La bibliothèque de Marguerite de Valois et ses reliures au « soleil à visage »

Amis Bibliophiles bonjour,

Dans un catalogue de librairie récent (Amélie Sourget, n°9), on trouve un exemplaire des Décades de Tite-Live traduites en français (Paris, J. du Puys, 1583) relié en vélin doré aux emblèmes de Marguerite de Valois. 

La notice de ce (très beau) catalogue stipule que cet ouvrage est le quatorzième connu ayant appartenu à la reine.
Plusieurs études ont été menées sur la bibliothèque de Marguerite de Valois, dont les plus pertinentes sont celles d’A. Hobson (Les reliures de Marguerite de Valois, in Les reliures à la fanfare, …Londres 1935) et celle plus récente de M.-N. Baudouin-Matuszek (La bibliothèque de Marguerite de Valois, in Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris,  PUPS, 2006, p.273-292).
La bibliothèque de la reine Marguerite, en partie connue grâce à un inventaire après décès de 1615, comprenait plusieurs centaines d’ouvrages, reliés en parchemin, veau, vélin ou maroquin. Certaines reliures y sont assez précisément décrites, plusieurs  étant en « marroquin doré sur tranches filletz en champ », et une autre étant décorée sur les plats « au millieu une esquierre (une pièce) ung soleil dedans, coquilles aux coings et fillets dor ».Cette description précise correspond  très exactement à une petite série de reliures dont deux portent d’ailleurs des inscriptions manuscrites explicites d’appartenance à la reine Marguerite.
En parcourant ma bibliothèque, mes « books on books » et en fouillant la toile, j’ai recensé 13 volumes portant ces symboles et qui proviennent avec assurance de la bibliothèque de la reine Margot. Ces reliures se divisent en deux séries ; toutes deux comportant des coquilles aux angles, mais le centre des plats étant occupé soit par un soleil à visage dans une couronne de palmes, soit par un œil dans un soleil sans palmes et doté de longs rayons.
Soleil à visage
Dans la première série, celle des soleils à visage, qui comprend 9 ouvrages, les fers utilisés sont variés et en rapport avec le format de l’ouvrage (Les soleils présents sur Torquemada (in-16) et Dante (in-12) semblent similaires, ainsi que ceux de Chavigny (in-4), la Popelinière (in-4) et Liébault (in-8), ou encore ceux utilisés sur Platon, et De l’Orme, tous deux au format in-folio. Ces deux derniers ouvrages (ainsi que Guichard également) possèdent un dos décoré de couronnes de palmes dans lesquels s’inscrivent alternativement, outre le titre, des coquilles et des marguerites. Je n’ai par ailleurs pas trouvé de photographie des reliures couvrant les Prédications de Louis de Grenade et les Funérailles (…) de Cl. Guichard.
A. de Torquemada : Hexameron, ou six jours contenans plusieurs doctes discours, Paris, P. Brachonier, 1583 (Tours, BM), in-16, maroquin rouge    
Dante : La comédie de l’Enfer, du Purgatoire… ; Paradis, Paris, Jehan Gesselin, 1597 (3e volume seul, vente Binoche, nov. 2011) in-12, maroquin havane.
J. Liébault : Trois livres appartenans aux infirmités et maladies des femmes, Lyon, Jean Veyrat, 1597, (vente Alde nov. 2015), in-8, maroquin brun
H. Lancelot-Voisin, sieur de la Popelinière : L’Amiral de France, Paris, Thomas Perier, 1584 (Pierpont Morgan lib.), in-4, maroquin brun
J. A. de Chavigny : La première face du Janus françois, Lyon, 1594 (Bibl. Arsenal), in-4, maroquin brun
Platon : La République, Paris, Fédéric Morel, 1600 ( Bibl. Sorbonne), in-folio, maroquin rouge
P. De l’Orme : Le premier tome de l’Architecture, Paris, F. Morel, 1568 (coll. priv.), in-fol, maroquin rouge
Prédications du P. F. Louis de Grenade, Paris, 1584 (Bibl. Bodl., Oxford) maroquin rouge
Cl. Guichard : Funerailles et diverses manieres d’ensevelir des Romains, Grecs et autres nations, Lyon, J. de Tournes, 1581 (Librairie Belin, 1912), in-4, maroquin rouge
Soleil et œil
Dans la seconde série, les motifs centraux proviennent tous du même fer, à l’exception de celui du Tite-Live, très différent et qui n’a pas d’autre occurrence.
Ciceron, Platon et Lucien : Trois dialogues de l’Amitié, Paris, Nicolas Chesneau, 1579 (Bibl. via Senato, Milan), in-4, maroquin citron
G. P. Valeriano : Commentaires hiéroglyphiques, Lyon, Honorat, 1576 (Melun, BM), in-fol., maroquin vert
Ovide : Le Metamorfosi di Ovidio, ridotte da Giavani Andrea dell’Anguillara …, Venise, F. de Franceschi, 1571 (château de Pau) in-4, maroquin brun
Tite-Live : Les décades, … Paris : Jacques du Puys, 1583 (vente Ader nov. 2015 et Sourget 2016), in-folio, vélin doré.
Autres types de décors
A ces reliures décorées de façon analogue et dont les symboles ont vraisemblablement été choisis par la reine elle-même, il existe quelques autres ouvrages, imprimés ou manuscrits, qui correspondent à des dons ou à des exemplaires de dédicace et dont les décors plus variés, ne s’inscrivent pas dans cette bibliothèque homogène. Plusieurs d’entre eux comportent des décors de semés dont l’attribution à Marguerite de Valois est parfois difficile à établir. M. N. Baudouin-Matuszek en retient 9 dans son étude, auquel il faut ajouter celui actuellement en vente chez J.-B. de Proyart.
La conté d’Auvergne, manuscrit vers 1606-1615, (J.-B. de Proyart), in folio, maroquin olive
G. de Mynut : L’alphabet de l’astrologie, manuscrit vers 1580, (Pierpont Morgan Lib.), in-4, vélin doré
Neuf reliures au soleil à visage, quatre autres avec le soleil et l’œil, plus 10 reliures à décors variés, cela fait un total de 23 ouvrages. Je compte sur vos contributions nombreuses pour enrichir cet inventaire naturellement incomplet !!!
Philippe M.

12 Commentaires

  1. Great post. I used to be checking constantly this blog and I am impressed! Very useful information particularly the remaining part 🙂 I deal with such information much. I was seeking this particular info for a very long time. Thank you and good luck. |

  2. Comme quoi, tous les libraires devraient lire le blog du bibliophile…provenance non attribué dans la fiche, et tous les bibliophiles suivre tous les libraires car un libraire fini toujours pas passer au travers sur quelques livres…l'avantage c'est qu'en général on ne le sait pas ! ou alors beaucoup plus tard…

    Daniel B.

  3. Je crois pouvoir ajouter un autre volume relié au motif du soleil à l'oeil, comme le Cicéron et l'Ovide. Il s'agit de Dante, Comedia del divino poeta Danthe Alighieri (Venise, G. Giolitto da Trino, 1536, in-8). Il a figuré au catalogue des Livres choisis (item 5) de la Librairie Valette et Giraud-Badin pour le salon du livre ancien à la Mutualité en… j'oublie !

    François

  4. Voilà un soleil qui éclaire notre journée ! Merci Philippe. Je suis allé immédiatement vérifier si mon Claude Guichard de 1581 ne portait pas la marque de Marguerite de Valois. Mais non … ! 😉 . Textor.

  5. Merci Thiephaine pour cette référence que je ne connaissais pas et que je vais m'empresser de trouver … Pour compléter le billet, il existe (au moins) un autre amateur ayant choisi un soleil à visage comme emblème. Il s'agit de Crozat de Tugny dont les ouvrages de poésie portaient au dos ce décor. Une notice sur ce bibliophile du XVIIIe s. a été rédigée par N. Ducimetière dans le beau catalogue "Mignonne, allons voir … Fleurons de la bibliothèque poétique Jean-Paul Barbier-Mueller"(2007).

  6. Très bel article, merci Philippe!

    Même s'il ne se rapporte pas qu'aux ouvrages mais à l'ensemble de ce qui constituait la bibliothèque à l'époque, un excellent livre de Damien Plantey consacré aux "Bibliothèques des Princesses de Navarre au 16e siècle" (c'est le titre) a paru cet année chez les Presses de l'enssib. On y trouve notamment les inventaires des bibliothèques et la description (d'époque) des ouvrages d'Anne d'Armagnac, Eleonore d'Aragon, Catherine de Foix-Bearn, Jeanne d'Albret, Catherine de Bourbon et Marguerite de Valois.
    Le livre est tiré de la thèse de l'auteur, gage, donc, de son sérieux. Et il est vraiment bien, en plus. 🙂

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