Aux frontières de la bibliophilie: l’Index Librorum Prohibitorum made in France, ou la liste Otto des ouvrages interdits sous l’Occupation.

Amis Bibliophiles bonjour, 
« Désireux de contribuer à une atmosphère plus saine et dans le souci d’établir les conditions nécessaires à une appréciation plus juste et objective des problèmes européens, les éditeurs français ont décidé de retirer des librairies et de la vente, les ouvrages qui figurent sur la liste suivante et sur des listes analogues qui pourrait être publiées plus tard. Il s’agît de livres qui, par leur esprit mensonger et tendancieux ont systématiquement empoisonné l’opinion publique française; sont visées les publications de réfugiés politiques ou d’écrivains juifs, qui, trahissant l’hospitalité que la France leur avait accordée, ont sans scrupules poussé à une guerre, dont ils espéraient tirer profit pour leurs buts égoïstes.
Les autorités allemandes ont enregistré avec satisfaction l’initiative des éditeurs français et ont pris de leur côté les mesures nécessaires ». Paris, September 1940. 

C’est par c’est quelques lignes que débute le document établissant la liste des « Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes », plus connu sous le nom de la liste Otto. 
Cette liste fût diffusée en octobre 1940, et contient un peu plus de 1000 titres. La liste fait néanmoins preuve d’une ouverture manifeste en ré-autorisant la vente de 3 ouvrages précédemment interdits par un nazi un peu trop zélé, mais que le pacte germano-soviétique rend plus fréquentables: 

A part ces trois intrus, la liste Otto contient des ouvrages que l’occupant jugeait anti-allemands, des oeuvres d’auteurs communistes ou juifs, livres et quelques revues. En 1941, les autorités allemandes, la Propaganda Abteilung de Paris interdirent également la réimpression d’ouvrages anglais ou américains. Puis en 1942, cette fois-ci c’est la guerre, la vraie, les équipes d’Otto Abetz ajouteront une liste de 1170 listes, plus sobrement, et moins subtilement, intitulée « Ouvrages littéraires français non désirables ». En 1943, 934 autres ouvrages viendront s’ajouter à ces premières listes, dont des manuels scolaires (c’est très mauvais pour la santé).
On ne sait formellement si la liste est baptisée Otto du nom d’Otto Abetz, ambassadeur du 3ème Reich en France, mais à mon humble avis, si ce n’est pas le cas, c’est vraiment une GroB coïncidence. 
La subtilité de la liste Otto, si j’ose dire, est qu’elle repose sur les éditeurs eux-mêmes qui fûrent invités à établir la liste des ouvrages à interdire au sein de leurs propres catalogues, pour les raisons évoquées ci-dessus (anti-allemands, juifs, communistes… ou même anti-staliniens). Du déclaratif. On imagine sans peine l’état d’esprit des éditeurs concernés, entre consternation et résistance pour certains, peur d’en oublier un par inadvertance pour d’autres, et calcul pour les troisièmes. 
Pour beaucoup, passer sous les fourches caudines de l’Occupant, c’est permettre de donner quelques gages de… collaboration, de reprendre leur activité et d’avoir accès au papier, qui est soumis à un contingentement important, et distribué selon le bon vouloir des autorités. Pour les éditeurs juifs, évidemment, il n’y a hélas pas moyen d’échapper à l’aryanisation des capitaux et des directions.  
Chez Gallimard, Drieu la Rochelle remplace Paulhan, pendant que d’autres éditeurs franchissent la ligne pour diverses raisons – politiques, financières, opportunistes -, et se mettent au service du gouvernement de Vichy ou des allemands; sont souvent cités Bernard Grasset (qui passera quelques semaines en prison à libération), René Julliard ou Robert Denoël.
D’autres résistent, certains arrêtent volontairement de publier comme Émile-Paul frères et d’autres comme les Editions de Minuit, entrent dans la clandestinité.
Les bibliophiles ne peuvent être insensibles au principe même de cette liste mais aussi aux ouvrages qu’elle contient, on croise ainsi les textes de Camus bien sûr (L’Étranger, Le Mythe de Sisyphe, Caligula…), de Sartre (Les Mouches, L’Être et le néant), de Mauriac… 
On s’étonnera de la présence d’oeuvres plus légères comme le Mozart de Annette Kolb (n’est pas Wagner qui veut). Les éditeurs ont également pris sur eux, dès 1940 et on admire la conscience professionnelle de ceux qui signalent des ouvrages de science-fiction totalement répréhensibles, tels que La Pologne par l’image de Sauzay, ou l’uchronie l’Alsace d’Odilé. Je ne parle même pas des Mémoires de Hitler, que Scheid publiait dès 1933, avec hélas trop d’anticipation… Plus sérieusement, Blum, Daudet, Dorgelès (?), Boylesve (dangereux activiste), Kessel bien sûr, Zweig, etc.
En bibliophilie, on parle régulièrement des ouvrages mis à l’index (ce qui souvent rajoute à la valeur de l’ouvrage, pour des raisons diverses), de l’Index Librorum Prohibitorum, l’Occupation a également produit son index, et sous mes mots parfois un peu légers, il me semblait important de l’évoquer.
H
Vous pouvez retrouver la liste Otto ici: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626072f/f3.image

4 Commentaires

  1. Il faut rappeler que ce n'est pas Alphonse mais Léon Daudet [son fils, l'aboyeur de Maurras, plus anti-boche qu'antisémite] qui eut a subir la censure allemande. Comme quoi les idées toutes faites sur la droite française de l'époque méritent d'être revisitées… Léon Daudet passe en zone libre à l'arrivée des allemands en France et meurt d'une "attaque" en 1942 à Saint Remy de Provence… Pierre

  2. Bof, etre esclave comme 90% de la population mondiale vers l'an 0 c'était pas terrible, Daniel.
    Ca s'améliore un peu qd même.

  3. Que cela devait être compliqué de ne pas devenir directeur d'une maison de reddition. Salle époque que ce milieu du XXe.
    Pourvu que le big data et les algorithmes mathématiques ne nous privent pas encore plus de liberté que les dictateurs dans les années à venir ? Ce sans douleur, avec notre consentement. Sans etre parano, j'en viens parfois à penser que nos enfants et nous, subissons plus de manipulation mentale maintenant qu'au XXe, mais elle est sans doute plus à vocation économique et de paix sociale.

    Daniel B.

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