Les reliures III : la Reliure Romantique

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Poursuivons notre route sur le chemin des reliures, avec les reliures romantiques, emblématiques de la première moitié du 19ème siècle. Je passe en effet sur les reliures napoléoniennes, qui ne différent des reliures de l’Ancien Régime que par un goût prononcé pour les décors antiques et pour les emblèmes de l’Empire : aigle impériale, N couronné, abeilles, etc.
Reliure plein maroquin bleu marine à gros grain, riche décor doré au dos et sur les plats, à noter le titre Rabelais au dos, à peine lisible car imprimé aux petits fers dorés gothiques ! Reliure signée et datée en bas du dos (ce qui est assez rare pour les reliures romantiques – Pequignot 1835). Edition de Rabelais sur deux colonnes, 1835. Reliure strictement de la même année que l’édition.En général, on appelle romantiques les écrivains du début du 19ème siècle qui se sont affranchis des règles de pensée, de composition et de style établies par les auteurs classiques. J’ai le sentiment qu’il en est de même pour la reliure romantique, qui incarne une forme de renouvellement du genre, mêlant le classicisme d’un 18 ème flamboyant et de nouvelles tendances, plus « sensibles », plus expressives et plus figuratives : le gothique remis au goût du jour (voir les reliures à la cathédrale, les rosaces, etc.), mais aussi le rêve, l’exotisme, etc., que l’ont retrouve dans de nouveaux types de fers et qui s’expriment sur de nouvelles matières (maroquins à grain long, cuirs de Russie, maroquins et veaux de couleurs violette, rose, lilas, bleue, etc.).
Reliure plein maroquin rouge à grain long, dos lisse orné de fers dorés et de fers noirs, large encadrement des plats par une frise dorée. Sur les poésies de Madame Amable Tastu. Classique de l’époque romantique. Volume in-8 édité en 1827.Je vais peut-être m’attirer les foudres de certains d’entre vous, qu’ils veuillent bien me pardonner, la vulgarisation étant l’un des objectifs du blog, mais on peut globalement dire que la dénomination reliure romantique rassemble la grande partie des reliures réalisées au 19ème siècle, après le premier empire… La tendance s’éteint après 1850, et la tendance devient moins marquée, d’autant que les reliures industrielles et les pasticheurs viennent concurrencer l’époque romantique.

Ce qui, donc, caractérise la reliure romantique ? Les fers se diversifient vraiment et deviennent figuratifs, plus expressifs, les dos sont ornés de fleurons qui peuvent être longitudinaux et, surtout, les demi-reliures font leur apparition (massive) sur le marché. Et si elles sont au départ négligées par les bibliophiles, mêmes les grands relieurs de l’époque en proposent à leurs clients.
Reliure dans le style de Thouvenin mais non signée. Volume in-24 relié plein veau aubergine, dos à faux nerfs plats, décors de filets dorés et de fers à froid, plats richement ornés d’une rosace centrale et de multiples décors de fleurs tourbillonantes à froid, le tout dans un encadrement de filets dorés. Recouvre « Le mérite des femmes » par Legouvé, classique romantique parmi les classiques, réédité de très nombreuses fois dans les années 1810-1840. Cette édition date de 1826. La reliure est strictement contemporaine.Ce qui change également, c’est que cette période est aussi celle de grands bouleversements industriels. On trouvera donc simultanément plusieurs types de reliures au 19ème : la reliure de luxe, réalisée par de grands relieurs, qui continue à employer des matériaux nobles, et qui peut-être romantique ou pastiche, et la reliure industrielle qui peut utiliser des cuirs, mais repose généralement sur des cartonnages, ou des percalines. A la frontière entre ces deux univers, se trouve des relieurs semi-industriels, comme Gruel, qui utilise encore le maroquin et vend des quantités importantes d’ouvrages religieux reliés de maroquin.

Ces différentes appellations se mélangent peu à peu, et on pourra trouver simultanément sur le marché des cartonnages romantiques, des reliures pastiches extrêmement proches des reliures du 18 ème, des maroquins semi-industriels de Gruel, des cartonnages industriels, des maroquins romantiques très 19ème à la cathédrale et, comme nous l’avons vu il y a quelques jours, des pastiches à la fanfare de reliures du 17 ème.

Je ne suis pas spécialiste, mais cela me semble cohérent avec la révolution industrielle qui touchera (aussi) le monde du livre au 19 ème : les nouveaux moyens technologiques permettent de proposer des reliures à des prix réduits, pour le plus grand nombre, mais une élite bibliophilique continue de rechercher des reliures de grande qualité, qu’elles soient romantiques ou pastiches. Reliure plein maroquin rouge à grain long, dos plat orné de fers dorés et à froid, plats idem, cartonnage bradel recouvrant un almanach des Dames pour l’année 1819. Etui de maroquin décoré de même. Petit bijou bibliophilique destiné aux dames de l’époque romantique.Les grands noms de l’époque? Thouvenin, Bozérian, résolument romantiques, et d’autres noms tels que Cuzin, Capé, Chambolle, Duru, Gruel, mais aussi à la fin du siècle les débuts des grands relieurs qui marqueront la première partie du 20 ème siècle, Marius-Michel par exemple, et prépareront les bibliophiles à la reliure d’art.
H

102 Commentaires

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  2. Une petite reference bibliographique sur les cartonnages:

    MALAVIEILLE (Sophie), Reliures et cartonnages d’éditeurs en France au XIXe siècle, Promodis, 1985

    Salut LUCA

  3. Pour ceux qui aiment ces petites informations érudites, sachez que Jean-Etienne Gautier, chez qui Bauzonnet a fait une partie de son apprentissage à Lons-le-Saunier, est le grand-père de Jean-Albert Gauthier-Villars, fondateur des éditions du même nom et l’arrière-grand-père de Henry Gauthier-Villars, plus connu sous le nom de Willy, célèbre personnalité du Paris de la belle époque, qui est surtout passé à la postérité comme mari de Colette. Il en a profité pour signer la série des Claudine.

    Bonne année 2008

    Jean-Marc

  4. J’attendais que quelqu’un réagisse à ce que j’avais déjà signalé par ailleurs, mais comme ce sujet semble toucher à sa fin, je rappelle le tome III de la vente Béraldi, incontournable pour les amateurs de période romantique, où sont 10 reliures de Purgold, 64 reliures de Simier et 49 reliures de THouvenin, malheureusement pas toutes photographiées.

    Amités du soir

    Jean-Paul

  5. Belles contributions, merci à vous. Ce qui serait fantastique, c’est que ces immenses connaissances soient de temps en temps réunies dans des messages que vous m’enverriez pour le blog!!!
    Hugues

  6. Merci Martin. C’est effectivement Jean-Georges Purgold, d’après ma collègue du Dictionnaire Encyclopédique du Livre qui fournit au tome III (à paraître) la notice sur ce relieur.

    Jean-Paul

  7. Allez savoir pourquoi Devauchelle donne à Purgold le prénom de Marcellin ! Ses prénoms sont « L. G. »… mais introuvables !
    Ce n’est pas la première fois que je trouve des erreurs grossières de noms ou de dates chez DEvauchelle ..dommage…Il y a encore du travail pour les jeunes !!!

    Jean-Paul

  8. Pardon : Purgold est mort en mars 1829.

    Jean-Marc,

    Avant d’arriver en 1820 à Paris, Bauzonnet fit son apprentissage successivement à Poligny, chez le relieur Clerget, puis à Lons-le-Saunier, chez l’imprimeur-libraire Jean-Etienne Gauthier, enfin à Dole, chez l’imprimeur-libraire-relieur Florent Prudont.

    Jean-Paul

  9. Trois relieurs dominent l’époque romantique :

    – Marcellin Purgold (+1830): actif de 1816 à sa mort, il fut « le prince des relieurs de son temps ». Son atelier devint en 1830 celui de son ouvrier-doreur, Antoine Bauzonnet (1788-1879), qui avait épousé sa veuve, spécialiste du décor aux filets dorés, puis celui de Georges Trautz (+1879). Ce dernier épousa en 1840 la belle-fille de Bauzonnet et devint l’associé de son beau-père (d’où la signature « Bauzonnet-Trautz » de 1840 à 1851) puis son successeur en 1851 (d’où la signature « Trautz-Bauzonnet »).

    – René Simier (Téloché, Sarthe, 1772-Yvré-l’Evêque, Sarthe, 1843), ancien militaire amoureux des livres, relieur du Roi Louis XVIII. »On demandait un jour, après maintes gageures, si Bozerian le premier avait rendu parfait le métier de relieur ; le Dieu du goût …nomma Simier » ! Son fils Alphonse (1796-1859) lui succéda.

    – Joseph Thouvenin (Paris, 1790-1834), élève de Bozerian, inventa et mit à la mode les reliures dites « à la cathédrale ».

    Jean-Paul

  10. C’est effectivement très difficile de trouver ce genre de petits ouvrages. Ma mère en a une petite vingtaine dans sa bibliothèque, la plupart en très bon état. Le problème, c’est surtout le dos des livres, qui a tendance à se décrocher, à cause de l’humidité.
    On trouve pas mal de récits historiques, en plus des livres de voyages et autres joyeusetés religieuses. Beaucoup sont très illustrés. D’ailleurs, il n’y a pas que de petits ouvrages, certains sont in-8 voire in-4 (j’en ai trouvé une brocante, mais en trop mauvais état pour l’acheter).
    Les plus beaux restent ceux illustrés d’une vignette en couverture.

  11. Merci Bertrand pour votre billet sur ces cartonnages. Ces livres sont en effet trés décoratifs au premier plan d’un rayonnage (abrité de la lumière directe..) et il est amusant de rechercher ceux qui s’écartent un peu des lectures édifiantes ou historiques. Leur état dépend plus de la malle ou du grenier qui les a abrités que des mains qui les ont parcourus…

    Sur Mame, probablement beaucoup de choses à lire. J’ai trouvé intéressante cette description de son stand à l’exposition de Paris en 1855, faite par un contemporain. Il le partageait avec Firmin-Didot dans le pavillon de l’Industrie.

    Charles Robin (1855) Histoire illustrée de l’exposition universelle, Paris, Furne, p.16 et seq.
    http://books.google.fr/books?id=dZoxdq71vEsC&pg=PA144&dq=robin+exposition+universelles#PPA16,M1

    Quelques informations sur ces livres à la BM de Lyon dans le fonds Chomarat:
    http://www.bm-lyon.fr/expo/virtuelles/chomarat/10.htm

    Cordialement

    Raphael

  12. Ouhla, vous l’avez compris, la reliure romantique n’est pas trop ma tasse de thé… donc plutôt que de dire des bêtises, je préfère vous laisser la main.
    H

  13. Bonsoir Jean-Marc (oui je sais… il est tard Jean-Paul…),

    je pense que tu fais allusion notamment à ces petits cartonnages romantiques « tout papier et carton », très décorés de dorures et souvent illustrés d’une lithographie aquarellée incrustée dans le premier plat de la reliure (cartonnage industriel type Bradel), dont un imprimeur de Tours, le célèbre Mame s’était fait le spécialiste.

    Il y avait quelques centres provinciaux d’édition de ce genre de livres (Limoges, Rouen, etc),

    en voici un beau spécimen trouvé ce soir par hasard :

    http://cgi.ebay.fr/Cartonnage-romantique-Jacques-Coeur-1848_W0QQitemZ360008628782QQihZ023QQcategoryZ120500QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem

    Je trouve que ces petits volumes, délaissés par les bibliophiles ont un charme fou, à une condition, de taille tout de même, qu’ils soient conservés en parfait état, ce qui est assez rare vue la fragilité de la reliure faite en papier gauffré et qui était la plupart du temps destinée à passer dans les mains des enfants.

    Mais il y aurait de quoi se faire une belle bibliothèque colorée ave ces petits volumes peu onéreux aujourd’hui. Et il n’y avait pas que des ouvrages de piété.

    C’est vrai que la morale y est souvent présente sous une forme détournée (Mame avait le plus gros marché des livres de piété de l’époque et ne pouvait se permettre de publier des textes trop « libres »), on y trouve souvent de bons récits de voyages, découvertes, aventures, etc.

    Un univers de bibliophilie à découvrir. Ces livres avec cette reliure caractéristique de son époque ont été publiés entre 1840 et 1860 environ.

    En voici quelques autres :

    http://cgi.ebay.fr/Abbe-Garon-Vertu-piete-1351_W0QQitemZ200185743982QQihZ010QQcategoryZ34191QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem

    http://cgi.ebay.fr/MARIEpar-Melle-Fanny-de-V-1860-edi-MAME-ETCie_W0QQitemZ120204033270QQihZ002QQcategoryZ120492QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem

    http://cgi.ebay.fr/HISTOIRE-DES-COLONIES-FRANCAISES-ROY-Mame_W0QQitemZ160192938550QQihZ006QQcategoryZ120490QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem

    http://cgi.ebay.fr/Nicolas-Vauquelin-chimiste-Joubert-1877_W0QQitemZ270197993036QQihZ017QQcategoryZ77895QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem

    Se créer une bibliothèque uniquement de ce type de petites reliures cartonnées colorées en parfait état de conservation est sans doute aussi difficile que de réunir une collection d’Elzevier en maroquin rouge en bel état !

    Bon courage à ceux qui s’y essaieront. Sans compter que le champs à moissonner est presque infini… on doit bien pouvoir dénombrer plusieurs centaines de titres recouverts de ces délicieux petits cartonnages.

    Amitiés romantiques, Bertrand

  14. J’en profite pour poser une petite question d’érudition sur Bauzonnet. J’ai lu qu’il avait été en formation chez Jean-Etienne Gauthier à Lons-le-Saunier. Si quelqu’un savait m’en dire plus, je suis intéressé.

    Au passage, merci pour ses beaux articles sur la reliure, en particulier ce dernier sur la reliure romantique. Si je pouvais faire une suggestion, je dirais qu’il faudrait maintenant parler de toutes les variantes de la reliure romantiques, jusqu’aux plus modestes travaux de l’époque.

    Jean-Marc

  15. Merci mille fois A.A.A. pour ce petit film qu’il fallait trouver dans les méandres du net !

    Je n’ai pas vu cette exposition pourtant pas si loin mais j’en ai maintenant des regrets. Je vais me renseigner pour voir si elle est toujours visible.

    Les vidéos sur le monde du livre ancien et la bibliophilie sont si rares que je voulais vous remercier encore de nous la faire partager.

    Amitiés, Bertrand

  16. Pas sûr, le cartonnage romantique, je déteste ça, mais s’il y a des volontaires pour faire un message sur le sujet, il sera posté avec bienveillance!
    H

  17. Hugues ne manquera pas, j’en suis certain, de faire un bel article sur les cartonnages romantiques, qui méritent à eux seuls, une belle page dans l’histoire de la reliure industrielle et décorative des années 1840 à 1860,

    Amitiés bibliophiliques, Bertrand

  18. Gonzalo,
    Janséniste, dentelle, éventail et autres viendront. Je n’ai pas réellement procédé par ordre chronologique même si cela y ressemble.
    D’ailleurs, on trouve aussi bien des reliures jansénistes au 17ème qu’au 20ème siècle.
    Nulle inquiétude donc, nous y viendrons!
    H

  19. Merci Hugues pour cet article. Mais une interrogation: on est déjà au XIXe?!? Quid des reliures dites « jansénistes », et des reliures « à la dentelle ».

    Pardonnez, maitre, mon empressement et mon impertinence.

    On est dur avec toi! Tu te plies en quatre pour tenir ce rythme fou d’un message par jour, et l’on te chahute avec nos exigences…
    Mais le propre d’un bibliophile n’est-il pas d’être exigeant?

    Si je t’ennuies, ça n’est ni par sadime, ni par snobisme, mais parce que j’aime lire ce blog!
    Allez Hugues, raconte nous les reliures jansénistes…

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