Amis Bibliophiles bonsoir,
En écho à l’article sur le Calendrier des Bergers paru dans le deuxième numéro de La Nouvelle Revue des Livres Anciens et à celui que j’avais écrit sur le blog sur Le Messager Boiteux (http://bibliophilie.blogspot.com/2008/01/le-messager-boiteux.html), René vous propose ce soir un article sur l’Almanach des Bergers.
« Dans l’un des plus célèbres romans de Balzac, « Illusions perdues », David Séchard rachète l’imprimerie paternelle à des conditions très défavorables et se retrouve rapidement proche de la ruine. Il recherche en secret un procédé permettant de produire du papier à faible coût. Pendant ce temps, son épouse Eve essaie de lui venir en aide en faisant tant bien que mal tourner l’imprimerie.« Eve, qui remuait tout dans l’imprimerie, y trouva la collection des figures nécessaires à l’impres-sion d’un almanach dit des Bergers, où les choses sont représentées par des signes, par des images des gravures en rouge, en noir ou en bleu. Le vieux Séchard, qui ne savait ni lire ni écrire, avait jadis gagné beaucoup d’argent à imprimer ce livre destiné à ceux qui ne savent pas lire. Cet almanach, qui se vend un sou, consiste en une feuille pliée soixante-quatre fois, ce qui constitue un in-64 de cent vingt-huit pages. Tout heureuse du succès de ses feuilles volantes, industrie à laquelle s’adonnent surtout les petites imprimeries de province, madame Séchard entreprit l’Almanach des Bergers sur une grande échelle. »
Ce curieux almanach populaire imprimé en rouge et noir, qui semble destiné à un public illettré, est d’une telle complexité de signes qu’il faut bien penser, comme Nisard (Histoire des livres populaires), qu’il n’en est rien. « Je ne sache pas qu’il y ait quelque chose au monde de plus bizarre, de plus original. Figurez vous un almanach sans texte, ou du moins sans celui pour lequel un almanach est particulièrement fait, c’est à dire l’indication des jours et des quantièmes du mois. Ces renseignements si essentiels sont donnés en caractères hiéroglyphiques, de telle sorte que, s’il est vraiment comme on est fondé à le croire d’abord que ce livre est destiné aux gens qui ne savent pas lire, il faut nécessairement que, pour parvenir à deviner et à savoir par coeur ces caractères, ils fassent cent fois plus d’efforts d’intelligence et de mémoire qu’ils en feraient seulement à lire l’écriture vulgaire ». Nisard s’extasie sur ce livre extraordinaire pendant plusieurs pages, à grand renfort de descriptions, et uniquement « pour les bibliophiles ».Parmi ces signes hiéroglyphiques, on peut noter : « bon sevrer les enfants, bon prendre des pilules, bon couper les ongles, etc. ».
L’archétype de ce genre d’almanach est évidemment le Compost et kalendrier des bergers (voir NLRA n° 2).Cependant un des plus célèbres almanachs « modernes » est celui de Mathieu Lansbert dit « de Liège » publié pour la première fois en 1636 par Léonard Streel et continué par les héritiers et descendants, les Bourguignon, sous les noms successifs de Laensbergh puis Mathieu Lansberg qui désigne cette publication depuis trois siècles.
Imprimée en rouge et noir, et richement illustrée, cette édition populaire contient, outre le calendrier des mois, les dates des fêtes et foires mobiles, des éclipses, une liste des prédictions pour l’année en cours et se termine par l’almanach des bergers avec les douze signes célestes gouvernant le corps humain.
Cette petite publication bon marché se retrouvait partout : dans les auberges, les fermes, les châteaux et même chez les Princes. Elle rythmait les saisons et on y trouvait des conseils pour les cultures et les récoltes, les horaires de diligences, des proverbes, etc.
Son succès tenait aussi au fait qu’il relatait des événements remarquables arrivés en Europe et dans le monde. Ces textes qui atteignaient toutes les couches de la population suscitaient la méfiance des gouvernements. Cependant Napoléon avait compris qu’on pouvait l’utiliser comme « outil de communication ».Une anecdote raconte que la Comtesse du Barry avait cru y découvrir, en 1774, l’annonce d’une mauvaise nouvelle pour le mois d’avril. Le 27 avril Louis XV contracta la variole et en mourut le 10 mai.
C’est donc en annexe du Mathieu Lansberg qu’on trouvait le fameux Almanach des bergers destiné aux illettrés. Comme le calendrier des mois, il est illustré de petites gravures assez frustes mais qui ne manquent pas de sel.
Qui était Mathieu Lansberg ? Malgré les recherches et hypothèses diverses – un chanoine, un mathématicien, un astronome, etc – on n’est jamais parvenu à identifier ce personnage qui n’a probablement jamais existé et qui fut sans doute une pure création de l’imprimeur.
Au XVIIII siècle, un chroniqueur français se gaussait de l’almanach en disant que Liège n’était connue de la République des Lettres que grâce à Mathieu Lansberg.L’almanach était vendu soit simplement broché ou en « reliure d’édition » parfois même avec les tranches dorées, les plus aisés le faisait relier plein veau. Souvent l’éditeur ajoutait des feuillets vierges où on pouvait apporter des annotations personnelles, le papier était peu courant et difficile à se procurer. Au XVIIIe siècle on allait jusqu’à utiliser des cartes à jouer en guise de carte de visite manuscrite ou pour rédiger un reçu.Interrompue pendant la guerre 14-18, la publication se poursuivit même pendant la Seconde Guerre mondiale mais sous l’étroite surveillance de l’occupant. Après être passé par divers éditeurs successifs – Vve Bourguigon, Collardin, Renard & Frères, Duvivier-Sterpin, Ista, De Neef, le dernier almanach de Mathieu Lansberg paru en 1959 pour l’année 1960 chez l’imprimeur liégeois Vaillant-Carmanne. D’après les exemplaires que je possède, il semble que l’annexe Almanach des Bergers ait disparu vers 1910.Cependant, aujourd’hui, en l’an de grâce 2010, les éditions Casterman publient toujours un Grand Double Almanach Belge dit de Liège qui en est à 186e année. Il est vendu au prix de 3.95 euros.
Merci René!H
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Est-il possible de trouver une version numérisée du premier almanach ?
"Pourquoi donnons-nous notre argent pour l'Almanach de Mathieu Lansberg ? Ne pourrions-nous pas composer chez nous un pareil chef-d'oeuvre ? il se tire à soixante mille exemplaires."
[Mercier Louis-Sébastien]. Tableau de Paris. Nouvelle édition corrigée & augmentée. Amsterdam, s.n., 1789, t. XII, p. 183.
Bibliographie (imaginaire ?) :
– Béthune (Léon)."Matthieu Lansbert, l'inventeur du célèbre almanach".Liège, Vaillant-Carmanne, 1901.
– Boussart (Jean-Denys)."Matheu Laensbergh, l'astronomie et la météorologie dans le folklore et la littérature dialectale à Liège". In "La Vie liégeoise",1973,avril, n° 4, p. 3-15.
– Denis (Auguste). "Recherches sur les almanachs de la Champagne et de la Brie". Châlons, 1880.
-Fontaine (Jean-Paul) : "Les éditions rémoises de l'almanach de Mathieu Laensbergh :note pour servir à son histoire". In "Le Bibliophile rémois", n° 30, avril 1993, p. 5-9.
– "L'Intermédiaire des chercheurs et curieux". Paris, 1891, p. 216-217.
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Il n'y a pas eu de reprises éphémères, mais bien une publication régulière jusqu'en 1985 (voir Catalogue exposition imprimerie Vaillant-Carmanne à la Bibliothèque des Chiroux, à Liège).
Sébastien Mercier prétend que l'almanach était tiré à 60 000 exeplaires.
L'almanach eut de nombreux imitateurs, tant en France qu'en Belgique. A Reims, les éditions se succédèrent à partir de 1797 sous le titre "Le double (et véritable) Almanach (journalier) de Liège", avec des variantes entre parenthèses.
Je connaissais l’intérêt de Nisard, dans son histoire des livres populaires, pour ce type d’almanach. L’occasion ne m’a pas fait encore rencontrer un exemplaire de ce curieux petit livre ou, en tout cas, mon attention n’était pas éveillée en chinant chez les libraires. Voila qui est révolu !
Merci René. Pierre (La référence aux illusions perdues m’a rappelé de bons souvenirs de lecture)
Merci à Rhemus pour l'intéressant commentaire.
Ma collection ne débute que vers 1800 à l'époque des Bourguignon – Barnabé et sa Vve m'étaient inconnus. Quelques exemplaires du début XIXe sont anonymes et portent seulement l'indication de lieu – A LIÈGE. Cependant la typographie et certaines vignettes sont probablement de Bourguignon. Ces exemplaires fournissent les dates des Foires et des Fêtes des départements de la Seine et limitrophes ; ils ne comportent pas l'Almanach des Bergers et sont recouverts de papier dominoté.
Selon mes sources, après la dernière publication de l'Almanach Laensbergh par Vaillant-Carmanne en 1960, il y eut quelques tentatives de reprise mais qui furent éphémères ; sans doute, comme vous l'indiquez jusqu'en 1985.
René de BlC
Matthieu Laensbergh n'a effectivement jamais existé. L'imprimeur Léonard Streel édita un almanach sous ce nom imaginaire, pensant que le succès serait assuré s'il utilisait la réputation d'un contemporain, Philippe Lansbergh, auteur de "Tables astronomiques perpétuelles". Il ne s'est pas trompé. Les successeurs de Streel furent successivement : la veuve Streel, G. Barnabé, la veuve Barnabé, S. Bourguignon, la veuve Bourguignon, P.J. Collardin, Renard et frères, L. Duvier-Sterpin, Ista-Doyen et Cie et Vaillant-Carmanne JUSQU'EN 1985.