La belle histoire de « l’ouvrage le plus rare de l’année 1897 »: les commentaires de la Guerre Gallique de la Société des Bibliophiles François

Amis Bibliophiles bonjour,
Au lendemain de Marignan, le Roi François 1er se souvint que quinze siècles auparavant un grand capitaine avait vaincu les Suisses et raconté sa campagne dans un livre immortel.
Le Roi voulut le lire et commanda qu’on lui mît en bon français le récit de ce prédécesseur.

C’est à sa royale fantaisie que nous devons les trois volumes de l’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui… et je vous livre un message à quatre mains, les miennes et celles du Baron de Noirmont.
La Société des Bibliophiles François, sous l’inspiration d’un Prince issu du même sang glorieux que le Roi François 1er, décida de reproduire ces trois volumes, et ils furent réimprimés pour ses vingt-neuf membres.
Précieux monuments de l’art du miniaturiste au XVIe siècle, ils ont mérité l’attention des écrivains qui ont étudié l’histoire des arts sous la Renaissance et particulièrement le Comte de Laborde, qui leur a consacré plusieurs pages du plus haut intérêt…

Le destin de cet ouvrage fût cahotique… On suppose ainsi qu’il fut sorti du trésor royal au temps de la Ligue, soit par le pillage du cabinet du roi Henri III dont les dépouilles furent vendues à l’encan devant l’Hôtel de ville, soit par les vols commis dans la bibliothèque du Roi, transportée de Fontainebleau à Paris sous le règne de Charles IX.

Jean Gosselin qui était à cette époque garde de la bibliothèque, dans une note écrite au verso de la reliure d’un manuscrit intitulé La Marguerite des vertus et des vices, accuse le président de Nully « de s’être saisi de la bibliothèque Roi environ la fin du mois de septembre, ayant fait rompre la muraille pour entrer en ladite librairie, laquelle il a possédée jusqu’environ la fin du mois de mars de l’an 1594… Durant le temps susdit ont été emportés de la dicte librairie plusieurs livres dont le commissaire Chenault fit enquête après que le dict Président eut rendu cette librairie ». A la suite et dans une seconde note, Jean Gosselin signale les tentaives faites par le célèbre ligueur Rose, évêque de Senlis, familier ami du Président susdit, et d’autres ligueurs de moindre importance « pour posséder la dicte librairie. Mais feu de bonne mémoire le président Brisson, à ma requête et sollicitation, a empêché leur intention ».
Ce certificat délivré au président Barnabé Brisson est en contradiction avec un passage des lettres de Scaliger qui l’accuse d’avoir transporté à son hôtel beaucoup de livres et de manuscrits de la librairie du Roi qu’après sa mort sa veuve avare vendit pour un morceau de pain (vidua avara frustro panis, si ita loqui fas est, dividendi).
Nous ne pouvons dans ce rapide aperçu éclaircir un point d’histoire qui n’intéresse d’ailleurs que la mémoire du président Brisson. Il nous suffit de constater ici que de nombreux livres furent détournés, et qu’il nous est permis de compter l’ouvrage qui nous intéresse parmi ceux dont inutilement « le commissaire Chenault fit enquête ».
Dispersés par les événements, les trois volumes des Commentaires de Guerre Gallique sont restés séparés. Et ils le sont toujours.

Le tome premier reparaît peu de temps après dans la bibliothèque de Christophe Justel, conseille et secrétaire du Roi, ainsi que l’apprend une note écrite au recto du premier feuillet (bibliothecae Christofori Justelli)… Quelque temps avant la révocation de l’édit de Nantes, Justel passa en Angleterre avec sa bibliothèque. Il devint bibliothécaire du Roi d’Angleterre et mourut en 1698. Après lui ce premier tome passa dans la bibliothèque de lord Harley et entra avec la collection Harléienne au British Museum.

Le deuxième volume est arrivé aux mains de M. Van Praet d’une source inconnue. Il a été acheté par lui pour le compte de sfrères de Bure, les grands libraires, qui l’ont légué à la Bibliothèque Nationale où il est entré en 1852.
Le troisième était la propriété d’un Tourangeau, qui après l’avoir gardé quarante ans dans son armoire, le donna au colonel Lacombe sans dire d’où il était venu (NDLR: j’adore ce passage, qui stimule mon imagination fertile). Il fut acheté par le libraire Téchener, qui l’a revendu en 1854 à Mgr le duc d’Aumale. Il est maintenant un des joyaux de la bibliothèque de Chantilly.

Ils seront donc séparés à jamais. Heureusement, grâce aux Bibliophiles François, les trois livres furent rassemblés le temps de réimprimer l’ouvrage à 31 exemplaires: 29 exemplaires pour les membres – celui-ci étant l’exemplaire du Prince de Metternich – , un pour le British Museum, un pour la Bibliothèque Nationale.
L’œuvre consiste en un dialogue entre François 1er et César. La première apparition du romain au roi de France est supposée avoir eu lieu « le dernier jour d’Avril, ung moys après la nativité de son second fils en son parc de Saint-Germain-en-Laye ». S’ensuivent plusieurs apparitions dans des forêts ou des parcs.

Au-delà des qualités de l’impression, c’est la beauté de l’illustration qui frappe le lecteur : les miniatures sont magnifiques, admirablement réhaussées par les miniaturistes Benard et Guerrier, et le style de Godefroy est superbe, qui mélange les costumes romains, comme on les comprenait à la Renaissance, et les costumes italiens des premières années du XVie siècle. Ils ont d’ailleurs beaucoup d’analogie avec ceux des personnages antiques figurés par Donatello et Mantegna.


Laissons la parole à Janin dans l’Almanach du bibliophile pour l’année 1898, pages 131-132.« Terminons enfin cet exposé critique des livres de l’année, sur le dernier volume des Commentaires de la Guerre Gallique, réédités aux frais de la Société des Bibliophiles François. Les Commentaires de la Guerre Gallique ne sont point un livre, mais un manuscrit, en trois tomes, que les Bibliophiles françois ont reproduit en fac-simile, pendant le cours des années 1895, 1896 et 1897.


Mais c’est, à coup sûr, une curiosité de bibliothèque, et plus encore une œuvre de grand art, par le soin minutieux qui a été apporté à la reconstitution exacte de l’original. Les nombreuses et superbes miniatures que fit Godefroy le Hollandais pour illustrer la traduction libre de Albert Pighe, de Campen, en Hollande, mathématicien ami d’Erasme, à qui François 1er avait confié le texte, — première traduction française de l’ouvrage de Jules César, — ont été rendues avec la fidélité scrupuleuse que permettent aujourd’hui les procédés photographiques mis en œuvre avec habileté, et corrigés par un artiste. Le texte, manuscrit dans l’original, est imprimé, dans la reproduction, avec un corps antique de noble aspect. L’ouvrage ainsi transposé a un caractère de réelle grandeur, et mérite les éloges les plus absolus.
Les manuscrits sont, l’un au British muséum, l’autre à la Bibliothèque Nationale, le troisième à Chantilly ; la réédition n’a été faite qu’à 31 exemplaires, dont deux seulement ont été déposés dans les collections publiques, du British, à Londres, et de la Nationale, à Paris. C’est certainement l’ouvrage le plus rare de cette année 1897, qui, en fin de compte, n’aura pas été l’année de la Comète du livre. »
H

14 Commentaires

  1. Great post. I was checking continuously this blog and I’m impressed! Extremely helpful info specially the last part 🙂 I care for such info much. I was seeking this particular info for a very long time. Thank you and good luck.|

  2. Quand la bibliophilie atteint à la Trinité, c'est très beau. Ces trois reliures semblent une perfection d'équilibre. Félicitation pour cette superbe acquisition qui doit porter le bibliophile Hugues proche du Paradis.

    Daniel B.

Les commentaires sont fermés.