MUSE

Me voici. Je descends du sublime empyrée
Et veux bien te prêter cette lyre dorée
             Qui charme les lions
Et construit les remparts de la ville rêver,
             Et dont se sert Orphée,
             Et dont use Amphion.

Mortel épris des vieux vélins et des des grimoires,
Où des temps disparus revivent les mémoires,
             Chante, on t’accueillera.
Chant, et, ravi des sons que la muse t’inspire
             Non sans un doux sourire,
             Pailletos t’ouvrira.

Chante les noms aimés des artistes du Livre,
In-quarto, manuscrits aux lourds fermoirs de cuivre,
              Cuirs roux gaufrés de lis,
Missels jadis gravés avec un art suprême,
              Chante la gloire même
              De Bibliopolis.

GIRARDOS

Eh bien! je chanterai, puisque l’on m’y convie,
Ceux-là qui, confiant aux signes leur esprit,
Firent le Livre, doux passe-temps de la vie
Où pour l’éternité brille le Verbe écrit.

Moines au front rasé, penchés dans vos cellules
Sur le parchemin blanc, ô bons bénédictins,
Je vous vois composant de nobles majuscules,
Avec la plume d’oie, aux horaires latins.

La lettrine en couleurs est compliquée et large;
Dessinée au trait rouge, elle éclate dans l’or
Et semble, débordant, superbe, sur la marge
Une fleur oubliée et toute fraîche encor.

Et voici Jean Fouquet, oeuvrant le livre d’Heures
Du contrôleur royal Etienne Chevalier,
Peignant Agnès Sorel qu’un léger voile effleure,
Charles VII et René, piétons et cavaliers.

Puis, voici Bourdichon pour Anne de Bretagne,
Figurant tour à tour de son subtil pinceau
La fleur, le fruit qui sur le rameau l’accompagne,
Et Jésus et les saints, et l’insecte et l’oiseau.

Memling, Van Eyck, d’un trait sûr, d’une touche vive
Immortalisent l’art flamand sur le vélin.
Puis des Italiens la Renaissance arrive
Et de l’enluminure apporte le déclin.

L’on taille dans le bois de menus caractères,
On les presse, enduits d’encre, à plat sur le papier,
C’est la xylographie. Enfin, sortant de terre,
L’Imprimerie avec Gutenberg va briller.

Pour envahir le monde, elle est née à Mayence.
Wolgemuth, Schongauer, vieux maîtres allemand,
Albert Dürer, au fin buron plein de vaillance,
Par elle ont reproduit leurs caprices charmants.

Venise à ce moment rayonne sur le monde,
Manuce fait régner son ancre et son Dauphin.
Après Vostre et Vérard, chez nous le livre abonde;
Dans Paris est Estienne et dans Anvers Plantin.

Au gothique pointu succède l’italique,
Les Elzevier à Leyde impriment Cicéron,
Cependant que Callot, au crayon satirique,
Précède Abraham Bosse au trait moelleux et rond.

La Régence caresse un livre maniable,
Où la vignette est due au délicat Watteau;
Cochin le fils y montre un talent agréable,
Boucher sait y graver des nymphes sans manteau.

Eisen ajoute encore aux vers de La Fontaine,
Moreau le jeune illustre et Molière et Rousseau,
Donne entre tous au livre une gloire certaine,
Et d’un siècle galant y met l’éternel sceau.

Dirai-je les Didot? La gloire du Racine?
Deveria gravant des fronts mystérieux!
Borel et les sujets macabres qu’il dessine,
Et Prudon révélant Chloé nue à nos yeux;

Meissonier façonnant des clichés impeccables,
Et Traviès et Daumier amusant le Journal,
Gavarni, caricaturiste infatigable,
Et Granville voyant l’homme dans l’animal;

Et Doré, ce Michel-Ange de la vignette,
Et l’éditeur Curmer? Et ceux-là, moins connus,
Dont le nom se déchiffre aux pages qu’on feuillette,
Dont les talents divers jusqu’à nous sont venus?

Non, je me dois encore aux belles reliures:
Soit que l’ivoire y soit patiemment taillé,
Ou que la perle y brille au milieu des dorures
Et de la riche étoffe et du cuir travaillé.

Voici les coins ferrés des évangéliaires
Vêtus de soie ou de velours ou de damas;
Les psautiers de drap d’or, livres nobiliaires
De diverse épaisseur et de divers formats.

Grolier avec amour couvre le dos des livres
De rinceaux somptueux; il décore les plats
De fleurons azurés. Le Gascon va le suivre
Et combine à son tour d’élégants entrelacs.

Et nos contemporains, quelle illustre phalange!
Trautz, Padeloup, Cuzin et Marius Michel,
Et Derome… Chacun dans mes rythmes se range,
Gruel, Lortic… Chacun répond à mon appel.

Beraldi plein d’humour, Brunet, Brivois, Uzanne
Chevauchant la chimère en vol vers l’idéal.
Leloir peignant Manon, suave courtisane,
Grasset campant les fils Aymon sur leur cheval.

Avril, Delors, Rudaux, pleins de charme et de grâce.
Rochegrosse les yeux éblouis d’Orient;
Adam, Merson fixant le passé qu’il embrasse,
Et Flammeng, et Toudouze, et Beaumont, et Le Blant.

L’inimitable Rops peint la femme charnelle,
La prêtresse d’Eros. Le crayon de  Forain
Apporte à la satire une forme nouvelle;
Vidal voit d’un autre oeil l’amour contemporain.

Bons graveurs, imprégnant vos cuivres de votre âme,
Boisson, Bida, Boilvin, Champollion, Jacquet,
Gaujean, Lalauze, tous, la gloire vous réclame.
Puis vous dont la vitrine a des trésors, Conquet,

Aimable et souriant, Ferroud, homme olympique;
Boussos, que les badaus lorgnent au boulevard;
Jouaust trop abondant, Mame l’évangélique,
Et trop vite partis!… Vous Launette et Testard!!!

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Et Girardos ému devant la maison close
De Pailletos chantait. Et le nuage rose,
Et l’arbre vert debout sur le chemin, l’oiseau
Qui s’enfuit, et le vent qui courbe le roseau,
Le nid qui chante et l’eau des ruisseaux qui murmurent,
Tout l’écoutait.

                         Alors les huis de fer s’émurent,
Et l’on vit comme un père au-devant de son fils
Apparaître le Chef de Bibliopolis.


Albert Girard.

Les images sont tirées de l’exemplaire n°73 de l’édition originale et unique, imprimée pour Girard en 1896 par Chamerot et Renouard, avec les compositions de Paul Avril. Exemplaire de De Claye, relié par Carayon, avec envoi de l’auteur.


7 Commentaires

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