Nouveau look pour une nouvelle vie: un post incunable vendu sur ebay colorié au XXIe siècle

Amis Bibliophiles bonsoir,

Acheter un livre est toujours une aventure. J’en connais parmi vous qui passent des années à traquer un ouvrage, de vente en vente, de libraire en bibliophile, de bibliophile en veuve… J’en connais d’autres au contraire qui achètent comme on récolte l’écume, l’air de rien, tout en légèreté, l’air de rien, mais la main et l’oeil toujours agiles. J’en connais qui n’achètent qu’avec une extrême prudence, après avoir longuement pesé le pour et le contre, au risque de voir leur butin s’échapper… J’en connais qui achètent avec une extrême componction, comme si le geste était sacré, grave, presque pesant. J’en connais qui n’achètent plus, j’en connais même qui mettent en vente leur bibliothèque si patiemment et si savamment établie.

L’acte d’achat est d’évidence l’un des moments clefs de la bibliophilie: c’est lui qui met fin à la chasse, à la recherche, c’est lui qui scelle le contrat financier mais aussi moral avec le libraire, c’est celui qui se concrétise dans la main levée dans une salle, le coeur battant; l’acte d’achat c’est aussi ce dont on se souvient toujours quand on regarde un ouvrage de sa bibliothèque: faites l’exercice, prenez un livre au hasard, je suis certain que vous vous souvenez très exactement des circonstances dans lequel vous l’avez acquis.

L’acte d’achat, enfin, c’est celui que l’on peut regretter. J’ai coutume de dire que j’achète mes livres là où ils se trouvent, peu m’importe au fond que ce soit dans une librairie, dans une salle des ventes, sur un site internet et même sur ebay. Il me semble qu’il faudrait être fou pour penser autrement, même chez son fromager, on achète du fromage, et pas le fromager!

Je crois que nous sommes nombreux à agir de la sorte et puis, de toutes façons, les frontières d’hier n’existent plus aujourd’hui: la rencontre avec les libraires ne se fait plus nécessairement dans l’écrin d’une librairie, elle peut se faire en salles des ventes (où les libraires vous vendront des livres, par voie indirecte, ou batailleront avec vous pour en acquérir), et enfin cette rencontre peut se faire sur ebay, où vous pouvez acheter à des libraires, lutter contre des libraires pour acquérir un ouvrage et mettre leur vendre un ouvrage s’il vous arrive de vous livrer à cet exercice.

Dans tous les cas, le lieu d’achat a sa propre « légende »: je ne vais pas revenir sur les achats en librairie, ou en salles des ventes, il y a du bon et du moins bon, comme partout, du louche et du moins louche, comme partout. Non, aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter sur ebay, sur la base de quelques exemples tirés ici ou là, et qui peuvent/doivent vous conduire à vous interroger avant d’acheter un ouvrage sur la plateforme. Une fois les basiques mis de côté (vendeurs sans évaluation, photos douteuses, etc.), attachons nous à quelques exemples cocasses qui illustrent les turpitudes que vous pouvez être amenés à croiser, voire les mystères…

On s’accorde généralement à dire qu’il y peu de contrefaçon dans le monde du livre ancien (même si on peut jeter un oeil ici: http://bibliophilie.com/une-enquete-du-blog-du-bibliophile-de-la-manipulation-sur-les-livres-de-valeur-ou-quand-certains-libraires-ne-sont-plus-les-meilleurs-amis-des-bibliophiles-ou-encore-les-tribulations-dun-exempl/, ou ici http://bibliophilie.com/le-scientifique-le-bibliophile-et-les-truands-ou-nicolas-copernic-sous-les-fourches-caudines-des-libraires/), mais on rencontre parfois des choses étranges sur ebay:

Ainsi, j’ai signalé dans l’ebayana XVIII un ouvrage intitulé « 1532 post-inkunabel Perez de valencia Psalterium incunable », qui fut adjugé le 18 novembre 2017 pour 885 euros. (https://www.ebay.fr/itm/263318304257?rmvSB=true)

L’ouvrage me disait quelques chose… et pour cause, il avait déjà été adjugé aux ecnchères, sur ebay, pour 955 euros, le 30 novembre 2012. Enfin,ce n’est pas tout à fait le même: en 2012, l’époque était encore au noir et blanc et les gravures n’étaient pas coloriés. Mystère. Il n’y a pas de doute qu’il s’agît au moins de la même structure de livre, la reliure en témoigne, avec les mêmes petits défauts.

Constatez par vous même: ci-dessous la reliure de l’ouvrage adjugé en 2012, puis celle de l’ouvrage adjugé en 2017:

L’ouvrage est bien le même, avec la même curiosité (un colophon de 1530, un relieur qui se trompe et comprend 1532)… et pourtant, lorsque l’on compare d’autres éléments, le doute s’installe. Ainsi pour les deux images suivantes, en 2012, puis en 2017…

Les annotations manuscrites autour de la gravure attestent pourtant qu’il s’agît bien du même ouvrage. Aucun doute n’est plus permis. C’est la « même » gravure, qui a été coloriée.

C’est charmant ces couleurs, c’est vendeur. On pourrait résumer la combine d’une façon simple: j’achète le livre, je le colorie et je fais la « culbute » (nous verrons dans un autre article à venir qu’il y a plus simple pour faire la « culbute »). Oui mais voilà, nous ne sommes pas non plus en face d’un ouvrage rarissime dont la valeur justifierait qu’on lui offre un petit listing. Non, l’ouvrage ne « mérite » pas le temps passé, surtout pour gagner 100 euros en 5 ans.

Après réflexion, la vérité est sans doute ailleurs: si vous observez attentivement les images du second ouvrage, vous constaterez que sur la page coloriée l’angle en bas à droite est bien vif comme si le papier était neuf (mais peut-être est-ce une question de luminosité lors de la photographie). L’angle est bien net néanmoins, alors qu’il était émoussé sur l’ouvrage vendu en 2012. C’est fort curieux.

C’est à se demander si le vendeur n’ aurait pas fait des copies des pages d’origine qui l’intéressaient, les aurait coloriées pour que ça passe mieux. Ceci permettrait de vendre ou garder les gravures d’époque d’un côté, et de revendre le livre à nouveau complété, maquillé, par des copies coloriées de l’autre coté, simple hypothèse. Ou alors l’angle a été refait avant de colorier l’ouvrage, pour gagner 100 euros?

Le mystère reste entier, ce qui est certain, c’est que si vous avez acheté cet ouvrage, vous ne pouvez le renvoyer (le vendeur n’accepte pas les retours), et votre ouvrage a fait l’objet d’un coloriage très XXIe siècle.

Malversation, dessinateur du dimanche, qui sait, mais c’est parfois le propre d’ebay que de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, ou l’inverse. Ouvrez l’oeil!

H

 

7 Commentaires

  1. je suis navré que l’on puisse dégrader un livre aussi beau, quelle qu’en soit la raison
    j’espère que l’acheteur pourra se faire rembourser.Quelle connerie…non!!! je n’ai pas dis ça. gepobe

  2. Moi ce qui m’effraie le plus c’est que le résultat soit hideux, les gravures sont bien plus belles au naturel.

    Mettre en couleur des livres de façon postérieure ça ce fait depuis toujours, il y a quelques ateliers célèbres avec des artistes talentueux, en hollande par exemple au XVIIe, qui faisaient des mises en couleurs superbes. Pas mal de livres ont été colorés au XIXe également, avec parfois beaucoup de réussite.

    Alors pourquoi pas au XXIe après tout ?

    Si tant est qu’on y mette le prix et que ce soit bien fait par des professionnels compétents, et qu’on le dise tant qu’à faire…

  3. Pour ma part, en tant que restauratrice de livres anciens, je remarque une mouillure en pied sur l’exemplaire de 2012, particulièrement visible sur le verso blanc de la page précédente: or celle ci semble avoir disparu sur l’image de 2017. C’est fort curieux car il aurait fallu un lavage nécessitant le plus souvent un démontage de l’ouvrage. Travail lourd et coûteux…Mais peut-être seulement une question de définition de l’image?

    • J’espère que vous bannissez seulement le vendeur de 2017, car quand je l’ai vendu en 2012 sur ebay, il était tel que trouvé et « dans son jus ». Je ne voudrais surtout pas que ma vente de 2012 qui s’est déroulée en toute sincérité et honnêteté , soit amalgamée à cette dernière vente très douteuse, ce d’autant plus que j’ai aidé Hugues dans la découverte de cette mise en couleurs XXIe…

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