Amis Bibliophiles bonjour,
Ancien greffier de la ville de Reims, Jean de Foigny était fiancé à la belle-fille de Nicolas Bacquenois, troisième imprimeur installé à Reims, rue Saint-Étienne (aujourd’hui rue de l’Université), quand il fut formé à la typographie par son futur beau-père. Quand ce dernier accepta de devenir le premier imprimeur de Verdun en 1560, Jean de Foigny lui succéda.
Dans une ville qui deviendra la capitale de la Sainte Ligue, confédération catholique créée pour combattre l’Union calviniste, Foigny fut l’imprimeur du cardinal Charles de Lorraine, puis du cardinal Louis de Guise, et imprima surtout les textes des ecclésiastiques de la Contre-Réforme, parmi lesquels figuraient : Gentian Hervet, chanoine de Notre-Dame de Reims et auteur d’une traduction française du Sainct, sacré, universel et général concile de Trente en 1564 ; Nicolas Chesneau, homonyme du libraire parisien, chanoine de Saint-Symphorien de Reims et auteur d’un Manuel de la recherche ou antiquité de la foy en 1570 et de la traduction de L’Histoire de l’Eglise métropolitaine de Reims, par Flodoard, en 1580 ; Hubert Meurier, autre chanoine de Notre-Dame de Reims et auteur d’un Traicté de l’institution et vray usage des processions en 1583 ; Nicolas Boucher, évêque de Verdun et auteur de La Conjonction des lettres et des armes en 1579.
Foigny imprima aussi des textes de catholiques anglais réfugiés à Reims, qui avaient fui les persécutions de la reine Elisabeth Ire. Parmi eux se trouvaient le cardinal William Allen, fondateur du collège anglais de Reims en 1578, l’évêque John Lesley, défenseur de Marie Stuart, et Gregory Martin, traducteur du latin en anglais de The New Testament of Jesus Christ en 1582.
Foigny imprima également ses propres textes : L’Oraison funèbre de François de Lorraine, traduite du latin, en 1563, Le Sacre et coronnement du roy de France, en 1575, et La Vallée des fleurs de lis, traduite du latin, en 1576.Enfin, il fut l’imprimeur, en 1571, du seul Processional connu pour la cathédrale de Reims, antérieur au xviie siècle, et l’imprimeur du nouveau Bréviaire imposé par le pape Pie V en 1568, dont on ne connaît pas d’exemplaire.
Imprimeur éditeur, Foigny partagea néanmoins quelques éditions : avec son beau-père, Nicolas Bacquenois, qui les imprima à Reims ou à Verdun ; avec des libraires parisiens, Guillaume Nyverd et surtout Nicolas Chesneau ; avec un libraire de Soissons, Guérin Boniau.
Veuf de Françoise Gaulme-Bacquenois, avec quatre enfants, Jean de Foigny épousa en secondes noces Catherine Jabot, sœur du médecin du roi Henri IV, qui lui donnera cinq fils, dont trois seront prêtres et deux imprimeurs à Reims. Foigny mourut au cours du second semestre de l’année 1586 : pendant un quart de siècle, il avait imprimé 139 titres et 7 affiches qui sont parvenus jusqu’à nous. Sa veuve lui succéda.
Quand Bacquenois quitta Reims pour Verdun, il laissa une grande partie de son matériel à Foigny caractères romains et italiques surtout ; Foigny n’employa qu’une fois la lettre gothique, en 1576, et très peu le caractère grec. Par contre, il utilisa un contingent important de lettrines, dont certains modèles étaient communs à d’autres imprimeurs :des lettres avec filet encadrant le motif, dont les fonds sont criblés, ou rayés anthropomorphes (le caractère « I » appartient à un alphabet signé « T » ayant appartenu à l’imprimeur lyonnais Thibaud Payen, originaire de Troyes et maître de Bacquenois), ou rayés zoomorphes, ou rayés à rinceaux fleuris, ou blancs.Des lettres sans filet, noires ou blanches.
Dans ses ouvrages consacrés au sacre du roi Henri III, Foigny a utilisé en 1575 un bois représentant l’évêque Saint Remi recevant la Sainte Ampoule apportée par une colombe sortant des nuages ; à la droite du saint, la mention « Sanctus Remigius » et deux fleurs grossièrement gravées ; à sa gauche, les armes de l’abbaye de Saint-Remi, surmontées de la colombe ; le bois est signé de la double croix ou croix de Lorraine.
Ce bois avait été utilisé en 1549 par Yolande Bonhomme, veuve de l’imprimeur parisien Thielman (I) Kerver, décédé en 1522, pour la page de titre d’un bréviaire à l’usage de Saint-Remi : il a été mutilé par Foigny, car il présentait à la droite du saint les armes de Robert de Lenoncourt, abbé de Saint-Remi, puis archevêque de Reims, mort en 1531, surmontées du chapeau à vingt glands.On sait que Yolande Bonhomme, décédée en 1557, et son fils Jacques Kerver, décédé en 1583, furent parmi les acqu éreurs du matériel de l’imprimeur Olivier Mallard, successeur du célèbre graveur parisien Geofroy Tory : mais on sait aussi que la marque de la croix de Lorraine n’était pas seulement celle de Tory, mais aussi celle du graveur lorrain Claude Wœiriot.
Par contre, Foigny posséda au moins un autre bois attribué à Tory, représentant une crucifixion et signé «GT»: ce bois ressemble étrangement à celui, non signé et à 6 soldats au lieu de 7, utilisé successivement par Yolande Bonhomme en 1546 ? Thielman (II) Kerver en 1585 et Jean Garnier, imprimeur à Troyes au xviiie siècle.
Foigny a pu acheter ces deux bois à Jacques Kerver.L’encadrement gravé sur bois de la page de titre et du feuillet 133, et le portrait gravé sur cuivre du cardinal de Lorraine, entre les feuillets 127 et 128, de La Conjonction des lettres et des armes de 1579, proviennent du matériel de l’imprimeur parisien Fédéric [sic] Morel, originaire de Troyes et décédé en 1583. Le portrait du cardinal, non signé et daté 1575, alors que le cardinal est mort en 1574, pourrait être l’œuvre de Pierre Wœiriot, frère cadet de Claude. De 1564 à 1584, Foigny utilisa la marque de son beau-père dans 11 éditions : une marque « Au lion », en souvenir de la ville où Bacquenois avait fait son apprentissage et où il s’était installé avant de venir à Reims.C’est en 1564 que Foigny utilisa pour la première fois sa propre marque « Au lion » (36 x 40 mm.), inspirée de celle de son beau-père et dont le graveur n’a pas été identifié : le roi des animaux est dressé contre une pyramide, emblème du cardinal de Lorraine, sur fond de paysage fluvial éclairé par le soleil levant, dans un cartouche ovale dont le bord supporte la devise de Bacquenois, « Sequitur fortuna laborem » (Le succès est le fruit de l’effort). Il l’utilisera seulement dans 29 éditions.
Jean-Paul Fontaine
Merci beaucoup Jean-Paul.Hugues
Le "Cazin" est fini depuis longtemps aussi, et pratiquement mis en page, et sera, peut-être, édité….. en Belgique !
Il faut bien avouer qu'en période de crise, Cazin n'est pas un sujet qui risque de renflouer les caisses d'un éditeur !
Jean Paul :
On attend aussi ton livre sur Cazin, s'il a trouvé un éditeur.
Hugues nous en annonçait la publication "en 2011" dans son message du 24 août.
à Textor,
Le "Jadart-Fontaine" est prêt : trouvez-moi un éditeur.
Quant aux témoignages de ceux qui ont imprimé et édité ces ouvrages anciens qui nous passionnent, il y en a beaucoup plus qu'on le croit : mais il faut aller les chercher, le plus souvent aux archives municipales, départementales et nationales,en particulier archives notariales qui gardent au secret des actes d'association, de mariages ou de succession qui nous en apprennent beaucoup sur leur vie de tous les jours, ou presque.
Quant à leur matériel, le bois (presses,gravures, etc) a eu du mal à résister au temps, et le métal (caractères en particulier) a été utilisé depuis longtemps par les chasseurs pour fondre leurs plombs : je hais les chasseurs.
Ce commentaire a été supprimé par l’auteur.
Cette vente ne m’avait pas échappée, bien sur. Il y a des petites choses intéressantes …
Mais chaque chose en son temps, demain, c’est le salon de Redon, l’évènement incontournable du Grand Ouest, qui est au bassin de la Vilaine ce que le Grand Palais est à Paris !
@Jean Paul, à quand le Jadart et Fontaine ? 😉 J’avais repéré l’article sur Foigny parue dans "Travaux de l'Académie nationale de Reims" en 1989, mais pour aller plus loin, il faudrait que j’aille à la bibliothèque…le blog c’est le media des fainéants.
T
Bah je suis d'accord Textor, évidemment.
Mais s'ils vous mettent encore la larme à l'œil ces bois, combien de sueur versée (et d'yeux usés) dans ce genre de catalogues pour maintenir à flot des connaissances qui les font exister encore…
Alors, émouvant, oui, le bois (mais bon à 12000 euros il est bien des choses qui m'émeuvent), émouvant aussi ces gros volumes (qui finiront peut-être à 12000 euros).
Et puis je crois que vous êtes un voisin de cette vente, si j'étais aussi près je crois que j'irais y jeter un oeil à ces méchants volumes sans pages de titres, sans avant-propos. De "simples" outils de travail en somme.
Comme un bois d'imprimeur.
Amitiés (quasi) bretonnes,
Olivier
Et bien moi, ils me font rêver ces vieux bouts de bois vermoulus, autant qu’un carré de porc estampé, ou un vieux catalogue sur l’occultisme. Ils participent de l’histoire incroyable du livre. On a conservé finalement des tas d’ouvrages et si peu de témoignage de ceux qui les ont fabriqués.
Textor
Moi ce qui exciterait ma fibre bibliographe si j'en étais un ce serait :
CAILLET Albert-L. – Manuel bibliographique des Sciences Psychiques ou Occultes.
P., Dorbon 1912, 3 tomes en 4 forts vol. grand in-8°, reliés demi-maroquin, dos à nerfs, chiffre en pied.
C’est l’exemplaire de référence de la librairie Dorbon (sans pages de titre, ni avant-propos) entièrement interfolié. Chaque volume comporte
de nombreuses annotations manuscrites : sur le texte imprimé des notes complémentaires aux descriptions données par Caillet, concernant
éditeurs et collations ; sur les feuillets interfoliés sont soigneusement fichés environ 3500 livres acquis au cours des années par la librairie
Dorbon ou relevés par son bibliographe dans les catalogues d’autres libraires spécialisés dans les sciences occultes : variantes des livres
décrits par Caillet ou, pour la plupart, ouvrages inconnus de celui-ci. Ont été également reliés (ou joints) dans cet exemplaire quelques
fiches manuscrites décrivant plus longuement des ouvrages rares présentant des particularités remarquables -typographiques, ex-libris
peu courants, etc. ainsi que des feuillets détachés de catalogues de libraires ou articles imprimés relatifs à des raretés bibliographiques.
Également jointe à l’exemplaire le contrat signé en 1925 entre la librairie Dorbon et Colin de Larmor pour la diffusion des Merveilleux
Quatrains de Nostradamus.
Cet exemplaire unique répertorie ainsi plus de 15.000 ouvrages sur les sciences occultes (soit près de 4.000 ajouts) et constitue un
répertoire bibliographique exceptionnel. Il est passé de la librairie Dorbon à la librairie Pierre Bérès et a figuré dans la première vente des
ouvrages de celle ci sous le n° B 247. 1 500 / 2 000 €
Non?
Bonne soirée,
Olivier
J'ai juste eu le temps d'empêcher la moutarde de me monter au nez …
Moi ça m'a fait tousser…
🙂
H
J'ai oublié : 12 000 € pour un bout de bois représentant l'herbe à éternuer … c'est un peu cher, non ?
Le bibliophile, que je suis peut-être, doit préciser qu'il préfère publier sur papier que sur écran, pour des raisons …variées (goût, survivance ou conservation, diffusion, etc.), certainement en rapport avec l'âge et l'éducation/formation.Aucun de mes "maîtres" n'a publié sur l'écran, et pour cause : la plupart sont au paradis des gens de lettres depuis quelques années.
J'ajouterai, par honnêteté, que j'utilise,par facilité peut-être,et sûrement de façon à faire plaisir aux amis, assez souvent des publications anciennes sur papier pour l'écran, en les rafraîchissant et en les présentant sous un autre angle : cette petite promenade dans le matériel typographique du XVIe siècle (qui m'a été inspirée par la discussion sur les marques aldines chez notre Ami Bertrand)est un résumé d'une étude plus approfondie sur "Jean de Foigny imprimeur à Reims de 1551 à 1586" parue dans "Travaux de l'Académie nationale de Reims" en 1989 (p. 173-202).
Anecdotiquement, et en restant dans le sujet évoqué par Textor : j'ai retrouvé la présence de marque "au lion" de Nicolas Bacquenois (ca.1518-1576), imprimeur à Reims puis à Verdun,gravée sur bois vers 1552-1553,en 1894 à Châlons-sur-Marne.Une génération plus tard, la Grande Guerre, tellement destructrice en Champagne et en Ardennes, l'a probablement livrée au feu …
Je vois que nous avons tous lu le même catalogue hier soir! 🙂
Bonsoir,
Si j'ai bien compris ce bois n'a pas été réutilisé par Duhamel du Monceau et a survécu, contrairement aux 154 réimprimés.
En 1552 à Lyon, Thibault Payen utilise un C et un L à fonds criblés curieusement encochés comme le O (4) présenté ici, avec décor de petites fleurs également.
Lauverjat
Oui l'amitié, bien sur. Mais j'ai mal posé ma question, je me demandais si l'écriture, le style, le thême choisi, etc étaient influencés par la qualité et le format du support, papier glacé ou écran d'ordinateur. Votre réponse suggère que non.
Au XVième siècle, je constate que les troyens ne parlaient qu'aux troyens. Ils travaillaient ensemble, se passaient leur bois, s'épousaient à l'occasion.
Cette longue utilisation du matériel typographique m'a toujours intrigué. les bois auraient du s'user sous la presse, au lieu de cela il survivaient à l'imprimeur ! Une librairie parisienne propose en ce moment un bois qui a servi à l'impression à Prague du Mathiole en 1563, puis qui partit à Venise chez Valgrisi pour l'édition italienne avant que Duhamel du Monceau ne le réutilise en 1755 !! 200 ans de bons et loyaux services, et même 450 ans si la NRLA réimprime ce bois !! 🙂
Textor
L'amitié, bien sûr, et
que ce soit sur le blog, dans la NRLA, dans le Magazine du bibliophile ou dans une autre publication savante, l'essentiel c'est de partager et de susciter en même temps des questions afin de compléter nos connaissances, à tous.
La solidarité et l'amitié?
🙂
H
Pour des articles de fonds comme celui-ci, qui m’a fait découvrir, entre autre chose, un homonyme au Nicolas Chesneau que je connaissais, j’avais envie de vous demander, mais sans doute la question est-elle indiscrète, quel est le motif qui vous fait privilégier le support d’un blog plutôt que celui de la NRLA ?
T
Super, merci Jean-Paul… Je continue mon initiation… D'ailleurs mes premières "vraies" acquisitions (càd réfléchies et voulues) ante 1750 intègrent ma bibliothèque en ce moment, grâce à vous Messieurs… Bon, pour une impression de Jean de Foigny, je suis encore un peu "frais", et pas assez riche, mais maintenant je peux désirer, ce n'est pas le meilleur, mais c'est le début !
Super, merci Jean-Paul… Je continue mon initiation… D'ailleurs mes premières "vraies" acquisitions (càd réfléchies et voulues) ante 1750 intègrent ma bibliothèque en ce moment, grâce à vous Messieurs… Bon, pour une impression de Jean de Foigny, je suis encore un peu "frais", et pas assez riche, mais maintenant je peux désirer, ce n'est pas le meilleur, mais c'est le début !
Excellent !
Voilà le genre d'article qui part rejoindre illico ma base documentaire pour le cas où je rencontre un jour cet imprimeur.
Bon Dimanche
Textor